05062023

Qui suis-je ? Tech-mixte 20×20 cm 2022

Je me prépare depuis des mois à voir le monde s’écrouler. Je ne fais pas le plein de PQ ni de sucre, ni de farine, ni même de conserves. Ce n’est pas ça. Je me prépare mentalement à tout perdre. Je me projette sur la scène de la perte, celle de ce théâtre d’une apocalypse personnelle. La révélation de mon incapacité magistrale à tenir une comptabilité, à être un bon citoyen, à mettre le petit doigt sur la couture du pantalon. Dans quelques jours j’imagine qu’on viendra tout me prendre, que mon épouse me quittera, que mes amis me regarderont avec cet air que je connais si bien depuis l’enfance. Cet air qui dit “tu ne peux pas t’empêcher de faire des conneries, tu es vraiment en dessous de tout”.
Un air qui ne m’a jamais quitté tout à fait et dont je connais par cœur chaque parole, et le refrain. Un air dont il apparaît encore aujourd’hui qu’il m’est aussi nécessaire pour vivre que l’air qui entre dans mes poumons. Un air de malheur qui m’est consubstantiel.
J’en suis même à me dire que le mauvais temps de mai et de ce début juin est entièrement de ma faute. Que tout est de ma faute, dans les plus petits détails, même une ampoule qui claque de façon inopinée.
Quand j’y pense je retrouve aussi cette vieille intuition d’une malédiction directement liée à l’écriture. C’est le fait d’écrire à nouveau, d’avoir repris l’écriture comme on peut reprendre la cigarette ou l’alcool après une longue période de sevrage. C’est ce que je pense parfois quand je me demande si j’ai encore les épaules pour pouvoir supporter tout cela. C’est ce que je pense le lundi à 3h du matin pendant que tout le monde dort. Une apocalypse se prépare, c’est quasiment certain, c’est dans l’air, une présence électrique.
Ensuite à quel point est-ce que je confonds faute et responsabilité serait un débat beaucoup trop long et chiant pour une simple note dans ce carnet.

Juste auparavant je me suis souvenu de ce petit livre et j’ai écrit quelques lignes à propos du désir de s’emparer de quelque chose appartenant à l’autre et dont, visiblement, il ne faut pas se sentir digne de s’emparer. On ne se sent pas digne d’accéder à une certaine forme de culture, comme un ouvrier peut éprouver quelques réticences à s’installer dans une maison bourgeoise, un bourgeois dans un palais. On ne se sent pas digne mais on le fait quand même. On outrepasse ses droits. On ne reste pas à sa place. J’avais autrefois un vieux prof, un de ces prêtres polonais rescapés d’Auschwitz dont nous nous fichions beaucoup à cause de cette phrase, on l’imitait :  » vous n’êtes pas à votre place » ou « vous n’êtes pas à votre affaire » Qu’avait-il compris de cette notion de place dont il se servait comme d’une antienne, on ne pourra sans doute jamais le savoir, à moins qu’on se retrouve soudain plus bas que terre un de ces jours, en prison par exemple, enfermé, humilié, affamé, assoiffé, dépourvu du titre d’être humain.

Qui avait-il dans ce livre qui pénétra en moi si fort; Un homme revient dans son village natal. Il effectue un voyage depuis le continent par bateau et par train pour aller rendre visite à sa mère. Durant ce voyage il observe les gens, il les écoute, il raconte en très peu de mots les paroles et les scènes de ce voyage. Et à chaque page il se bat avec la honte, le remord, d’avoir dû quitter sa terre natale, de l’avoir trahie. Et cette terre natale se confond avec le personnage de la mère. Il ne se passe rien dans ce livre sauf cette lutte intérieur d’un homme qui n’a pas voulu rester à sa place, que la nécessité ou le désir de s’emparer d’une chose qui ne lui appartenait pas a pousser à partir.

