
l’épouvante de la pauvreté, de la misère, était planté en ce temps-là devant chaque fenêtre de la maison. C’était une démultiplication de l’épouvante comme autant d’arbres plantés là qu’on apercevait aussitôt qu’on voulait se risquer à jeter un regard vers l’extérieur. Les arbres étaient devenus menaçant. Les arbres et tout le reste, tout ce qui pouvait former l’image d’un paysage. Les collines au loin, les grands champs, les haies entre les champs, les murs, le poulailler, les hangars, un tracteur à l’arrêt, les silhouettes des oiseaux sur les fils électriques, les poteaux téléphoniques.
Les habitants aussi étaient épouvantables. Bien qu’ils fassent tout leur possible pour le dissimuler. Ils vous souriaient, vous disaient des choses agréables et gentilles, puis aussitôt que vous tourniez le dos il vous y plantait une faux, un pieu, un couteau. L’épouvante était l’élément constitutif premier de la campagne. Et le soleil quand il sortait, essayait de me changer les idées, faisait beaucoup d’effort, nous faisions beaucoup d’effort avec le soleil conjoint quand il sortait, mais ces efforts n’y changeait rien. Ce n’était guère plus qu’un nouvel emballage dont il fallait se méfier.
Mon père disait il faut être riche pour ne pas être pauvre, le dimanche à table en découpant le poulet, ça m’est resté. C’était à l’époque une drôle de phrase, surtout quand on l’associe à la ficelle qui claque en éclaboussant le nappe blanche de sauce, la ficelle qu’on tranche d’un coup de couteau, mais dont on ne maitrise absolument pas la réaction ensuite. Elle claque et éclabousse la nappe blanche de sauce brunâtre. C’est autre chose que le un jour tu te souviendras de la soupe que tu n’aimes pas et tu la regretteras, que disait ma mère en tranchant le cou du lapin attaché au poirier du jardin.
Il faut être riche pour ne pas être pauvre et profiter de la soupe quand il y en a. Bel enseignement quand j’y repense. De quoi résister à l’épouvante encore de nos jours à ne pas en douter en creusant bien.
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