Le summum de l’intelligence

Que l’humain se rêve machine ou le contraire, ce qui est en jeu, toujours la même chose, la même tarte à la crème, un fantasme d’habileté, d’efficacité, de perfection. Que de flots verbeux en ce moment sur l’intelligence artificielle, que de plans tirés sur la comète. Et on sait depuis Mathusalem que les comètes n’apportent rien de bon mais en l’espèce on l’oublie, et voici que l’excitation est à son apogée. Le profit lié à l’usage d’une intelligence indéfectible soi disant qui abattrait le boulot comme dix et supprimera ainsi mille emplois ne fait-il pas songer à une étoile funeste plantée dans le ciel désespérant de ce nouveau siècle et qui annoncerait ( encore) l’arrivée d’un nouveau messie.

Les rois Mages de la Silicone Vallée tout chargés de mirages et de sang auront gagné le cocotier. Plus d’esclavage d’asservissement pour les peuples qui ne pourront désormais plus s’enfuir de la contrainte nouvelle, en redemanderont même au dépens de leur individualité, leur autonomie de penser ou d’être soi tout simplement.

L’intelligence artificielle gavée jour après jour de data comme un vampire se gorge de sang, sucera la sève humaine.

Hier soir je passe au salon et je vois mon épouse assise devant un jeu télévisuel et j’ai eu une drôle de vision.

Le présentateur était un hologramme crée par l’AI, les participants au jeu aussi, la pièce dans laquelle je me tenais également, la maison tout entière, le quartier, la ville, le pays tout entier et enfin mon épouse pareillement.

C’est à ce moment précis je me suis retrouvé dans un état dubitatif, extrêmement perturbant quant à ma propre réalité.

Bien sur que j’ai pensé au film Matrix. Et aussi à ce fantasme d’anticipation, on ne peut anticiper qu’à partir de la réalité qui nous entoure n’est-ce pas.

Ce que cherchent les chercheurs c’est que l’AI devienne prédictive, ce serait d’après ce que j’ai compris leur dada. J’imagine, j’anticipe le fait qu’ils y parviennent. Et alors n’est-ce pas que ce sera terrifiant, qu’une machine vous toise et vous empêche par je ne sais quel horrible moyen de dire la connerie que vous mijotez en secret pour faire rire la galerie. Qu’elle vous énonce les risques avant même que l’idée de dire une blague vous vienne. Là vraiment ce sera la fin pour de bon, Des milliers d’androïdes pourront bien descendre dans la rue pour se battre contre des forces de l’ordre robotisées, on se demande bien qui restera spectateur pour en rire.

Des fois je me demande si ce que nous anticipons nous pauvres humains n’est pas même déjà du passé.

Le succès

Faut-il y penser en créant et dans ce cas dépendre de lui comme de l’espoir, de la déception

ou s’en foutre comme de l’an 40.

L’ardeur, la jeunesse, la fougue et l’ignorant le tiennent en haute estime, souvent comme but ultime.

C’est se vouer trop pour pas grand chose dira un plus vieux qui clame connaitre son monde.

Qui donc a tort ou raison les deux ni l’un ni l’autre.

De l’idée de succès on ne peut guère se passer qu’on le veuille ou pas et quelque soit la pose.

Ceux qui sont surpris par son arrivée, qui ne l’avaient pas prémédité

en rosissent d’aise et se retrouvent souvent fats ; comme l’ herbe fauchée par drôle cantonnier.

Ceux qui l’ont tant cherché, tant et tant et hélas ne l’ont pas trouvé regardons les :

bajoues tombantes œil torve et jaunâtre , la parole apaisante juste empêchée par de faciles méchancetés .

Savoir qu’il y a en tout une possibilité de succès comme d’échec, et à l’avance y penser, s’y préparer.

Et bien sur en rire de toutes manières c’est à dire s’en détacher

mais non de façon héroïque, tragique, exagérée,

Pas de rire tonitruant ni vocifération excessive, rien de démonstratif.

Rire au fond , doucement, du monde comme de soi-même c’est recréer la distance pour encore mieux voir

et se détacher des facilités

comme la main d’un enfant se détache d’un jouet pour aller vers un autre.

Une seconde naïveté vient avec le temps la distance , le succès comme l’échec sont des acteurs sur les tréteaux d’un théâtre d’ombres

et bien sûr que c ‘est tout aussi sérieux de s’en réjouir comme d’en pleurer que de fabriquer de belles bulles de savon

celle-ci dessus en illustration a été- parait-il- crée par des savants, elle a tenu 465 jours avant de crever.

Applaudissements !