Une évasion dans la lecture comme une autruche place sa tête dans le sable. 900 pages lues cette semaine à raison de deux heures par jour en moyenne. Que m’en reste t’il à terme ? Exactement la même sensation que de consommer des séries sur Netflix ? pas tout à fait, ce ne serait pas honnête de dire ça. D’ailleurs je ne regarde plus du tout de séries, et presque plus de vidéo, à part celles de FB. Le fait de replonger dans la lecture de façon si intensive comme autrefois gamin recrée un monde, le même monde parallèle si je puis dire qu’autrefois. C’est dangereux bien sûr. L’excitation du danger est présente elle aussi. S’isoler dans la lecture. Isoler et île. Une île déserte.

Il y a aussi un plaisir coupable à s’isoler ainsi. A l’âge de 12 ans, atteint d’une varicelle et obligé de rester dans notre chambre j’avais enchaîné la lecture des Rougon-Macquart. Je les ai tous lus, parfois à raison de deux livres par jour, je ne faisais que ça, jour et nuit. C’était une sorte de défi que je m’étais lancé. Lire tout Zola. Mais pourquoi ? Il y avait une sorte de rage à lire ainsi je m’en souviens assez nettement. Vouloir sortir de sa condition d’ignorant ? Avoir pris conscience de façon si aigüe de sa propre ignorance ? Ou bien tout simplement pouvoir dire aux camarades « moi j’ai lu tout Zola ». Peut-être un mélange des deux. Et aussi une certaine obstination à relever des défis personnels complètement idiots.

à moins que ce ne soit lié à la composition de mes toutes premières BD, j’en dessinais beaucoup à cette époque, en noir et blanc, au feutre noir, inspiré par les comics d’occasion que j’achetais en douce au marché. Dès que j’avais trois ronds j’achetais des BD dites « pour adultes » Genre Lucifera, Vampirella pour pouvoir les redessiner surtout. Je crois que l’attrait pour l’érotisme ou la pornographie n’est pas si malsain que je l’ai souvent pensé dans mon adolescence. Le fait que j’imaginais , parfois terrorisé délicieusement, que ce fut malsain m’a sans doute aidé à briser des tabous esthétiques. Des tabous tout court. Et après tout Zola et le réalisme n’est pas si éloigné non plus d’une révolution esthétique en matière d’écriture. Tout comme l’Origine du Monde de Courbet en peinture. Une soif de réalisme m’aura-t-elle frappé à cet âge, et si furieusement qu’elle me donne des boutons, des pustules, et m’entraine à rapprocher soudain Vampirella de Zola et Courbet ? Par contre Lui et Play-boy m’ont toujours laissé de marbre, toujours eut cette sensation du factice en les feuilletant.

Hier soir en lisant, je ferme les yeux, et soudain je les écarquille de l’intérieur, bizarre.

J’ajoute encore cette réflexion et qui concerne ce que l’on choisi de vouloir écouter comme je crois que l’on choisi de voir. Sur la route pour descendre vers Lussas et malgré les bruits ambiants, celui des moteurs, l’intensité du chant des oiseaux les dépasse tous. Une grande clameur provenant des deux cotés de la route qui nous parvient en ne roulant pas très vite, et vitres grandes ouvertes. Ce qui me replonge dans les pensées, le désir insistant d’un univers imaginaire merveilleux dans lequel je m’enfuirais tout comme il m’était possible de le faire enfant. Cette fringale de lire d’ailleurs est tout à fait la même qu’à mes 7 ans, des contes par dizaines engloutis sous la tente formée par les draps la couverture, et la petite lampe de poche pour me guider dans ces nuits féériques. Et le lendemain matin le réveil difficile, la gueule de bois, et cet autre chemin pour se rendre au village, tout au bout de celui-ci, subir toute une journée l’autorité d’un tiers, esquiver les coups, essuyer les quolibets, et bien sûr tenter maintes fois l’évasion par les grandes fenêtres, sur le dos d’une pie, dans les dessins des troncs des platanes, les gendarmes dont le dos forme un bouclier zoulou, et les sauterelles qui d’un bond font bien plus que sept lieues

un peu plus tard dans la journée je lis cette phrase de Flaubert :  » Je suis doué d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire. » Des fois oui, des fois non, mais quand c’est oui c’est vraiment oui. Et quand c’est non c’est qu’il y a une raison, qu’il en va essentiellement de l’intégrité, de la survie.

