
( exercice d’écriture, s’entraîner à croquer de petites scènes ordinaires de la vie de tous les jours )
—C’est difficile d’être méchante quand on est gentille. C’est ce que dit cette pouffe à sa copine, à la table d’à côté. Moi qui suis venu là pour être peinard, c’est raté. J’ai dû rester encore cinq minutes, le temps d’attendre la monnaie. C’est vachement long cinq minutes à écouter des conneries. La blondasse doit pas être loin de devenir championne régionale de débitage de conneries. En tous cas, elle a l’air d’y mettre du cœur. Encore une qui deviendra amère à la cinquantaine quand elle découvrira à quel point elle s’est gourée de sens dans le trafic. Mais à la cinquantaine il est généralement trop tard. Elle aura son Gégé incrusté dans le canapé IKEA, avec son gros bide, sa kro à la main et sa bite molle en berne, en train de mater du foot sur grand écran. Elle aura beau lui faire la moindre réflexion sur la vie de cons qu’ils mènent , le prier sur tous les tons de se retirer les doigts du cul, elle fera chou blanc. Prendre une petite voix melliflue pour demander —Chéri peux-tu sortir les poubelles ça commence à puer… Que nenni. Le Gégé sera sourd comme un pot évidemment. Peut-être même qu’il montera le son pour bien rester en immersion au stade des Princes. Et là, quand je la regarde elle a quoi, vingt piges à tout casser, beau châssis, tête vide.— c’est difficile d’être méchante quand on est gentille.
—Pauvre conne me suis-je dis tout en leur souriant gentiment . Puis je me suis levé pour quitter l’établissement une fois la monnaie enfournée dans la poche. Le loufiat faisait la gueule, j’aurais laissé un pourboire ç’aurait été strictement pareil. Les loufiats sont des sales cons en général, Il faut bien appeler un chat un chat non.
—Mieux vaut qu’on en reste là. Ça lui avait coûté de tapoter ces quelques mots, mais beaucoup moins que de composer le numéro et de l’avoir en direct. Maintenant la pression retombe , il se sent mieux, il a presque l’impression d’avoir été courageux. Le texto l’a soulagé à un point. Et ce bizarrement avait été si simple, alors qu’il revoyait mentalement ces derniers jours où il s’était pris la tête . Sur le comment lui dire que c’était fini qu’il n’avait plus envie de la voir, qu’elle le gonflait, qu’avec elle surtout il se sentirait toujours perdant. Il resta un instant à considérer son écran de smartphone. Il rouvrit l’application pour être certain que le message était bien parti. C’est à ce moment là qu’il s’aperçut qu’il s’était gouré de numéro de téléphone. Il avait envoyé le message à son patron. Quelques instants plus tard la notification arriva. — ça tombe bien que vous preniez l’initiative , j’allais vous le dire.
— Monsieur, monsieur, ça va aller ? Le jeune homme qui se penchait sur lui avait une gueule de con mais il n’arrivait pas à savoir s’il lui en voulait à lui qui voulait l’aider à se relever, ou bien à lui-même qui s’est étalé de tout son long sur la chaussée. Un peu des deux sans doute. Il maugréa un ça va ça va fichez-moi la paix et parvint à se relever tant bien que mal. Le type le palpait en lui redemandant si tout allait bien… Monsieur, monsieur, rien de cassé vous êtes sûr ? Il le toisa en se redressant du mieux qu’il le pouvait de toute sa stature et se fendit d’un —ça va, je vous remercie. Le type parut rassuré, il lui posa une main sur l’épaule et dit encore — sûr ça va aller ?
— Sûr !
Puis ils se séparèrent chacun allant de son coté. A un moment en poussant la porte de la boulangerie, il regretta d’avoir été un peu brusque avec le jeune type. C’est au moment de payer son pain qu’il s’aperçut qu’il n’avait plus de portefeuille.
— Désolé j’ai dû oublier mon portefeuille à la maison dit-il à la boulangère. Puis il revint dans la rue un peu plus triste que lorsqu’il l’avait quittée, mais son pas s’en trouva tout à coup beaucoup plus affermi.