
Peut-être est-ce le bon moment de parler des limites que devrait nous ( nous pour ne pas subir ici, faire subir, l’inconfort du je) imposer notre propre perception du monde, si toutefois on conserve à l’esprit que cette perception n’est pas la réalité mais une construction de l’imagination. Des limites clairement établies une fois pour toutes nous aideront à mieux nous mentir. A mieux nous mentir à nous-mêmes, plus habilement, jusqu’à transformer l’art du mensonge en loisir à défaut de littérature authentique Peut-être pourrions-nous alors nous surprendre nous-mêmes. Car, avec quelques précautions, quelques efforts, un peu d’audace, un zest de discernement , nous laisserions de coté les clichés, les poncifs, toute chose vue ou entendue et dont nous nous servons comme de programmes en boucles, pour effectuer ce genre d’opération médiocre quand ce n’est pas l’utilisation abusive d’un outil prétendument intelligent et totalement artificiel.
Lorsque nous voulons raconter notre vie, nous sombrons si facilement dans le récit, nous réinventons la plupart des événements, des êtres, nous fabriquons des décors, des personnages, très souvent à seule fin de nous glorifier, de ne pas trop exprimer la honte, la lâcheté, la roublardise, de nombreuses de nos interactions avec les autres, avec la vie- soit à nos propres yeux avec une mauvaise foi atterrante, soit aux yeux des autres dont la plupart du temps nous ne savons rien.
Encore faut-il, pour éprouver cette gène fondamentale, avoir vraiment pris conscience de l’absurdité de tout récit de cette catégorie. Car, très souvent, nous sommes victimes de cette obsession qu’il devienne crédible- avec tout ce que nous imaginons de ce que peut être cette crédibilité– aux yeux d’un public, inventé, rêvé lui aussi.
Nous voudrions être l’acteur le plus important de notre récit et, bien sur, erreur de débutant, nous projetons cette importance sur ce public fantasmé.
Mais si l’on prend les choses en sens inverse. Si on part du principe que la plupart des gens se fichent éperdument de toute autobiographie, que la plupart des gens sentent intuitivement que l’autobiographie est une fiction, on peut changer son fusil d’épaule. On peut alors dire: “ ceci est une fiction, n’en croyez pas un mot, ceci est un personnage, cela est une histoire comme tant d’autres.”
Au début, ne pas saisir l’importance de ces limites est une histoire banale.
Il est possible que le parcours d’un écrivain consiste à saisir cette notion de limites. Le plus tôt il les sentira, le plus tôt il pourra les utiliser pour en jouer et écrire des histoires intéressantes. Et qu’est-ce qui intéresse les gens la plupart du temps dans les histories qu’on leur raconte ? C’est de s’y retrouver eux-mêmes surtout. De retrouver leur problématique principale, la banalité de leur existence. N’est-ce pas là une bonne clef pour ouvrir la bonne serrure : partir de la banalité de l’existence, celle dans laquelle nous vivons tous, et transformer celle-ci quelques instants, le temps d’un livre, en quelque chose d’extraordinaire. Une banalité qui se modifie peu à peu, qui se métamorphosera au fur et à mesure des pages que l’on tourne en quelque chose d’extraordinaire. Et cette double action écrire- lire ne permet-elle pas d’acquérir, aussi bien pour l’auteur que pour le lecteur, un nouveau point de vue sur ce qui à première vue est considéré comme banal et par ricochet ce que nous considérons d’avance surtout d’imagination, comme étant l’extraordinaire ?
Ce sont donc bien sur ces limites que le travail doit s’accomplir. Et peut-être qu’une fois aperçues, une porte de sortie apparaisse, permettant à l’écrivain de sortir de son autobiographie. De prendre en tous cas du recul avec celle-ci, de la transformer en autre chose qu’une plainte, un obscénité ou un outil thérapeutique.