culture et désir

Extraterrestre Tech mixte 20×20 cm /2022

Il y a plusieurs façons d’accéder à la culture comme de se rendre à Rome. Par héritage, par éducation, par envie, par désir, par nécessité. Le choix de la route importe t’elle au début ? Je n’en sais rien, je ne peux parler que de moi sur cette route. Le fait est que j’y fus souvent bien seul, comme le sont les parias, les voleurs, les assassins. En croyant emprunter un raccourci, j’ai dû faire dix fois plus de chemin que si j’étais resté bien sagement à ma place. Ma place, quelle était-elle ? ça non plus je n’en savais rien. Dix fois plus de chemin aussi pour parvenir à trouver cette fichue place que si j’avais bien voulu écouter mes parents. Mon père disait « trouve une place et reste tranquille ». C’est ce que son père lui avait transmis. Et encore avant le père de mon grand-père. Mais ça n’a pas fonctionné pour moi. Je n’ai jamais vraiment su si c’était de ma faute ou si l’époque avait changé. J’entretiens volontairement encore un doute sur la raison d’un tel changement.

Elle vient d’une famille qui n’a rien à voir avec ma famille. Je veux dire que sa famille a du goût pour les belles choses, l’art, alors que nous, vu comme ça sous cet aspect là, nous serions plutôt du genre décati, néandertalien. Je crois que le désir de lire l’auteur dont elle me parle vient surtout de ce complexe familial. D’ailleurs elle dit “les ignorants”, quand elle détecte qu’on ne s’intéresse ni à l’art ni à la littérature, à rien d’autre que de tenter de joindre les deux bouts en fait. La façon dont elle m’avait parlé de ce petit livre d’une centaine de pages m’avait donné l’envie de la même façon que le façon qu’elle a de pincer les lèvres d’une certaine manière m’avait donné envie de l’embrasser. Dans le fond je me demande si ce pincement de lèvre très particulier, elle ne l’avait pas chipé à un bouquin d’Elsa Morante. Mais le livre en question n’était pas d’Elsa Morante, pas plus que de Doris Lessing. Il vaut mieux supprimer les fausses pistes tout de suite.
Il y avait ça je crois en tout premier, une sorte de complexe d’infériorité culturel énorme, et en même temps une histoire d’immigration parallèle. Elle sa famille venait du sud, le berceau de la civilisation, encore que la Sicile fut durant une grande période une terre envahie par à peu près tout le monde, et la mienne de famille, provenant du nord, de chez les barbares, vêtus de peau de bêtes, encore que l’Estonie ait beaucoup de points communs avec la Sicile question envahisseurs.
D’une certaine façon elle m’acculture exactement comme ces pays envahis parfois peuvent le faire. Par petites touches elle m’aida à m’extirper de ma nuit arctique.
Après la lecture de ce livre je ne fus plus tout à fait le même. J’avais compris l’essence du désir, la présence d’un tiers nécessaire surtout pour l’aiguiser au paroxysme, ainsi que la jalousie qui soudain en découle, et une belle envie de meurtre

