Visite d’un lieu d’exposition

 

Ou allons nous ?
Techniques mixtes

Hier visite d’un nouveau lieu d’exposition. Une petite salle avec une jolie vitrine donnant sur un étale de fleuriste, village agréable, jour de marché, beau soleil.

Sur les murs une accumulation de tableaux … même format les uns contre les autres. Sensation d’étouffement de trop plein.

En s’approchant chaque tableau est plutôt bien réussi , encadré et il est possible de l’acquérir pour une somme dérisoire.

Du coup j’espacerai encore plus que d’habitude les toiles que je mettrai dans ce lieu pour le remettre à neuf ; confirmation encore une fois que l’accumulation annihile et annule dans le domaine de la présentation d’œuvres.

Je ne mettrai pas les prix sur la surface de l’oeuvre la cachant. Non une liste de prix posée sur la table suffit pour celle ou celui qui vraiment désire.

La rencontre doit être des retrouvailles pas un meeting.

 

Vivre de son art

Exil des Dieux
Exil des Dieux

Dans les périodes difficiles il est nécessaire de réfléchir à ce dont on a vraiment besoin pour vivre. Tant d’éléments perturbateurs ne sont autour de soi que pour nous distraire, mais de quoi ?

La distraction est un mot d’ordre, une sorte d’hypnose collective qui enrichit certains pendant qu’elle en appauvrit d’autres.

De quoi voulons nous tant nous distraire ? Cette question ressassée mille fois n’a que peu de réponses. Et si c’était   l’échec et  la mort et toutes leurs variantes.

De l’échec car dans ce monde ou seule la réussite prime celui ci est devenu incompréhensible. Et pourtant ceux qui réussissent sont ceux qui ont eu le plus d’échecs, on évite de trop y penser.

Il serait intéressant de réhabiliter la notion d’échec dans tous les domaines de notre vie, et ceux qui exercent une activité artistique soutenue devrait l’accueillir en ami plus qu’en ennemi.

De la mort car nous pensons qu’elle est la fin de tout, c’est une insulte larvée à notre intelligence qui nous annule, nous biffe, nous raye de la carte de l’existant vers un je ne sais quel néant .

Ces deux choses dont on veut à tout prix nous distraire, il devrait exister des écoles nouvelles ou elles seraient inscrites dés le plus jeune age dans les programmes.

Oui nous échouons et oui nous mourrons. Regarder la télé ou s’enfiler des litres de bières ne changera rien à cela.

Alors comment aborder notre vie une fois cette chose établie ?

De quoi ai je besoin pour vivre ? mais vraiment ?

En tant que peintre j’ai besoin de matériel pour peindre et donc d’un peu d’argent pour l’acheter. Il me faut me loger et me nourrir ensuite afin de ne pas me prendre la tête et de pouvoir continuer à peindre. donc de montrer mon travail régulièrement et tenter de vendre mes tableaux.

Il y a des périodes plus fastes que d’autres mais elles sont rares évidemment; Car acheter un tableau ce n’est pas une distraction. C’est acheter un morceau d’âme et l’emporter avec soi.

Bien sur au début on se dit c’est super j’ai vendu un tableau . Les premiers ne sont pas chers ni pour l’acheteur ni pour le peintre.

Au fur et mesure du temps le peintre produit de plus en plus d’œuvres qui ne sont pas toujours vendues, mais c’est bien son âme qui s’étale de toile en toile , il parait qu’elle est infinie l’âme, mais pas le peintre .

De la mort avant l’accomplissement de je ne sais quelle tâche à mener à bien.

Mais il n’y a rien à mettre après la mort si ce n’est encore de la distraction.

César Pavese a écrit « la mort viendra et elle aura tes yeux,  »  je pense que s’il avait vieilli un peu plus il aurait sans doute supprimé le « elle aura tes yeux. »

De quoi ai je besoin pour vivre ?

De lucidité pensais je à 20 ans , de naïveté pensais je à 40 ans .. de presque rien est l’étape d’aujourd’hui.

Le renoncement qui est une des variantes de la mort devrait également être considéré comme une grâce qui comme tout le monde ne le sait pas ne se cherche pas mais nous tombe dessus comme l’ennui.

Juste un peu de temps, de la tranquillité, et de l’envie autant dire le plus luxueux rien que cela.

 

Comment marche un indien dans la fôret

esprit vegetal 21.1

On entend tout un tas de bruits divers, des caquètements, des pépiements,des gazouillis, des feulements feutrés et des sifflements chichiteux sans oublier le vrombissement des insectes de tout acabit. Nous sommes en forêt et l’odeur de décomposition monte du sol, s’insinue dans le tissus de nos vêtements jusqu’à notre peau.Une très grande activité règne ici, ça ne rigole pas, à chaque instant quelqu’un est dévoré ou dévore l’autre. Je suis avec mon ami T. et nous cheminons sur un sentier envahi par la végétation. C’est épais, touffu, inextricable, gordien.

