
La dernière consigne est une vraie consigne, prendre trois images sur Google Earth, trois images d’un lieu dans lequel on aimerait se rendre et inventer quatre lignes à partir de ça en évoquant un personnage imaginaire. Le faire trois fois. Plus un quatrième paragraphe dont je n’arrive pas vraiment à comprendre la teneur.
ça tourne en tâche de fond depuis dimanche. J’ai déjà imaginé pas mal de choses mais tout finit par tomber en quenouille.
Le mot Albuquerque est arrivé en premier mais je ne sais pas du tout qu’en faire. J’ai été voir sur Wikipédia et j’ai vu que cette ville se trouve au nouveau Mexique. Bon, mais pourquoi ce mot, rien ne vient. Peut-être que justement c’est idéal que rien ne vienne. Le second mot est Oregon. Pas de raison valable non plus. Sinon éventuellement assister à une partie de pèche à la lamproie. Sinon bien sur je peux encore lire tout ce que Wikipédia m’en dira de plus. Mais ça finit par être rébarbatif.
Ce qui m’oblige à songer à tout le travail de documentation qu’il faudrait abattre pour n’en tirer grosso modo qu’à peine une phrase.
Est-ce que je calerais par paresse ?
C’est à prendre très au sérieux la paresse. Souvent on se laisse facilement déborder par une sensation de culpabilité et on se jette dans le travail pour s’en défaire. C’est un phénomène que j’ai observé presque tout de suite, dès les bancs de l’école. Et contre lequel je n’ai cessé de lutter toute ma vie bien sur. Ce qui est l’un des fers de lance de ma philosophie c’est qu’il faut dépasser la culpabilité pour aller voir ce qu’elle cache. Des trésors assez souvent.
Le fait de buter contre quelque chose et remonter sa piste comme on traque une bestiole- une lamproie au large de l’Oregon par exemple.
Il y a un monument aux pétroglyphes à Albuquerque. Pour le voir il faut se rendre à l’ouest du Rio Grande. Il y a ici gravé sur le basalte plus de 20000 dessins crées par des hommes de la préhistoire. Vertige d’y penser. C’est vrai que j’aimerais bien me rendre là-bas pour voir ces gravures quand j’y pense. Mais j’ai envie de m’y rendre après coup, après avoir pris connaissance de cette consigne, après que le mot Albuquerque ait surgi soudain, après que je me sois rendu sur Wikipédia pour découvrir tout cela.
C’est un désir de m’y rendre qui vient par déduction ou pire par obéissance à une injonction et non un désir premier. Grande différence.
On peut rapprocher ce phénomène de l’acte de peindre, je veux dire cette différence entre désir primordial et désir dérivé. Personnellement je suis perpétuellement en attente du premier comme un fermier de la pluie. Je suis dominé par une pensée qu’on peut dire magique tout simplement parce que les désirs dérivés m’ennuient la plupart du temps.
Cette pensée magique est fortement décriée de nos jours, la raison primant sur tout. Il n’empêche que je m’obstine malgré tout, malgré toutes les excellentes raisons, à poursuivre dans cette voie.
C’est terrifiant parfois , surtout quand le doute surgit, mais on apprend peu à peu que le doute fait partie du jeu, qu’il est cet hameçon que les pêcheurs de lamproie lancent au bout de leurs lignes pour attraper ces bestioles. Suis-je la réincarnation d’une lamproie péchée au large de l’Oregon ? Ai-je achevé mon existence préhistorique au fond d’un estomac d’indien Chinook entre deux pétroglyphes qu’il s’amusa à tailler pour passer le temps ?
Au final je me suis rapproché de l’océan, à Newport pour faire cette copie d’écran.