Danger et merveille

Le danger et la merveille de lire est que nous sommes tentés de devenir les héros plus ou moins heureux de ces histoires qu’un inconnu nous raconte. A la surface du miroir que fait surgir toute lecture tant de reflets de nous-mêmes naissent et meurent de livre en livre. Danger de rester le front collé à la surface de ce miroir, merveille d’obtenir le laisser-passer pour le traverser. Lire est comme vivre d’après l’expérience vécue des deux. Au tout début une naïveté, une inconscience quasi totale, puis un éclair bref qui jaillit presque toujours sur le tard et qui éclaire nos propres ombres recroquevillées dans l’obscurité. Alors on voudrait rattraper un temps qu’on estime perdu, le temps de vivre ou le temps de lire, et on se rend compte qu’il est trop tard. Cette prise de conscience bien que tragique en apparence ne l’est que si l’on croit à de vieilles superstitions, que si la vieillesse est le reflet entraperçu sur le visage de nos aïeux, de nos parents et grands parents, une image de la vieillesse telle un vieux cliché en noir et blanc. Mais la vieillesse comme la jeunesse ne sont que différents états de la même chose, c’est à dire de l’être nécessaires l’un comme l’autre à sa complétude. Et je crois aussi qu’on peut réinventer ce que nous plaçons dans ces mots, que chacun d’entre nous est bien libre de le faire. Par exemple qu’un jeune est souvent vieux avant de l’être et qu’un vieux peut avoir un regard pur de nouveau né parfois. Il suffit seulement d’ouvrir les yeux et de voir au delà de ce que nous pensons voir comme on nous aura appris à penser voir et non à voir. De tous les livres que j’ai lus, il m’est si difficile d’en isoler un seul puis de dire je vais seulement parler de celui-là. C’est comme demander à un père de choisir un seul de ses enfants, c’est le sacrifice demandé à Abraham, et auquel seuls les plus vaillants ou les plus fous, les plus pieux obtempérerons. C’est demander un amour surhumain envers une chose surhumaine qui flatte à mon goût bien trop le risque de l’orgueil. Avec le temps je me suis mis à aimer tous les tableaux, tous les livres, comme tous les êtres qui surgissent sur ma route. Ça ne veut pas dire qu’à chaque fois je tombe dans l’effusion, la sensiblerie, non sûrement pas. Je sais seulement ce qu’il en coûte d’écrire comme de vivre, du moins je suis parvenu à l’âge où les idées ne changent plus guère ou changent moins vite sur les choses. Les idées qui valent la peine d’être nommées ainsi surtout.
Les héros comme les anti héros ne sont plus aujourd’hui matière à admiration comme autrefois. Je ne le regrette pas plus que ça ne m’enchante. C’est un fait. Seulement un fait. Derrière chaque protagoniste il n’y a jamais un homme seul, mais toute une époque avec ses façons de penser voir, sa permissivité et sa censure, une société. C’est ce que l’on ignore quand on commence dans la vie dans le costume de singleton facile à endosser au début, lourd à conserver au fur et à mesure que l’on progresse que ce n’est qu’un costume. Que la comédie humaine se joue sur le théâtre sociétal et que ses coulisses sont bourrés d’accessoires, à priori divers et variés en apparence, mais qu’au bout du compte tout pourrait se résumer à bien peu. Tout pourrait se résumer en un seul mot : “l’amour” et son grand mystère. Dont j’ai espoir qu’à la fin, nu totalement, chacun puisse se réjouir d’aborder ses rivages puis partager la nouvelle sans la moindre ambiguïté.