Road trip

Presque 1000 km effectués sur deux jours pour décrocher deux expositions , content de rapatrier ces toiles à l’atelier comme à chaque fois, moins celles qui ont trouvé acquéreur, jamais beaucoup d’un coup fort heureusement. Une lente distillation ce qui permet aussi d’examiner l’alambic, de lui offrir aussi de petites révisions de fin de cycle en fin de cycle. Pour les prochaines expositions déjà de nouvelles séries plus colorées et j’imagine aller ainsi vers de plus en plus d’intensité pour accompagner la montée du mercure. Hot painting voire very hot. Mais pas vulgaire, jamais, juré craché.

un petit bout d’arc en ciel aperçu ce matin sur la route.

corps sonore

une sculpture drôle à Vals les Bains ce dimanche

En lisant Echenoz et aussi à propos de Rabelais , dans l’invention d’une langue, si le sens échappe, reste un corps sonore pour s’y accrocher et ou rebondir d’inventivité. Ce qui s’échange dans le corps sonore des mots des phrases est drôle, dans l’idée que drôle est foncièrement humain. C’est la première qualité peut-être avant d’en connaître tous les défauts. Et que la relation à une langue des l’enfance influe sans doute sur le caractère tout entier selon qu’on la considère par ses sons que par son sens. Le fameux parle à mon cul ma tête est malade. Je n’arrive pas depuis hier à me sortir fouasse, Pichrocole, pétrole de la tête, ça n’a pas vraiment de sens, sauf si je comprends que fouasse et pétrole ont remplacé Hélène ou Béatrix comme prétexte de guerre déjà depuis la Renaissance. Ce qui rapproche Rabelais d’Echenoz, l’Ukraine et la Touraine.

On rit d’amstramgram, la formule, on ne devrait pas. Le son celui-ci où d’autres furent certainement utilises jadis à bon escient pour bâtir. Quand Rabelais parle de compagnonnage, il ne se prétend pas compagnon malgré sa science impressionnante du verbe, mais seulement grouillot , ou serviteur. Il sait qu’il existe une tradition primordiale où le son joue un rôle important, il tente de nous en avertir et en meme temps nous incite à écouter ce qu’il peut y avoir derrière le rire, à rompre son apparence incompréhensible, dérisoire ou désespérante parfois… et en cela il propose une forme de liberté par la langue par le son que chacun d’entre nous est aussi en mesure d’inventer si ça lui chante.

Voir

Roussillon en face du foyer Henri Barbusse
Roussillon en face du foyer Henri Barbusse

Un verbe important pour qui prétend vouloir dessiner et peindre. Hier en stage j’attire l’attention sur cette idée en désignant au delà des fenêtre et de la route le grand bâtiment, ancienne usine, désormais repartagée entre une association religieuse et une entreprise de sécurité. Sa façade très graphique notamment, des rainures verticales et horizontales avec au-dessus la répétition des obliques de la couverture bitumineuse. Des poutrelles de couleur bleue redivisent encore l’espace de la façade. Ce bleu est particulier, est-il clair, est-il intense, saturé ou pas ? la couleur ne cesse de changer plus on le regarde. Et ce changement impacte l’ensemble de la façade, le bâtiment entier, le paysage tout autour. Voir c’est une intention avant tout, puis une intensité, une fréquence, une intention de changer de fréquence. Passer de l’ordinaire à autre chose d’indéfinissable. Et c’est cet aspect indéfinissable que l’on doit malgré le risque qu’il nous échappe sans cesse tenter de trouver par la ligne, la couleur, la composition, l’ensemble de ces ingrédients. Est-ce affaire de technique, pas vraiment. En tous cas pas seulement. Bien sur il faut connaitre les couleurs sur le bout des doigts, savoir la quantité de jaune nécessaire – et quel jaune- pour atteindre le turquoise d’un bleu. Mais avant cela il faut voir ce bleu EN SOI , il est rarement visible à l’extérieur. L’habitude de voir à l’extérieur un bleu nous prive de sa réalité. Pour la retrouver il faut absorber ce bleu jusqu’à ce que l’on ferme les yeux pour enfin le tenir; ensuite on peut créer le mélange sur la palette; on sait ce que l’on cherche vraiment. On cherche une sensation de bleu on ne peut plus se tromper.

Ce qui empêche la plupart d’entre nous de voir est vraiment mystérieux. Les enfants voient et puis ensuite la pensée prend le dessus. La pensée c’est l’âge adulte, c’est cet aveuglement. Mais tout le monde a vu, tout le monde a été enfant, alors pourquoi cet oubli.

Hier lu l’occupation des sols de Jean Echenoz. Un court texte mais quelle histoire ! C’est difficile de lire Echenoz je ne m’en souvenais pas. Mais dès les premières lignes ça m’est revenu. Un état d’esprit à atteindre tout particulier comme pour voir un bleu. L’architecture des phrases, l’égarement soudain dans lequel on se retrouve après quelques lignes à peine. On irait chercher midi à quatorze heure, encore la pensée, l’intellect, mais il suffit de lire à haute voix pour saisir le pourquoi du comment. Retrouver quelque chose de l’enfance, surtout de la résistance associée pour moi à l’enfance.

