Esquisse d’une sensation ( exercice d’écriture )

Variations autour de la sensation d'une transition de saison, tout ce qui arrive sans y penser, le premier jet, sans réécriture, ou,   autre expression : improvisé. L'improvisation valant peut-être ce qu'on entend par préparation. Préparation comme en cuisine, préparer un plat, puis le dresser ensuite dans l'assiette sur une table. Avec ou sans fioriture,  suivant l'humeur, les circonstances, l'ordinaire, l'extraordinaire, amitiés,  fêtes, naissances, mariages et enterrements.

Ce que déclenche en tout premier lieu, l’idée de la variation d’une phrase, c’est mon inaptitude à la réécriture. Ce blocage face à la musique. Cet excessif respect face à toute musique désormais après en avoir tâté et reconnu cette inaptitude. Après m‘être fourré cette sensation d’inaptitude dans le crâne surtout. La sensation qu’on ne peut pas refaire ce qui vient d’être fait. Qu’il faille passer par une forme de destruction irréversible du passé pour recréer à vif. Et aussi, en opposition, cette sensation que ce qui est fait ne l’est pas entièrement par moi ou je. La sensation que réécrire c’est mettre un peu trop je en avant comme chef des opérations. La sensation que je ne suis pas que je quand j’écris. La sensation qu’éprouve le petit je ballotté par la langue , qu’ il le sait pertinemment, que ça, la langue, n’appartient pas qu’à lui. La sensation de vouloir entrer dans une langue qui en grande partie se refuse en raison d’une croyance qu’on y est avant tout pour moitié étranger. La sensation que si je me voue entièrement à la langue française je trahis la langue maternelle. Je les trahis car j’emprunte une autre langue, je les trahis tous ceux qui s’exprimèrent autrement qu’en français, en estonien, mais aussi dans le français de tous les jours, le français ordinaire, le français d’une époque, le français d’une période économique, politique, le français comme creuset de tous les drames, de toutes les tragédies, le laisser aller du français dans la violence verbale, la médiocrité, et parfois aussi sa tendresse très privée. L’exercice qui consiste à partir d’une sensation, de la tentative d’écriture de cette sensation, du manque que l’écriture en premier lieu ne peut dire. Comment est-ce que je m’en sors, ou plutôt ne parviens jamais à m‘en sortir, de cette traduction personnelle de la sensation. Comment je l’esquive, comment je ne m’y appesantis pas alors que je m’appesantis sur tellement d’autres choses. comme pour me divertir, pour m’aveugler par et dans le divertissement. Comment je peux aussi me mettre à délirer au travers de cet exercice de traduction, devenir fou à lier parfois, en essayant de rejoindre quelque chose qui m’échappe en lui échappant moi-même le plus souvent. C’est à dire en bottant en touche.

Le piège est-il dans ce délire comme échappatoire au véritable travail ? C’est à dire de parvenir à dire la sensation, le simple passage d’une saison à une autre. Sans doute parce que la sensation vient de loin, que lorsqu’elle ressurgit elle m’ébranle dans mes certitudes, la certitude d’arriver régulièrement au bout de ma vie notamment. Non, quand cette sensation ressurgit, elle gomme cette certitude. Je me retrouve souvent l’enfant que j’étais. Je me retrouve en tant qu’enfant. La sensation me transforme, fait voler le temps en éclats, la sensation de passer de l’hiver au printemps comme une métaphore d’une autre sensation plus onirique encore de la vieillesse qui passe à la jeunesse. Évidemment qu’Il doit bien y avoir un lien mais comment ça se fait que cette sensation surgit la toute première fois, lorsqu’on sort de l’hiver, vers mettons 6 ou 7 ans ? Se sentir déjà vieux que d’aspirer à la jeunesse ainsi tiendrait-il. Que me raconte cette sensation lorsque je la vois surgir en moi soudain sur le chemin de l’école un matin. Comment je la perçois comme retrouvailles déjà dans le chant des oiseaux, dans une légèreté nouvelle de l’air qui caresse la joue. A quoi je pense en éprouvant enfant cette sensation à la sortie de ces hivers si longs déjà, interminables, est-ce que je pense d’ailleurs à quoi que ce soit, ou bien n’est-ce que la sensation du corps qui a moins à lutter tout simplement, qui se sent débarrassé d’un poids, celui des lourds vêtements d’hiver, les ayant troqué pour des tenues plus légères. Le retour du short, de l’air frais sur les mollets.

Quelles images viennent simultanément avec la sensation, la sensation qui charrie, la sensation comme le Cher qui coule en bas sous le grand pont et qui charrie les flaques de sang des abattoirs voisins, mais pas seulement, parfois aussi un tronc qui flotte, une transparence au travers de quoi on aperçoit, dans son lit au lever du soleil, des cheveux d’algues d’un vert tendre. Charroi et sensation. Et cette expression qui revient comme un cheveu d’ange dans l’air léger, que disait-elle déjà ? —arrête de charrier, tu me charries, tu charries — Quelque chose est transporté d’un lieu l’autre, d’un temps l’autre par la sensation qui ressurgit. La sensation me transporte, comme la musique peut me transporter, comme les variations musicales qu’on reconnaît sans vraiment en prendre conscience au moment où on les entend. Parce qu’on ne fait qu’entendre on n’écoute pas. Parce que je n’est pas seul à l’écoute, il ne peut l’être, ce serait un illogisme. Parce qu’il faut dépasser beaucoup de difficultés pour écouter vraiment, notamment celle du cœur qui cogne dans la poitrine, la douleur que ça fait dans la poitrine et qu’on ne peut pas dire, la douleur qu’on garde pour soi dans la poitrine. Pour soi ce n’est pas que moi ou je, c’est bien autre chose, c’est un ensemble. Cette douleur que l’on aiguise comme un bâton de réglisse pour pouvoir la sucer, s’en nourrir, et à la fin des fins pouvoir même en éprouver un certain plaisir. Un plaisir solitaire à marcher sur le chemin de l’école en éprouvant cette sensation d’un cœur qui se serre envahit soudain par le chant des oiseaux, qui se brise se fend, éclate comme une bogue de marron à la moindre sensation retrouvée d’une légèreté de l’air, d’ une transparence entr’aperçue entre les flaques du sang qui flottent à la surface du Cher. Est-ce qu’il manque encore quelque chose à cet instant de l’écriture de la sensation, est-ce que quelque chose de terrible se dissimule encore après cet écoulement de mots qui charrie des flaques de sang, des zones de douleurs, le vert des algues qui dansent sous la surface des eaux. La sensation très présente de la mort se dissimule encore. Et aussi le contentement de voir ressurgir comme une issue à cette peur dans l’arrivée soudaine du printemps, dans le chant des oiseaux, quelque chose de violent et de doux en même temps.

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