L’inaccessible

Lussas Ardèche du sud

On me demande un dossier pour exposer à la Maison de la Poésie en Avignon. On pourrait imaginer que j’ai déjà tout de prêt dans un dossier sur mon ordinateur et qu’il suffirait que je produise deux clics pour l’expédier. Je crois que ça n’arrivera jamais. Parce que l’homme que j’étais en créant un tel dossier n’est déjà plus le même lorsqu’on me demande des comptes sur qui je suis ce que je fais, ce que je propose. Ma seule identité stable est sans doute ce doute incessant concernant la croyance envers cette identité stable telle qu’elle serait aujourd’hui exigée pour y ressembler tout du moins. Il faut une date et un lieu de naissance, un parcours, une démarche, des informations biographiques et techniques qui, avec l’âge me semblent de plus en plus appartenir au domaine des rêves. Et ça me plaît mieux qu’avant lorsque je m’angoissais déjà sur ces mêmes demandes. J’ai tant épluché la branche sur laquelle je me tenais que j’ai dû m’ épluché tout entier par la même occasion.
Ensuite il faut un dossier, on ne peut pas y couper. Donc j’en crée à chaque fois un nouveau de la même façon que j’écris mes textes dans ce carnet. Non pas que j’invente, ce n’est pas cela, mais l’écriture semble réorganiser les événements à sa guise, elle m’aide à les réordonner à chaque fois avec une logique inédite. Est-ce que c’est bien ou mal je n’en sais rien, et de plus je crois que je m’en fiche. Quelque chose est de plus en plus assumé de cette instabilité chronique dont on me chauffe les oreilles depuis toujours et qui créa en moi de profondes angoisses.
Surtout par l’écart que je découvris à chaque fois, cette tragédie de la jeunesse de ne pas se trouver tout à fait comme tout le monde et d’aller de ce fait à contre sens par dépit.
Je ne vais plus ni dans un sens ni dans un autre vraiment. Je suis parfaitement insensé voilà tout et c’est en grande part assumé quand je comprends aujourd’hui la valeur du sens commun.

Quel texte écrire pour la Maison de la poésie en Avignon. Mais le même toujours, inlassablement.
Mon chevalet est là devant moi, j’y ai déposé une nouvelle toile blanche, je ne sais pas du tout ce que je vais faire, je n’ai aucune idée, je suis perdu comme aux tous premiers jours de ma vie, alors je prends des couleurs que je dépose sur la palette, j’effectue des mélanges, des petits pâtés de couleurs que je broie et rebroie sous le plat du couteau. Je passe un temps fous à créer ces mélanges, c’est mon petit rituel qui calme la partie anxieuse de ma cervelle. Puis je prends une bonne respiration qui rempli les poumons et je me lance, je pose des tâches, des masses de couleurs sur la toile. Je suis dans une immense forêt du Bourbonnais, puis dans un désert d’Afrique ou d’Australie, je suis dans le chaos de la couleur, dans la pauvreté crasse d’un excès d’abondance, je suis perdu mais quelque chose me pousse à continuer malgré tout, j’appelle ça trouver un équilibre à partir de nombreux petits déséquilibres, j’appelle ça trouver un ordre, une harmonie, une justesse à l’ensemble. Je ne dis pas que je l’atteins comme j’ai rêvé parfois l’atteindre, ce rêve de perfection s’évanouit de plus en plus en plus avec les années, c’était un rêve tout simplement. Rien qu’un rêve produit par une éducation, une histoire, une époque. Quand tout semble tomber juste ( il faudrait un livre entier pour que je m’explique sur le terme juste ) je pose le pinceau et je retourne le tableau contre un des murs de l’atelier.
Ce qui me parait juste ce jour ne le sera sans doute plus le lendemain, il faudra peut-être ôter une couleur, ajouter un trait mince, presque invisible, voire tout effacer et recommencer. C’est que le résultat visible de peindre n’est plus vraiment l’essentiel. Ce qui est essentiel c’est de tenter de rejoindre ce qui est juste au plus profond de nous, et qui ressemble pour beaucoup à ce qui reste inaccessible.

Lussas Ardèche du sud

04062023

fresque 150×100 cm tech mixte 2023

Un nouveau cycle d’atelier d’écriture pour cet été, proposé par François Bon sur Tierslivre.

Une question. Pourquoi je ne comprends jamais rien à ses propositions, et à plus ou moins court terme comme on achève les interprète comme ça me chante, et malgré tout continuant, m’accrochant ripant chutant . J’exagère à peine. Dans le temps il y eu un vieux prof qui, pour enseigner l’art d’enfiler des perles, de peindre, usait de subterfuges, de brumes et de brouillards s’exhalant de flacons posés sur les tables, de phrases sans queue ni tête, sibyllines, ou décapantes. Ne l’avions nous pas trouver aimable en fonction de ses mystères, comme de sa prétendue maladresse à nous les dévoiler ? Pas de réponse à la question sinon d’autres questions comme d’habitude.