Je l’observe. Il n’est pas bien gros, agile, et son regard est étonnant car il ressemble à celui de mon chat lorsque il fait semblant de roupiller.

Il a l’air de lire mes pensées car en tranchant une liane d’un coup sec et précis il m’annonce :

-Dans la forêt il ne faut rien regarder trop longtemps, sinon tu meurs.

Débrouille toi avec ça me dis je …

Et nous progressons encore plus loin, plus profondément dans le sous bois.

En arrivant au campement dans une petite clairière nimbée d’une lumière glauque. T. m’explique :

« Quand tu es en train de chasser il faut faire attention de ne pas être hypnotisé par ton envie d’avoir une proie. Il faut rester éveillé à tout ce qui se passe autour de toi.En forêt le point fixe est comme une toile d’araignée dans laquelle la mouche se prend. »

Un prédateur est hypnotisé par cette envie de bouffer sa proie.. du coup il ne sait pas qu’un prédateur plus gros que lui est en train de le guetter … et c’est ainsi du bas de la chaîne alimentaire jusqu’au sommet.

La technique est donc d’agrandir son champ de vision en plongeant dans un état de rêve. C’est le mental qui est le donneur d’ordre des points fixes. Rêver apaise le mental qui se retire et laisse la place à l’instinct si l’on peut dire ça. Pour avancer dans la forêt il faut juste conserver l’intention d’aller quelque part et s’en souvenir dans le rêve. Cela demande un peu d’entrainement, mais tu n’es pas plus idiot qu’un autre tu devrais y arriver un jour.  »

Puis nous allumèrent des cigarettes et l’odeur de décomposition disparue soudain comme par enchantement. J’eus l’impression qu’une symphonie de chants, de cris, de craquements et de bruissements d’ailes saluait la fin du jour. Il était temps de dormir enfin après cette journée étonnante.

Le discernement en peinture

 

 

diptique1 evolution2 détail

Cette question me taraude depuis longtemps et je vous donne quelques unes de mes pistes de réflexion.

Une définition que je proposerais serait : la possibilité de percevoir et de réagir pour le peintre  en conséquence de l’importance, l’utilité d’un point, d’une ligne , d’une masse, d’une forme, d’une couleur, ou d’une tonalité dans un champ de possibles infini.

Mais alors comment s’effectue ce discernement?

Est il du à l’expérience, à la répétition d’une installation que l’on rectifie, corrige peu à peu, ce qui laisse à penser que le peintre à déjà une représentation précise de ce qu’il désire obtenir, et donc il ne s’agit que d’une maîtrise basée sur le contrôle, la copie, la vérification.

Ou alors est-ce une interaction qui s’effectue entre la matière, le tableau et celui qui s’aventure à l’intérieur abandonnant la notion de volonté , au profit d’un abandon.

Ne sommes nous pas alors  au carrefour d’une relation éternelle du masculin et du féminin qui se cherchent dans un éternel dialogue ?

Et cet équilibre, ce moment ou les deux plateaux de la balance se stabilisent enfin dans une équidistance qui ne laisse plus de place au doute ne me semble pas être fondé uniquement sur les lois de la composition ou de l’harmonie des couleurs.

La symétrie ne propose pas le frisson, ni  la transe,  ni le voyage.

Alors d’où vient cet équilibre inconnu alliance de la matière et de l’esprit , du féminin et du masculin ?

Le discernement en peinture tel que je le comprend semble alors être une quête de paradoxes.

 

 

 

 

Dérouter

Oh mais

Dire à quelqu’un que ce qu’il peint est super alors que lui même n’en est pas convaincu c’est entrer en conflit avec l’intégrité de cette personne.

En revanche dire à quelqu’un que ce qu’il peint t’inspire l’envie de manger du chocolat et ce faisant tu prends un petit carré et tu l’avales avec une petite lueur taquine dans l’œil , c’est bien plus élégant.

C’est la méthode qu’utilisait Milton Erickson dans ses entretiens avec ses patients. Il utilisait des phrases ou des actes  de depotentialisation afin d’interférer avec le schéma  mental de son interlocuteur. Georges Marchais était un as dans son genre aussi pour dérouter Elkabbach lors de ses interviews explosives.

Dans ce processus on joue avec le conscient et l’inconscient en même temps.

L’astuce du carré du chocolat est un exemple parmi d’autres.. l’idée étant dans mon propos de dérouter l’attention vers un objet insolite sans abîmer l’intégrité de l’autre.

