
une traversée de l’inutile commence en premier lieu par la prise de conscience sourde de tout de ce que tu croyais important, précieux, utile. Ce sont des écailles qui se détachent lentement des yeux pour glisser vers l’oubli ou le néant. Autrefois cela te paraissait insupportable et tu essayais constamment de recoller ces morceaux, plus ou moins avec soin, mais, tandis qu’un de ces fragments reprenait place, te recréait un peu bancal, un autre à nouveau se détachait pour glisser au loin.
Au bout du compte il en résulta une monstruosité sans nom, une créature à ranger dans la catégorie des films d’horreur, une reconstitution grossière, un amoncèlement des morceaux de cadavres unis par des coutures grossières.
enfin l’inutilité fut d’une intensité telle que tu dus lâcher ta besogne. Un espace gris t’avala tout entier, une sorte de no man’s land dans lequel tu erras des milliers de jours et de nuits, mais sans jamais savoir quand était la nuit quand était le jour . Tout avait perdu à ce point de son importance que tu ne parvenais plus à discerner et les choses et les êtres et leurs contours et l’espace entre eux. Tout ne fut plus que formes figées dans la roche froide, et tu fis encore des efforts débiles durant un temps indéfinissable. Tu rampas lentement sur des corps, sur des objets, sur des mots qui n’avaient plus aucune signification ni sens ni laideur ni beauté.
Et puis dans une anfractuosité de ce monde bizarre tu trouvas enfin une place. Tu ne fis plus alors que regretter d’antiques sensations, des sentiments appartenant à des âges antédiluviens, tu parvins ainsi à mi chemin du but que le destin avait depuis toujours fixé pour toi.
Tu commençais à prendre racine dans la roche, tu réinstallais l’idée du confort, quand celle-ci fut heurtée par un immense corps céleste qui pulvérisa tout ce que tu croyais encore être toi et ce lieu cet espace et tes minces espérances de devenir.
Éparpillées dans l’espace noir des bribes flottent tout autour de toi, tu n’es plus dans un corps précis, tu es dans chacune de ces bribes et pourtant tu es en même temps nulle part et partout. Tu es cette conscience qui parvient vaille que vaille, coûte que coûte encore à se faufiler, à traverser l’inutile, en empruntant parfois un peu d’utile si besoin est, si vraiment nécessité, pour voyager plus loin.
Top !
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