Donc on va parler de roman mais contre l’idée du roman. Voici ce qui me reste après avoir un peu déblayé la consigne créant l’impulsion de ce prologue.

Un premier texte, car je suis en ce moment un peu obsédé par une image de saut.


Lequel sera condamné à l’aube, lequel extraire de l’oubli de sa cellule, lequel aveugler de lumière crue, lequel empruntera le corridor menant à l’arène, lequel choisir pour agiter la cape, lequel pour se pomponner, se costumer, petit collant moule-bite, petit haut à strass, chapeau biscornu ?

Ce matin l’aube est grise et l’embarras du choix pèse. En choisir un serait le tuer à coup sûr, s’en débarrasser à jamais, l’enfouir encore plus profond en l’exhumant, en finir avec le vivace qu’il procure secrètement et qui ne tient presque à rien comme une vieille molaire à un fil de chair pourrie.

Choisir un tel sacrifice, mais il faudrait être Inca, et détester le soleil, se souvenir qu’on vient du fin fond de l’ombre, de tout l’effroi traversé mille fois avant d’être correctement aveuglé. Aveuglé une bonne fois pour toutes.

Peut-on s’aveugler deux fois, peut-on s’aveugler mille fois ? Est-ce que la répétition de l’aveuglement n’est pas déjà un aveu d’échec ? Est-ce que la répétition de ce phénomène, celui de ne vouloir rien y voir jamais assez, peut se rapprocher de vouloir tout voir toujours ? Est-ce que le kif kif bourricot à bien sa place ici ?


Chaque taureau se bat pour sa vie, comme chaque roman, une vie autonome. Qu’on pense l’achever pour le spectacle, crée des liens mystérieux entre l’assassin et sa victime supposée. Car il sont seuls en pleine lumière, la foule grimace autour et bat des mains, on jurerait entendre de vieux maîtres incitant au meurtre du haut de leurs estrades.
“A poil le matador” crie un gosse au premier rang des gradins. Et c’est là que c’est drôle : le type habillé en danseuse s’exécute. regardez-donc, ouvrez grands les yeux, ce gros taureau tout noir ébaubi et ce mec à poil qui saute lestement par dessus son col comme dans une fresque du palais de Cnossos.


Ce matin je vais voir ce qu’on écrit les autres participants ( François dit « les copains ») du groupe et je tombe sur un petit texte ( tout le monde écrit des petits textes sauf moi ; ce qui me procure souvent l’impression d’être l’intrus dans cherchez l’intrus, ou un chien dans un jeu de quilles, ou un éléphant dans un magasin de porcelaine )

Garder en soi une idée de héros inaccessible. Ne rien faire d’autre de toute une vie que de garder en soi une idée d’inaccessible. Et je me demande soudain si ce n’est pas ce que nous faisons tous plus ou moins sans toujours parvenir à nous l’avouer. Qu’un roman évoque cela, probable aussi qu’ils l’évoquent tous, D’Homère à Melville disons pour faire court. L’écriture n’est-elle pas en lien direct avec cette part d’inaccessible en nous ? Et cette admiration pour certains roman plus que d’autres ne l’ai-je pas souvent considérée toxique en raison même de ce reflet fuyant qu’elle m’extirpe ? Regarde donc bougre d’idiot ce que tu pourrais faire si tu ne t’obstinais pas à te confondre dans cet idiot que tu t’obstines à vouloir rester. Je crois que je tiens ça de la fiction en général et de mon grand-père paternel en particulier qui disait  » avoir toujours l’air plus con qu’on ne l’est vraiment » Ce dont je ne suis plus très sûr désormais car les gens ne vont pas chercher midi à quatorze heure, ce qui a l’air con est con par définition.

Sauf qu’avoir l’air intelligent n’est pas une sinécure non plus à bien y réfléchir quoique peut-être plus facile de nos jours étant donné l’appétence pour l’expertise, la maîtrise, l’habileté, l’hyperréalisme, l’efficacité en un mot.

