
12/04/2023
A la mort de Picasso, en avril 1973 à l’âge de 91 ans, c’est Maurice Rheims, commissaire priseur, (« Alors Rheims, toujours votre coupable industrie ? – l’interpelle Charles De Gaulle) qui fut chargé de cataloguer et d’évaluer les 12000 œuvres de l’artiste.
A l’époque la France ne possède aucune œuvre de Picasso dans ses musées. C’est André Malraux qui saisira donc l’opportunité d’en acquérir par le moyen de la dation (en s’appuyant sur l’occasion pour promulguer la loi de dotation à l’Etat)
La dation en paiement étant le procédé par lequel un contribuable peut s’affranchir de certains impôts notamment ceux de succession au moyen d’objets de valeur, notamment des peintures, des livres, du mobilier, objets de collection en tout genre. C’est souvent de cette façon que les musées acquierrent leurs fonds notamment le Musée Picasso. C’est l’année dernière, en avril que 6 œuvres ayant appartenu à la fille de Picasso, Maya, ont ainsi rejoint le Musée.
Concernant cette succession compliquée comme le fut la vie familiale de Picasso, on s’aperçoit que la part de l’Etat est celle de l’ainé, la part du lion. Néanmoins on ne pleurera pas sur les héritiers pour ce cas précis tant la richesse, l’abondance, de l’auteur de Guernica est stupéfiante. On apprendra aussi à l’occasion que les enfants illégitimes, les pièces rapportées ne sont pas sensés pénétrer chez le notaire lors de la lecture du testament (selon les articles 335 et 342 du code civil : » les enfant adultérins doivent être considérés comme étrangers à leurs parents au point de vue patrimonial, et sont privés des droits héréditaires accordés par la loi aux enfants naturels «
Ce qui sera par la suite arrangé par Pompidou un peu avant sa mort en 1974 et permettra à Claude et Paloma, les enfants de Pablo et d’Olga Kokhlova de faire valoir leur droit à une partie de l’héritage.
Maurice Rheims sera ébahi par la profusion des œuvres qu’il découvrira entreposées dans les différentes demeures de Picasso, notamment à la villa La Californie, où, dans les sous-sols , se tiennent dans la pénombre des milliers de sculptures, de céramiques. Picasso utilisait la sculpture quand il éprouvait des difficultés à exercer la peinture. On voit au nombre que ces difficultés ont certainement dues être régulières et nombreuses. Rheims évoque aussi son ébahissement double à découvrir le classement méthodique de chaque œuvre par l’artiste, une méthode aussi monstrueuse finalement que sa création.
Je repense à mes visites chez Thierry Lambert, à la même profusion entr’aperçue, A toutes ces œuvres, empilées quasiment des murs aux plafonds, partout dans toutes les pièces de la demeure de la Sapineraie à Sainte Hilaire des Rosiers. Je crois que c’est pour cette raison principalement que je me suis retiré sur la pointe des pieds, que j’ai rompu peu à peu la relation et les projets que j’avais proposés de réaliser, notamment ces interviews sur l’art brut, et sa démarche artistique. Il n’y a pas eu de dispute, juste une énorme gène qui est venue en moi-même. Je crois que je ne me suis pas senti à la hauteur, pris soudainement par une bouffée d’humilité sans doute mal placée comme c’est souvent le cas quand cette forme l’humilité se présente à moi. Je ne crois pas qu’il s’agisse de jalousie, c’est bien plus un constat qui m’assomme comme m’assomme l’ennui généralement. Une chape de plomb qui s’abat, et qui m’étouffe. C’est-à-dire que je revis aussitôt l’enfermement personnel dans lequel je réside, me complais, me réjouis autant que je m’en plains et qui m’indique simultanément les limites de ce que je pense être ma bienveillance, ma générosité.
J’imagine qu’il s’agit d’un simple reflet de ce que j’aurais pu être, prétention, orgueil compris dans le lot, c’est-à-dire encore une fois cette haute importance conférée à l’art et qui dissumule souvent une haute importance à l’ego. Ce qui crée aussi en moi presque aussitôt un étau dont les deux machoires sont le dégout et l’admiration. Et à chaque fois il me semble evident que ma seule issue pour ne pas être broyé est toujours la même, une fuite.
Je ne sais toujours pas s’il s’agit d’une formidable lacheté, d’un trait de caractère marquant une résistance à tout cliché qui se formerait en moi-même, et qui serait soudain insupportable, un manque de générosité, d’humanité… toujours cet embarras du choix face au faisceau des raisons plus ou moins plausibles.
Embarras qui m’entraine vers la désertion systématique au plus fort des batailles intérieures.
Alors la sanction tombe presque aussi systématiquement, dérision de soi, catatonie, mépris de tout ce que je suis, possède, imagine, crée. On ne peut pas vraiment être ainsi dans le meilleur état, propice à se dire artiste, voire peintre ou quoique ce soit dans ces moments là; le ridicule, Dieu merci, nous en préserve.
La peur du ridicule, d’un ridicule vis à vis de soi surtout car je n’ai aucune crainte de l’être devant qui que ce soit paradoxalement. J’imagine que cette peur du ridicule est très proche de l’idée de ma propre disparition finalement, surtout quand c’est par la sensation physique qu’elles s’approchent , sans crier gare ; bien plus qu’en pensée, avec logique ou raison, philosophie.
J’associe ces notes à la lecture du livre de Cocteau, « Démarche d’un poète » dont j’ai avalé une bonne moitié hier soir.
Je ne sais ce qui m’hypnotise tant dans cette histoire et dont je sors à chaque fois comme meurtri. Est-ce que j’ai besoin de me meurtrir ainsi à tout bout de champ, peut-être. Certains hommes ne peuvent rien faire avec la joie, avec le simple plaisir d’être, il se mettent des bâtons dans les roues à loisir, ils sont d’une complexité tellement complexe qu’au bout du compte ils en deviennent simples d’esprit, idiots.
L’art un peu trop souvent, est pour moi proche de l’idée de délit, de l’insulte et c’est bien dommage, dans le fond c’est là le résultat d’une éducation petite bourgeoise, on voudrait faire mieux que le père, remplacer le père, le tuer au besoin. C’est toute l’histoire de l’art dit moderne du XX ème siècle et qui n’est pas encore digérée par certains dont je fais partie je crois. Ces admirations sont louches tant elles font ressurgir l’idée d’un confort, d’une volonté grégaire, d’un fantasme plus ou moins avéré de sécurité.
Une coupable industrie, ça me va assez bien comme terme