Se faire défoncer


( Morceau de fiction, monologue intérieur )

Les gens, les institutions te disent les choses une première fois. —Sois gentil, paie tes impôts, marche dans les clous. Ce genre de chose. Ils considèrent qu’une fois dites elles sont entendues, qu’elles vont de soi. Si tu ne les as pas bien comprises, ils se chargent de te les faire comprendre. Se faire défoncer la gueule par les gens et par les institutions c’est pas exagéré comme expression parce que c’est littéralement ce qui arrive par la suite. Quand tu n’as pas bien entendu, quand tu n’as pas bien compris, tout le monde considère d’emblée que tu ne veux pas comprendre. Que tu y mets de la mauvaise volonté. Ce qui n’est pas tout à fait juste. Au début je m’en souviens j’étais de très bonne volonté. Trop même. Je disais bonjour à tout le monde dans la rue, même aux inconnus. J’ai vite compris que quelque chose ne tournait pas rond. J’ai vite compris que j’étais décalé par rapport à la réalité. Ensuite j’ai voulu savoir ce qu’était cette fameuse réalité. Je n’ai pas été déçu.
Je crois qu’au tout début j’aurais aimé être poète, les petites fleurs les petits oiseaux ça m’allait bien, pour me tenir en tous cas le plus éloigné possible des tous les miasmes. Mais ça ne marche pas comme ça, c’est trop facile. Et puis la poésie ce n’est pas du tout ça. Il faut rentrer dans le dur, dans le maquis, ne pas être gentil comme il faut. Il faut beaucoup ruer dans les brancards. Il faut se faire défoncer correctement voilà tout. Ensuite, soit tu arrives à t’en relever et t’es poète, soit tu deviens moins qu’un clébard, une loque humaine, un pisseux, un foireux, tu deviens gentil par faiblesse, par peur, et bien sur; tu paies tout rubis sur l’ongle, tout ce qu’on te demandera et même plus, tout ce qu’on ne te demande pas. Une fois que t’as bien pris le pli ça passe presque comme une lettre à la poste.

J’ai trouvé bien plus de poésie chez les prostitués que chez Ronsard. Ca ne plait pas beaucoup au gens quand je dis ça mais c’est la vérité vraie. Je veux dire que je pourrais écrire des odes à la veulerie, sans pour autant en être fier, ce n’est que ça le job. La poésie n’est pas dans les jolis mots pas plus que dans les petites fleurs et les petits oiseaux. La poésie je la vois bien plus dans la démarche lasse d’une fille qui grimpe son escalier et dont le talon de sa godasse se décolle et qui se dit —merde mon talon se décolle encore. Je veux dire que la poésie chez les putes nécessite de revisiter de fond en comble la notion d’importance en général. Vous savez ce qui est primordial, ce qui est nécessaire, ce qui est inutile. Ce qui est secondaire en gros chez les putes ce sont toutes les putains de simagrées des michetons, des bons pères de famille qui pendant que bobonne va au supermarché ou chez son coiffeur, se retrouvent comme par miracle rue Blondel à faire les cents pas n’arrivant pas à vaincre l’embarras du choix. Ce qui est secondaire chez les tapins c’est lorsque toutes ces petites bites se permettent de les toiser de haut quand ils sont en famille, alors qu’ils sont capables de bouffer leur merde dans leurs alcôves perchées au bout d’un escalier crasseux. L’important et le secondaire s’inverse mystérieusement et il faut être là pour observer ce genre de métamorphose. Il faut se faire défoncer la tronche en long en large et en travers avant cela bien évidemment, se mettre au même niveau que l’amer le plus amer. C’est à se moment là que soudain l’important et le secondaire s’inversent, qu’on en reste baba d’émotion, que le cœur soudain éclate, que la fulgurante saloperie du monde s’engouffre toute entière dans l’alambique. Ensuite le boulot consiste en une longue distillation à effectuer patiemment. Traversées de la colère, de l’injustice, de l’égoïsme, de la générosité à deux balles, de l’amour à la con, des idées toutes faites, Des va et vient incessants pour parvenir en boitant à une forme d’équilibre. Et surtout au moment où l’on croit enfin l’atteindre ce fichu équilibre, se remettre sur le trottoir, attendre de dérouiller encore une fois, se faire à nouveau défoncer la gueule, ou autre.

De prime abord la saleté nous aveugle. On apprend très jeune à aimer la propreté, et à haïr la saleté. Comme on apprend très jeune à ne pas mentir, à ne pas voler, à ne pas casser la gueule de ses voisins. Par la crainte des conséquences, on fini par apprendre beaucoup. Mais on a bien le droit de s’en agacer au bout d’un certain temps, surtout lorsqu’on observe que certains ne se gênent absolument pas pour ne pas respecter toutes ces règles. Souvent d’ailleurs ceux qui nous les assènent. Ils tirent leur plaisir à pondre des règles qu’ils ne respectent pas eux-mêmes, non, ce n’est pas tout à fait cela. Ils tirent un plaisir supérieur à défoncer la gueule de ceux qui ne respectent pas leurs règles, voilà c’est mieux. On met un temps certain à comprendre cela. Et aussi qu’en fait ils adoreraient se faire défoncer la gueule eux-mêmes. Ce sont les mêmes qu’on retrouve sur le ventre des putes, ce sont des PDG, des Chefs, des Célébrités des baveux, des docteurs, des pauvres types dans le fond tous. Ces gens qu’on vénère et qui savent bien au fond d’eux-mêmes toute la supercherie de toute vénération. La solitude que cela entraine. Et les putes ne se mêlent pas du tout de compatir à leur égard, elles leurs bottent correctement le cul, ils crient ils pleurent, elles s’en tapent du moment qu’ils paient. L’argent est le remède général, la panacée à tous les maux, le fric la thune. —Tu paies mais tu ne plantes pas ta putain de langue dans ma bouche. Il y a des limites strictes à ne pas dépasser, sinon c’est moi qui vais te défoncer la gueule, te trouer le cul. Si ce n’est pas de la poésie tout ça, je me demande bien ce que c’est.

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