Rester résolument con et continuer à se battre contre les moulins à vent tout en sachant pertinemment que ce sont désormais des moulins à vent, tout en sachant que Dulcinée de Tobosco n’est qu’un mirage, que notre triste figure ne cesse pas se s’allonger dans l’exercice de cette connerie et puis soudain voir sur grand écran ce film de Tarkovski, cette image de bucheron qui se fraie un chemin à coup de hache en pleine forêt pour ne pas perdre de vue une pauvre étoile dans la nuit, cela a l’air ballot bien sur, aujourd’hui cela parait tellement ballot. Et pourtant sans ce genre d’image en tête je crois que nous en serions encore à dévorer de la viande pas cuite, à nous taper sur la gueule à coup de gourdin pour un oui pour un non. Encore que le progrès ne soit pas si flagrant garder en soi une image de l’inaccessible non pour soi seul, ce serait vraiment idiot pour le coup, mais pour l’espèce entière, je crois qu’on aura toujours besoin de ça.

C’est ce que propose Elon Musk finalement. Atteindre Mars et s’y installer on pourrait croire à un caprice de riche, on pourrait encore critiquer dire que tout ce pognon serait bien plus utile en bas sur terre, les choses ne changent jamais, le ridicule vient toujours en première ligne avant de devenir une évidence pour le plus grand nombre.

En revisitant la proposition ce matin je vois que le titre est désormais « comédies humaines » rien que pour ça je me dis que ça vaut le coup de suivre la piste.

Notes rapides

Quelques heures plus tard il fait beau. J’en profite pour aller remplir les bouteilles d’eau aux sanitaires collectifs et au retour prendre quelques images pendant que le café coule. Mais la photo que je n’ai pas prise me manquera. En remplissant une bouteille j’aperçois de la fumée qui sort du tronc d’un arbre. J’ai bien regarder les autres arbres il n’y avait que celui-ci qui fumait

Camping Lussas
Mûrier

3062023

l’enfant surgit de la forêt où il s’était caché et la première chose

qu’il fit fut

de chanter

la plaine généreuse et blonde, grasse

le bleu

profond du vaste ciel et les baies

mûres sucrées

des haies sombres.

toute une éternité de mort s’oublie dans le présent de la plus pure des voix, une voix d’enfant qui sait l’enfance du monde.

Qui scelle le pacte de l’ancien et du neuf au sceau du son infini


Lussas, Ardèche du sud.

nous avons loué deux nuits un minuscule bungalow dans ce camping 3 étoiles. 35 euros la nuit, il n’y a personne, les autres bâtiments sont vides. Arrivés jeudi soir avec le beau temps nous repartons ce matin sous le pluie. Du pays charmant au presque lugubre. Mais le pays n’y est pour rien pas plus que la météo, concernant le glissement de la sensation elle m’appartient. Résultat du vernissage d’hier, deux correspondants de journaux locaux, une poignée d’élus, et quelques badauds. Madame le maire, la maire, la mairesse a produit un discours, elle avait étudié son sujet. Moi mauvais élève ai balbutié quelques banalités. A 20 h tout fut plié. Nous sommes partis dîner au routier du rond point entre Villeneuve et La Villedieu. Durant le repas on se rassurait de temps en temps que l’exposition dure un mois. Nous recherchions des souvenirs d’autres expositions, où malgré l’absence de vernissage, nous avions tout de même vendu quelques toiles. P. qui avait été depuis le début très enthousiaste avait l’air absent lors du vernissage. S. me dit soudain, c’est drôle j’aurais pensé que sa compagne viendrait. Ceci explique peut-être cela.

