
le bégaiement de Ponge associé à son obstination aura produit quelque chose. Je possède ces deux atouts sans conteste. Et aussi la même tristesse provoquant à peu de chose près la même méchanceté. Mais ce n’est pas une nouveauté, quelque soit l’écrivain les circonstances atténuantes déferlent. C’est une sorte de maladie, être hypocondriaque en littérature, c’est se découvrir tous les symptômes de l’autre. Ce qui n’est pas une sinécure. Enfin bref, allons-y.
Le blanc entre chaque mot, évidence de nos jours, ne l’était pas pour Thucydide. Que prendre pour objet dans ce nouvel exercice d’écriture ? le blanc ou le mot ? Si je veux prendre un mug quand je suis ici en train de l’écrire, je me rends compte que je prends le mot plus que l’objet. Et si je dis un mug rempli de café noir, tous ces blancs entre les mots me sautent désormais aux yeux.
L’association du b et du l comme dans bla-bla, blanc, bleu, blairer, blache, qui vient du gaulois blaca (chêne blanc ou pubescent) pubescent signifie couvert d’un duvet de poils fin et court, on parle de tige, de feuille, par extension un adolescent pubescent (Léon Bloy utilise pubescent comme substantif, un pubescent excité)
Le son bl appartient à la famille des sons liquides. Le blanc en raison de la faible cohésion de ses molécules épouse tout l’espace de la feuille vierge, de la toile de coton ou de lin une fois apprêtée.
Le mot mug est nouveau dans mon vocabulaire, il remonte à mon séjour en Suisse, à Lausanne en 1999 jusqu’à 2003. Pour mon départ, je reçu un cadeau de la part de cette entreprise. C’était un ensemble de tasses décorées avec des chatons, qui ne piqua pas ma curiosité pas plus que mon plaisir, c’était juste inespéré, incongru, bizarre. Tenez, c’est pour vous ce sont de jolis mugs.
Mais alors la question se pose comment nommais-je cet objet avant la Suisse ?
Je crois que je ne le nommais pas tout simplement. Aussi loin que remonte mon souvenir je crois que je ne possédais qu’un seul de ces objets. Pour des raisons pratiques avant tout, car mes logis étaient exigus, notamment l’emplacement pour ranger la vaisselle. Le tout était réduit au strict nécessaire. De plus je ne recevais jamais personne dans ces lieux, ou alors à d’extrêmement rares exceptions. Donc il est possible qu’à certain moment j’eusse utilisé le mot tasse par inadvertance. Par pure distraction, ou parce que je ne possédais pas d’autre mot. Il est tout à fait possible que j’aie fait de même avec les mots qu’avec les objets, en conserver très peu finalement, juste le nécessaire strict. Encore que dans mon esprit l’association branlait entre grande tasse et petit pot.
Autrefois, lorsque j’étais enfant, à Villevendret chez mes grands parents, et aussi à Paris, dans l’appartement de la rue Jobbé Duval, le café se prenait dans des Mazagrans, je mets une majuscule j’imagine parce que c’était souvent le dimanche, à des occasions particulières qu’on les sortait des affreux buffets Henri II. Les mazagrans sont donc pour moi des récipients de luxe, des tasses hautes, proche par leur aspect des verres à pied. Sauf que le Mazagran ne comporte pas d’anse, comme les mugs.
La matière des tasses que je n’appelais pas mug mais qui en sont cependant, sont souvent en terre cuite, en grès, ou en porcelaine, il y a dans ces matières quelque chose de rassurant, une sorte d’intimité s’effectue s’apprend entre les lèvres et le rebord de ces hauts bols cylindriques.
A certain moment ma vie changea, j’obtins l’abondance, et en même temps plus de mugs, voire parfois une compagne. Peut-être celle-ci mettait-elle dans le pot commun ses propres mugs et moi le mien, c’est souvent ainsi dans les associations humaines. Et remarquable inégalité aussi en passant. Mais je préférais toujours le mien, je n’en pris jamais un autre dans mon souvenir. Lorsqu’il était sale je préférais le laver que d’en utiliser un autre.
Je n’aime pas vraiment la sonorité de ce mot mug, qui me rappelle le meuglement, le mugissement, et aussi , par ricochet, des périodes assez difficiles de ma vie passée. Des périodes où ne pouvant bénéficier de cafetière, ni de café moulu, j’utilisais de la poudre de café lyophilisée en laissant couler le robinet d’eau chaude pour obtenir une substance se rapprochant au plus près du brûlant.
En pension, en mon adolescence, qui n’était guère celle d’un pubescent excité. En retrait d’autrui déjà, je fabriquais cette mixture et j’en étais satisfait. Elle me procurait une indépendance, proche du sentiment de liberté, utile pour ensuite endurer les journées.
