Variations sur le passage entre les saisons

Troisième coup

Je coupe le contact, tourne la manette du commodo, plus de phare, il ne fait pas encore tout à fait nuit. J’ouvre la portière, pose un pied à terre, prend appui pour extirper le corps entier du véhicule, n’oublie pas le pain, le sac, la plaquette de Nicopass. Tout cela dans l’habitude, des gestes qui s’enchaînent les uns après les autres, rodés de longue date. Fermeture automatique des portes, la veilleuse du haillon arrière reste allumée encore un peu, le corps entier se redresse, la lanière du sac à l’épaule, le déplacement depuis le parking pour rejoindre le trottoir, la tête est vide, elle peut accueillir tout ce qui se passe ici. Il suffit de marcher lentement, de ne pas se presser, d’être aux aguets. Assez vite le même faisceau d’indices. on s’aperçoit surpris, l’hiver est passé, nous voici au printemps.

L’entrée dans l’été, met fin à la routine, la fin des MJC des ateliers, vers la fin de juin. Ébranlé par la vacuité toujours imprévue, le petit jeu de l’inattendu. Un allongement soudain du vide entre deux gestes à faire, une impression factice d’avoir le temps. La chaleur monte doucement du sol, rebondit sur les murs, les fleurs embaument, la couleur excite. La nuit est attendue, le petit jeu des insomnies délicieuses, la nuit l’été vaste et tranquille, une béance paisible, je dors encore moins l’été, j’en profite de ces nuits.

Les premières flétrissures, et puis cette odeur un peu aigre-douce dans l’air, ce subtil refroidissement des lumières, des couleurs, qui tentent d’aller au contraire vers les ocres, les roux. Le ciel est peuplé, les fils électriques sont des portées, l’installation des vogues, l’iridescente des bogues, puis le jour recule. Défaite générale des feuilles, premieres exodes, changement de température, la rentrée des classes, l’odeur des fournitures, l’écorce des platanes, les foules sous les préaux, des vapeurs montent des terres, l’humide et la boue créent des golems que les grands vents balaient, l’ombre peu à peu progresse.

L’hiver c’est la neige, avant le froid c’est la neige, l’hiver n’est rien sans neige. L’immense paix que procure la neige aux alentours comme au centre, le bassin dans le jardin. Verdict: la neige acquitte tout ce qui dépasse. Le poids de la neige sur la branche docile qui l’accueille en s’affaissant doucement, la branche et la neige une longue un progressive révérence. La chaussure protège le pied, la grosse chaussette autour du pied, marcher sur la neige dans la nuit du matin, l’entendre craquer sous les pas, seul bruit dans la rue, dans la tête. Sur les fils électriques les notes ont disparues, le ciel passe du bleu sombre au gris puis au blanc laiteux, le temps d’un aller jusqu’au portail de l’école, en rang deux par deux on entre dans la salle de classe, craie blanche, encre violette, au fond il y a le vieux poêle qui ronronne, la chaleur nous assomme, l’œil tente de s’évader du tableau noir, de rejoindre dans la cour et plus loin le ciel, somnolence de la nature aspiration à cette engourdissement très fort, on ne résiste guère.

2 réflexions sur “Variations sur le passage entre les saisons

  1. Très beau texte.
    La neige a hélas disparu de Paris, il faudrait aller aux « sports d’hiver » (donc embouteillages aux tire-fesses puis sur les pistes après le périph’ et les péages autoroutiers).
    Sensation des pas perdue dans la surface blanche sauf en mémoire. Craquement de paillettes. Les nuages lacrymogènes en seraient une sorte de substitut volant ? :/:

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