rien écrit hier. S voulait regarder une série sur la tablette, et je me suis rabattu sur le téléphone portable pour lire quelques pages de ce bouquin qui traîne beaucoup en longueurs, en détails superflus, en considérations inutiles. Impression que l’auteur a fait un pacte avec lui-même d’attendre 900 pages ou rien. Ce qui me semble possible me concernant bien sûr. Écrire un roman ainsi juste en s’imposant un nombre précis de pages à noircir, pas plus idiot que de vouloir épuiser de belles idées, ou pire livrer un message, une théorie. En même temps le titre en dit long comme le bras sur l’intention. Pour la plupart un titre pareil évoque des histoires à dormir debout. Si j’ai décroché de l’histoire à partir des 300 premières pages, je continue toutefois à tourner les pages avec une même avidité. Mais son origine s’est déplacée. La curiosité tient beaucoup plus à la nature ou l’organisation des mots dans la phrase, les façons d’empiler, d’assembler les divers paragraphes qui forment un chapitre, taille de ceux-ci, les rythmes que propose ce récit. La lecture comme le marathon peut très bien entraîner le lecteur à supporter le point de côté, à la patience nécessaire pour atteindre à un second souffle. Ensuite pourquoi veut on courir un marathon devrait être la première question. Encore cette impression d’être un éternel débutant.

Rêve. Très agité, des foules, un mouvement général de houle. Puis zoom tout à coup sur un personnage, sorte d’alter ego, mais bien plus âgé. Un guerrier à la retraite devenu moine, svelte et crâne rasé. Il y a des témoins de cette rencontre qui font cercle autour de nous, aussi nous ne pouvons nous exprimer clairement. Tout est dans le non-dit. A bien y réfléchir ce matin c’est dans ce non-dit que nous savons à quel point nous sommes semblables.

nous sommes le même enfant.

010620203

premier joint. bien loin désormais. autour de 1973. chez H. en écoutant Léo Ferré. en buvant de la bière. en vomissant beaucoup ensuite. c’est très bien de vomir, ça évacue les mauvais esprits disent les indiens dans les livres de Castaneda. étais-je mauvais esprit ou mauvais genre ? mal dans ma peau c’est sur. le premier ni le dernier joint ne purent guère y changer grand-chose à bien y penser ce matin.

Disparitions

Je relis de vieux articles pas terribles. Je regarde tout en bas une ou deux personnes semblent s’y être intéressés. Je clique sur leur avatar pour voir ce qu’ils fabriquent sur WordPress et je tombe sur

l’auteur a effacé son site

Ce qui bien sur me conduit dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise à Paris. Parmi toutes les tombes, bien sûr il y celles connues, archiconnues, celles des célébrités. Mais je me souviens très bien de cette émotion particulière éprouvée quand on aperçoit une sépulture anonyme. Parfois la pierre tombale est brisée, les patronymes sont presque entièrement effacés Parfois c’est juste une différence de couleur de terre qui nous indique l’ici-gît.

Je crois que voir un site « effacé par son auteur » participe de la même émotion.

Je pense à septembre, et à ce blog dont je n’ai aucune envie de renouveler le bail car devenu trop couteux pour ma modeste bourse.

Comment quitter la table avec élégance ?

J’ai sauvegardé l’entièreté du site au cas ou WordPress les efface à la date fatidique. Peut-être que je les réinjecterai dans un nouveau site chez mon propre hébergeur cette fois, pour une somme modique.

Peut-être aussi qu’il faut accepter que la dernière page d’un livre se tourne afin de pouvoir en ouvrir un nouveau.

Peut-être que je ne toucherai à rien et que je verrai bien ce qui se passera

c’est plutôt ça mon style : faire avec.

31052023

Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c’est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu’il est d’usage d’employer ce mot.

Mais si l’on utilise ce risque comme ressort de l’histoire, que se passe t’il ?

Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier… non par malice bien sûr, mais parce qu’il ne peut faire autrement désormais.

Comme en peinture le doute et l’hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c’est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d’être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire.

A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m’a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l’opération que j’ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d’avouer au toubib que j’avais fait l’impasse. A un moment j’ai cru qu’il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m’a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j’ai eu l’impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d’un spot du plafond que je n’avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d’attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop.

Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib… je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l’œil sur cette création parfaitement imaginaire.

« — juste un peu plus bas si vous pouviez » ajoutait-il parfois.