Lorsque j’enseigne le dessin et la peinture je mange rarement du chocolat. Par contre je parle de tout et de rien, souvent de sujets en décalé qui accrochent  le conscient de mes élèves plus ou moins. Ou alors je propose soudain de boire un café, un thé.. ou encore je prends des attitudes bizarres en m’asseyant, en me levant, je joue avec leur attention de cette façon afin que l’acte de peindre s’éloigne du contrôle de la pensée. Parfois je met de la musique et je joue sur le volume …

Dérouter l’attention pour qu’elle laisse l’inconscient s’exprimer dans la peinture.

Proposer des exercices répétitifs puis soudain introduire une contrainte supplémentaire.

Proposer la contrainte de n’utiliser que deux couleurs et soudain dire que les deux couleurs peuvent se mélanger… laisser la phrase en suspens… aller chercher le café..

Ah au fait tu peux aussi mettre du blanc j’ai oublié de le dire ..

J’ai perdu pas mal d’élèves avec cette façon de faire c’est vrai. Peut-être que je ne trouvais pas les bonnes clefs, les bonnes phrases, les bons gestes…je n’allais pas me contenter de leur apprendre la peinture, c’est si peu de chose.

Je cherchais une pédagogie qui puisse allier à la fois la connaissance technique et autre chose, cet autre chose par laquelle le vrai travail de peinture commence.

Les gens qui sont partis étaient des touristes je crois. Ceux qui sont restés se font une joie de m’apporter leurs travaux chaque semaine. Ils travaillent chez eux parce qu’ils ont trouvé l’envie de peindre.

Et bien sur nous prenons un café, le thé pendant que je commente les travaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rire comme enseignement.

clown

Il n’est pas rare que les plus grands maîtres fassent le clown parfois consciemment et souvent inconsciemment. Ce qui déstabilise leurs élèves qui, au bout de tant d’efforts s’attendent au pire à un peu de compassion, au mieux à une certaine reconnaissance.

Mais non. Le rire du maître décoiffe l’élève, le chauffe à blanc avant de le laisser retomber dans un état atonique.

Il y a longtemps que je ne me suis rendu au cirque d’hiver à Paris. La dernière fois ce devait être dans les années 80 à l’occasion d’interview de clowns que je réalisais en vue d’aider un ami.

La figure de l’Auguste me passionnait, et sans doute encore jeune, m’allait elle  comme un gant.

Peut-être aurez vous l’occasion de tomber sur un tout petit livre d’Henri Miller qui a pour titre  » Le sourire au pied de l’échelle ». Si vous passez devant ne le ratez pas !  il y a vraiment l’essentiel

L’auguste tombe, se relève, retombe, commet gaffe sur gaffe en se faisant reprendre par Monsieur Loyal et à chaque fois c’est de nous, public, que le rire fuse..

Il s’en fout l’auguste il continue à faire ses erreurs, voire même à proportion de la férocité des rires il en comment encore plus.

Lorsque le spectacle s’achève, que nous sortons dehors, la nuit est là, je me souviens d’un parfum de marrons grillés qui flotte dans l’air sans doute arrivant de la Bastille et remontant le boulevard des Filles du Calvaire.

Peu de circulation, les cafés sont dépeuplés.Et du coup mon ami et moi éprouvons une sorte de soulagement.

Toute la violence que nous avions avant d’entrer au spectacle, cette énergie brute de la jeunesse semble s’être dissipée avec nos rires.

Nous sommes paisibles et nous rentrons à pied silencieusement pour ne pas perdre cette sensation rare.

En marchant je me demandais le but de tout cela. Pourquoi les clowns, les augustes, ont ils  pour vocation de nous débarrasser de notre rire …

Quelques jours plus tard j’avais rendez vous avec Annie Fratellini dans son école de cirque  à la Villette.

Je ne sais ce qui m’a pris mais à peine discutions nous depuis quelques minutes, je bouillonnais :

-« Annie ne croyez vous pas que les moines zen et les clowns suivent une voie semblable ? »

A son regard j’ai compris que j’avais touché une corde sensible chez elle.

Elle opina du chef en disant oui ça se pourrait bien et puis je la  quittais  rapidement pour nous débarrasser de cette gène qui s’était installée.

Il n’y avait rien d’autre à dire une fois ce constat établi.

Parfois mon travail de peintre me rappelle celui d’Auguste, tous ces ratages, ces échecs, ces demi réussites… l’autre jour  dans une exposition, deux dames sont entrées et se sont mises à voir des bestioles dans mes toiles :

-oh c’est rigolo on dirait un âne

-non moi je vois plutôt un boeuf

Et alors  j’ai enfin compris et n’ai pu qu’esquisser un sourire.

Trouver son nom

©2018 par Patrick Blanchon

Dans le fond ça pourrait être une démarche solitaire. Je m’assiérais sur une pierre un matin et j’attendrais que ça me vienne. Possible que la journée n’y suffise pas, pas même plusieurs, ni les nuits qui les accompagnent.

