
Quel parti adopter quant à nos congénères, certain jour on les trouve tant effrayant, un autre si merveilleux. C’est que l’on veut savoir sur quel pied danser, mais, si on regarde bien, attentivement en bas, les deux sont nécessaires pour ne pas choir
Et pourtant ce qui m’a gâché le commerce d’autrui fut de vouloir quérir une position ferme inébranlable , mais inconfortable, d’échassier que jamais ne su trouver.
Un jour ils sont horribles, insupportables, tandis que l’autre on dirait des saints descendus d’un tableau sur Terre.
C’est étrange chose que de se rendre au fait une bonne fois pour toutes et de s’apercevoir qu’aucun n’y est pour rien en l’effroi comme en la merveille; que ces visions, ces ressentis, ces pensées sont surtout affaire d’humeur et de glande personnelles.
Sinon, en règle commune, il n’y a guère que spectres ou fantômes dans ce lieu de rêves et de cauchemars, et on se sera trompé de sens encore sur l’idée du vif et de l’inerte. A croire que nous sommes tombés bien bas ici pour ne cesser de s’égarer d’errer sans relâche chacune chacun, et surtout soi entre la merveille et l’effroi.
Walter Benjamin dans un texte , « bel effroi » dans images de pensée évoque ce que j’éprouve parfois vis à vis des foules
« Cette foule amortie n’attend-elle pas un désastre suffisamment grand pour faire jaillir de sa tension des étincelles ; incendie ou fin de monde, quelque chose qui retournerait le chuchotement velouté de ces mille voix en un unique cri, comme un coup de vent découvre la doublure écarlate du manteau ? Car le cri retentissant de l’effroi, la terreur panique est le revers de toute véritable fête de masse. Le léger frisson qui court sur d’innombrables épaules en est le fiévreux désir. Pour l’existence inconsciente la plus profonde de la masse, les réjouissances et les incendies sont seulement un jeu qui la prépare à l’instant de son émancipation, à l’heure où panique et fête se reconnaissant comme des frères après une longue séparation s’étreignent dans l’insurrection révolutionnaire «
Pourtant lui comme moi appartenons bel et bien à la foule, nous faisons partie de l’expérience.
Donc essayer l’indifférence à l’effroi comme à la merveille si elle fut une piste suivie très jeune, trop jeune fut une piste peu facile à tenir, c’est à dire insoutenable de désirer garder, perpétuellement, un œil sur soi, pour tenter de démêler ce qui appartient aux autres ou à soi comme projection, comme cinéma. On ne peut pas dissocier les choses ainsi, on ne peut pas s’écarter à ce point sous peine de disparaitre totalement des cartes soi-même.
Tout cela est un jeu. avant d’être un Je. Une fois qu’on y est entré, difficile, voire impossible d’en sortir sinon les pieds devant.
Ensuite en sortir il faudra bien mais comment, bonne question
Avec brio, avec regrets et remords, fierté honte, culpabilité ? Avec de la morphine ? C’est accorder bien trop d’importance encore à sa propre idée d’importance que d’y songer.
On pourrait se raccrocher à une bouffée d’innocence, se dire qu’on partira comme on est venu, aussi ignorant à la fin qu’au début des choses de ce monde. Que tout ne fut, de ces pensées surtout , qu’un vaste brouillon impossible à mettre en ordre parce qu’avant tout le vain nous en empêche, ou nous en sauve.
Parfois je me dis que toute mon errance ne provient que de m’être illusionné beaucoup, bien trop, sur l’idée d’une stabilité qui n’existe pas et qui ne peut exister, la stabilité comme une éternité, un Eden privé, que je n’aurais fait qu’inventer. Ou répéter bêtement comme d’autres se l’étaient répété depuis la nuit des temps. Une stabilité qui un jour est une merveille, l’autre le pire des effrois. Il est même fort possible que je ne sois pas tout seul dans cette erreur cette déception, que le plus mauvais dictateur le plus idiot des tyrans, qu’ils se tiennent à mes côtés au même titre que littérateurs, musiciens, poètes, et peintres évidemment.
Une réunion d’illusionnés pris entre deux feux que sont certitudes et doutes, espoir et déception, des homoncules de tout acabit dont les rêves, les cauchemars tournent en spirales en tourbillons autour de concepts d’idées, de mots d’images pour passer le temps s’étripant ou se flattant à propos d’inepties comme ce l’on dit être beau ou laid, le faux ou le vrai.
Cela fait partie de ces évidences si évidentes qu’on ne les voit que tard quand on ne peut plus grand chose faire.
Sinon rire de soi mais gentiment car dans le ridicule enfin tout le monde doit tôt ou tard se rejoindre bien, une belle et bonne fois au moins, pour comprendre toutes les autres qu’on n’a pas vues et qui tout à coup, ô merveille ô effroi on voit.
Oui, et merci pour votre billet, Patrick. J’aurais aimé avoir vos mots. Et j’apprécie l’évocation de Benjamin, la mise en valeur de cet extrait. Un autre que j’ai oublié (la mémoire est une marmite; à ne pas laisser sur le feu sans surveillance…).
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