Faire des étincelles

Ce que l’on comprend seul d’un événement, d’un texte, d’une parole dite. Ce que l’on fabrique seul de tout ça. Quitte à être totalement à côté de la signification qu’attribue la collectivité. Tout chemine de la naïveté première, par la bêtise-soi-disant- puis par le malaise, la culpabilité, le jugement, l’enfermement, la libération et la rédemption qui est le retour chez soi, le retour à sa propre naïveté qui vaut bien toutes les sciences entr’aperçues dans ce périple. Faire d’une tare, d’un égarement, d’une solitude, une force plutôt que tout ces harassements, ces accablements, qui nous rongent sans relâche. Parce qu’on aurait commis comme le crime de s’inventer un sens personnel à la vie qu’on mène, qu’on sent, aux événements qui ne cessent de se déployer, et d’ailleurs dont personne ne sait le pourquoi du comment mais s’impose l’air d’avoir l’air de savoir, tout ça pour être à l’heure grégaire, à la mode ou je ne sais quoi.
Mais non vous ne pouvez, vous n’avez pas le droit, vous vous égarez ! Tenez allez donc au coin, prenez ce bonnet d’âne, et mon pied au cul, et ma main sur la gueule, en passant.

Comme cela parait naturel désormais d’ânonner , en raison de l’habitude prise tôt, enfoncée de grès ou de force dans le ciboulot.
Je comprends mon attrait furieux pour les silex, leur cassure nette, leur avantage tranchant. Je suis du silex comme on est des villes, de la campagne.

L’obsession de faire du feu en frappant l’un contre l’autre deux silex m’est venue tôt. J’y ai passé comme on passe des rames de papier au déchiqueteur, beaucoup de temps, toute une enfance. Jamais je n’ai obtenu autre chose que des étincelles. Il ne m’est pas venue l’idée de l’étoupe, du foin, de la brindille, du duvet comme combustible. C’est que le feu en lui-même, une fois pris- cette idée majeure partagée par un si grand nombre, ne m’intéressait pas. C’était son origine, la naissance du feu qui me fascinait bien plus que de m’y réchauffer de m’en rassurer ou d’en être éclairé.

La grosse boite d’allumettes sur le plan de travail de la cuisine, une facilité détestable. Frotter une allumette contre la partie rugueuse de l’emballage, faire un tel geste de manière machinale, en pensant aux fins de mois, aux commissions, au linge, aux semis, à l’injustice chronique des quolibets, des critiques, des moqueries, voilà dans quel état ou lieu de l’esprit résidait ma mère une grande partie du temps. Frotter une allumette sans y penser pour allumer le feu sous le faitout, la poêle, l’introduire dans la gueule noire d’un four pour rôtir le poulet, réchauffer ou dorer le gratin de nouilles, se jeter dans cette facilité sans y penser, m’expliqua en grande partie je crois ce vers quoi mène une énorme partie de nos apprentissages. Faire des choses sans y penser, en pensant à autre chose, ne jamais être là mais logé dans l’ailleurs, la rêverie furieuse des lendemains qui chantent.

Battre le briquet, expression attrapé dans un conte de fée, Perrault ou Grimm, non Andersen plutôt : Le petit soldat de plomb. Ou peut-être Riquet à la houppe, je reviens donc à Perrault. Mais peu importe le lieu, l’origine, la référence. Battre le briquet, pour dire allumer la flamme d’un briquet. Cela incite immédiatement à penser la peine qu’il faut infliger à un objet quelconque pour qu’il produise l’étincelle puis la flamme. Toute l’éducation que nous avons subit ne tient-elle pas dans cette expression désuète.
Il fait noir, on n’y voit goutte, mais si l’on bat le briquet l’obscurité, l’ignorance reculeront. Ceci expliquant cela il ne fut pas rare que je choisisse l’obscurité en y pénétrant les mains vides, sans silex, sans allumette, sans briquet.
Je crois que je voulais comprendre cette obscurité, sa nature, sa raison d’être. Me faire ma propre idée de cette obscurité.

Évidemment ainsi en apparence je n’arrive nulle part pour la plupart des gens. Ils ne peuvent se faire une idée de nulle part, désirant plus que tout des lieux balisés, avec des torches de préférence, de grands feux, des feux rouges, des feux de stationnement, des feux de position, des panneaux de signalisation, indiquant le meilleur sens de circulation possible pour ne pas s’égarer. J’aime le soir quand le soleil frappe ou bat les surfaces vitrées des immeubles de la ville. Quand des étincelles surgissent des grandes tours au delà de Neuilly, son pont, du coté de Courbevoie ou Puteaux. Dans ce quartier neuf qu’on nomme la Défense.
Il y a là une sorte de rétribution du minéral, du silex, une intention qui ressurgit du fond des âges. La géométrie, la froideur, les angles aigus, tranchant, les étincelles aux surfaces vitrées beaucoup plus larges, un meilleur accueil à l’étincelle, peut-être une glorification de celle-ci bien plus que partout ailleurs dans la ville de l’autre coté du pont qui enjambe la Seine.

Taper un silex contre un autre jusqu’à ce que l’odeur qui s’en dégage vous prenne le nez, vous enivre, nous avons ce pouvoir depuis le fond des âges. Est-ce vraiment pour nous prémunir contre l’obscurité, pour seulement ça et cuire des aliments et nous chauffer. Je crois que c’est bien plus et en même temps si peu. Peut-être qu’une grande partie de ce que nous nommons poésie provient que de ça. Taper un silex contre un autre, provoquer des chocs dans la minéralité, peut-être du son, pourquoi pas une musique si on prend la précaution d’observer le rythme qui nous conduit. De temps à autre la chair en pâtit, le tranchant de la pierre tranche la chair, le sang jaillit. Il faut peut-être perdre beaucoup de sang ainsi pour créer la moindre étincelle en tapant l’un contre l’autre deux silex. C’est un apprentissage aussi.

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