Pourtant j’ai déjà un nom. Mes parents me l’ont donné à ma naissance. Alors en quoi devenir peintre serait il associé à un changement de nom ?

Je me suis habitué à la sonorité de ce nom désormais même si cela n’a pas été facile au début.

Carlos Castaneda n’a jamais changé de nom et semble avoir beaucoup brouillé les pistes tant sur l’année et le lieux de sa naissance que sur l’ensemble de sa biographie.

Avait il déjà compris que ce n’était pas le nom qui était important mais la légende qui s’y attachait. Il n’était pas spécialement mondain et ne devait pas rechercher à se faire mousser particulièrement. Peu d’apparition publiques, et même son décès demeure emprunt de mystère.

Après avoir relaté ou fabriqué son aventure avec le vieux sorcier Yaqui dans ses ouvrages, peut-être s’est il rendu compte de la position sibylline qu’occupe tout narrateur. Je est un autre ne pouvait pas être mieux compris et même développé tout au long de son récit passionnant autour de la réalité, des réalités environnantes.

Le tonal et le nagual, termes qu’il explique à plusieurs reprises nous mettent sur la voie.

Dans le tonal même Dieu y est compris. Ce serait comme la nappe d’une table et tous les objets posés sur celle ci.. Dieu, l’univers, c’est la nappe.

Le nagual est tout ce qui entoure cette table. Il est invisible et nous ne pouvons y avoir accès que par de profondes modifications de conscience. Sa logique est proche de la mécanique quantique et même plus affolante encore car même la mécanique quantique  appartient au tonal.

Changer de nom ne fait pas traverser le tonal. Raconter sa vie la met à distance. La vivre en ne croyant rien d’acquis et en expérimentant par soi-même les choses demande une impeccabilité qu’on ne saurait partager.

Dans le fond c’est pas changer de nom l’important c’est pas de mentir le plus important , c’est de rester impeccable au fond de soi comme un guerrier, une guerrière  prêt à tout moment à tout quitter pour traverser la porte.

Mon client parfait.

en-memoire-du-cluzeau.png - Peinture,  50x40x2 cm ©2017 par Patrick Blanchon -

Il viendrait, je ne me sens pas l’âme de l’épicier. Il regarderait mon tableau. Mentalement par rapport à l’ensemble des visites que j’aurais calculé il serait à moins de 20% en taux de rebond. Je veux dire qu’il resterait là un petit moment seul, absorbé par mon travail, et qu’il ne se dirigerait pas comme un somnambule vers la suite, puis vers la sortie.

Mon client parfait pourrait être aussi une cliente, le sexe ne joue pas une importance particulière dans mon fantasme cette fois ci.

Il ou elle serait jeune ce serait inespéré. Cependant que si c’est un vieux monsieur ou une vieille dame qui prennent  le temps de regarder je me dirais tu vois comme tu es bourré de préjugés. Ils peuvent prendre le temps .. encore.

Ma, mon client parfait seraient  là devant mon tableau et alors, après leur avoir laissé un peu de temps je m’approcherais. En silence pour ne pas les déranger. Et au moment ou je sentirais le moindre tressaillement sur leur visage, dans leur corps m’indiquant qu’il sont au bord, prêt à sortir du tableau : je serai là pour les accueillir.

qu’est ce que je  dirais alors …?

Bonjour, c’est moi le peintre ?

Bonjour vous appréciez mon tableau ?

Bonjour…

Quelle difficulté de s’adresser pour la première fois à elle, à lui …

Comment ne pas le,la  heurter dans son atterrissage. Lui offrir une jolie piste bien balisée et sans risque …

Alors elle ou il se tournerait vers moi, comprendrait bien sur que je suis l’auteur de cette oeuvre qui vient  de les subjuguer. Ils me diraient:

Nous aimons  beaucoup ! ( silence)

Comme tout le monde mais le silence qui suit l’obligerait à chercher d’autres mots.

Il ou elle me parlerait de lui ou d’elle. De ce qu’il ou elle viennent de traverser. Non pas de l’émotion, ce n’est pas facile, mais plutôt d’un détail éventuel qui aurait accroché son regard et qui aurait capté son attention pour l’immobiliser.

Des mots simples, pas de grands discours.

Juste ce qu’il faut de complicité pour imaginer une possible amitié.

Voilà ma ou mon client parfait j’aimerais que ce soient des amis possibles.

Des gens qui me diraient, ton tableau nous parle de nous. Tu as fait ce que nous n’avions pas le temps de faire car nous sommes pris dans notre vie de tous les jours et nous ne savons pas.

Alors je serais un peintre heureux de donner un prix à ce qui n’a pas de prix.

Et ce faisant l’argent nous libérerait de cette intimité naissante peut-être embarrassante pour chacun, chacune.