Après avoir savouré mon premier café lyophilisé, je pouvais suivre le troupeau à la chapelle, réciter ou ânonner quelques psaumes, puis parvenir à la table collective du petit déjeuner, observer patiemment la gabegie, et me retenir de demander quoique ce soit, surtout pas leur affreux café flotte trop léger. Dans mon adolescence j’utilisais le verre à dent pour boire ce café lyophilisé, je crois que j’ai toujours aimé vivre de façon spartiate.
Le blanc s’oppose au noir du café, il y a cette petite affichette quelque part dans la mémoire rédigée par Talleyrand.
Noir comme le diable, chaud comme l’enfer, pur comme un ange, doux comme l’amour
Du coup je ne sais plus vraiment ce que je voulais dire, quel objet a donc été choisi pour l’exercice ?
Est-ce le blanc, le café, le mug, le mazagran, ou encore s’agirait-il une fois de plus ( comme toujours et comme c’est agaçant) de moi tout simplement.
Encore raté donc, il faudra recommencer encore et encore jusqu’à la fin, à la disparition totale.
Alors un papillon se posera sur ton nez.
Viser le mug de loin et ne jamais le toucher.
Tous les endroits d’une pièce où le mug sera posé, déposé, comme on dépose un poids pour s’alléger, la plupart du temps sans y penser parce que justement une pensée surgit, qui entraine un déplacement, et l’oubli de cet endroit précédent.
Admettons qu’un mug ne soit pas seulement un mug, mais un symbole. Un symbole dont on ne peut se passer pour créer une relation entre le monde innomable, invisible, inaudible et soi. Le café est le contenu du contenant tenu par un con au milieu d’un pièce de théatre à laquelle il ne comprend strictement rien. Dans mug il est possible que se cache le mot tug ou thug qui de mémoire est une secte d’assassins. Parfois il m’est venu à l’esprit que je pouvais être un assassin refoulé, que le t de thug s’affadisse en mmmug.
Meugler n’est pas mon fort pas plus que brailler, encore que je devrais sans doute apprendre le braille vu mon aveuglement de plus en plus progressif. Se retrouver aveugle à chercher son mug dans l’atelier ne serait sans doute pas pire que de ne plus savoir où je l’ai mis.
Avec l’abondance excessive il m’arrive désormais d’abandonner certains préceptes tellement utiles jadis. Je me surprends à prendre plusieurs mugs, puis à les poser je ne sais où. Peut-être que la sénilité commence comme ça. On ne sait plus où l’on pose les choses. Les choses transitent par nos mains mais elles acquièrent une sorte d’indépendance. Les choses se foutent de nous. Sénilité et paranoïa peuvent aller ensemble comme larrons en foire.
Détachons les lettres créons de l’espace entre elles. Le m le u le g.
Si on ote le u qui ne sert sans doute pas grand-chose quand tout est de l’hébreu, que reste t’il ?
MG
Comme dans image, imaginer, mage, magie. Ainsi le mug est peut-être un ersatz de baguette mgq
En tous les cas la main a besoin de tenir cet objet à période régulière, pour donner une contenance à l’ensemble. Comme la cigarette
Ce n’est pas rien de se donner une contenance. Cela est à rapprocher du liquide qui remplit le vase, le verre, qui prend la forme du contenant qu’on lui offre.
Ne serais-je rien d’autre qu’un liquide, un gaz, une vapeur qui ainsi attend d’obtenir une contenance ?
Le mug est le microcosme dans ce cas, une image fétiche que je trimballe d’un lieu à l’autre de l’atelier, un grigri. Ai-je quoi que ce soit à voir avec les marabouts. Suis-je moi-même marabouté ?
Ai-je croisé un praticien du vaudou me condamnant à porter un mug toute la sainte journée, m’obligeant malignement à le poser, le déposer, et l’oublier. Puis le chercher souvent en vain, et donc à me diriger vers l’étagère de la cuisine, là où toute une collection de mugs sont alignés; pour en prendre un autre et encore un autre et ainsi de suite ?
Suis-je frappé par la malédiction des mugs ? Ou alors mon dégout de l’abondance m’a-t-il emporté vers l’ultime frontière, celle de l’indifférence totale, là où le manque et l’excès ne font plus qu’un ? Là ou avoir un mug ou mille n’apporte absolument plus rien de plus que tout ce qu’on a déjà compris de la vie.
Peut-on être frappé par une quelconque illumination, rejoindre la stupeur totale, le nirvana seulement à l’aide du mot mug représentant l’objet mug ?
Peut-être aussi que l’usage du mug s’atténuant de plus en plus dans ma vie quotidienne est-il le signe d’une dégénercence. Depuis que je ne fume plus le fait est, je bois bien moins de café, et donc, je ne me sers presque plus de mug.
Le mug est une sorte d’image résiduelle de mon existence passée, une sorte de pierre tombale que je continue à porter à bout de bras de temps à autre sans même y penser, par habitude.
Mais l’ici-git qu’il représente reste indécis, mouvant, antitétique.
Le mug semble dire plutôt ici rien ne git de plus que ce qui déjà git.
Le mug serait-il un intermédiaire entre le monde des vivants et des morts ?