Enchainement avec Ravel aussitôt, et je me retrouve soudain à Montfort l’Amaury. J’ai habité ici, pas très loin de l’Eglise, de ses vitraux classés. Mais quel est le nom de la rue, impossible de retrouver. J’ai ouvert Google Earth et je me suis promener dans les rues sans rien reconnaitre. combien de temps ai-je vécu là, pas plus d’une année, mais le temps suffisant tout de même pour refaire de fond en comble l’appartement que je louais dans cette vieille maison avec jardinet. Une panique soudaine de ne pas retrouver ce souvenir, cette adresse, cette rue. Puis je me calme c’était peu avant de déménager sur Lyon donc 1995, j’ai au moins ce repère de date. Mais tous les textes, les papiers administratifs, les photos, je me souviens que je les ai abandonnés plus tard dans une cave, en 2003, rue Henry Pensier, Lyon 8ème.

Je ne suis jamais allé chercher ces cartons, j’avais rendu les clefs de l’appartement à son propriétaire et c’était difficile de le recontacter par la suite, de dire j’ai oublié quelques cartons dans votre cave. Et aussi l’idée qu’il avait pu les ouvrir, lire certains textes, peut-être aussi tout jeter me rebutait. Peut-être n’avais-je pas envie de m’entendre dire qu’il les avait jetés. Et que les ayant laissés ainsi dans un doute si l’on veut, ils sont encore d’une certaine manière -enfantine ?- toujours à portée de main ou de mémoire. Mais leur accessibilité demande autre chose que de simplement les retrouver les ouvrir les explorer.

Il doit y avoir deux ou trois gros cartons pas plus. Pour le moment ils sont fermés avec du scotch dans l’obscurité d’une cave, certainement que tout ce qui relate mon histoire avec Montfort l’Amaury se trouve à l’intérieur de ces cartons. Est-ce que ça me manque ? Pas vraiment. Peut-être aussi qu’il faut accepter certaines pertes de mémoire comme une entreprise intègre les pertes ou les profits dans sa comptabilité.

Sauf qu’une comptabilité comptabilise, alors que moi j’en suis bien incapable la plupart du temps. Ce qui est d’ailleurs la source de nombreuses difficultés encore non résolues. tout à fait le genre de choses que je m’obstine- sans savoir pourquoi- à ne pas vouloir voir.

Il faut aussi cette folie ou cette sagesse de ne pas vouloir tout savoir du pourquoi ni du comment, comme il faut des mauvaises herbes sur les talus qui bordent les chemins.

huile sur papier 14 x 22 cm mars 2023

Hockney est devenu visible par ses piscines. Mais quand on parcourt son œuvre on voit à quel point il a peint de différentes façons, parfois enfantines ou abstraites. De plus malgré la pression très forte autour de lui il n’a jamais dit qu’il désirait faire partie de près ou de loin du Pop Art. C’est un véritable outsider, un inclassable. Plus sympathique que l’affreux Dubuffet. Mais un peintre se soucie t’il d’être sympathique ?

Sur mon autre site je poursuis sur les « carnets » je n’avais pas pensé aux photographies jusque là. Et puis soudain en effectuant une recherche par hasard sur la photothèque de l’Ipad je retrouve des images de 2004. Vertige. Cela oblige à revenir patiemment dans toutes ces photographies dont la plupart ne sont pas légendées ni vraiment localisées. Recréer des albums , replacer ensuite dans un contexte. Même des factures, des tickets de carte bleue peuvent être utiles pour se refabriquer une histoire du temps.

Et puis le vertige est trop puissant je m’en écarte pour faire une petite peinture sur papier. Bleu de céruléum, jaune de cadmium et un rouge de cadmium clair., guère de blanc. Il en résulte une grille. La question ensuite serait : est-ce que je vois le monde à travers de telles grilles ou bien je place des grilles devant moi pour que le monde ne me voit pas ne me voit plus… peut-être un peu des deux ou rien de tout ça. Il s’agit juste d’une recherche d’accords de couleurs.

J’ai déjà fait ce travail des dizaines de fois, sur papier ou sur toile. Mais le souvenir en est vague, je ne parviens pas à restituer ça dans une époque dans une chronologie « normale » , d’où l’intérêt de chercher à classer les photographies que j’ai pu prendre- en espérant que j’en ai pris. Sinon il reste aussi la spéléologie pour aller dans les caves ou au grenier retrouver des traces. Encore une fois se pose la question d’une existence intemporelle qui ne soucie pas des choses faites mais de celles à faire au présent, quitte à réinventer plusieurs fois la roue.

Le fait de se raccrocher à une histoire, fut elle celle de l’art et plus précisément de la peinture, revient aussi à se créer une place, un temps, se créer tout court, à s’incarner. Ensuite il y a bien sûr la nécessité d’un désir d’une envie. C’est certainement comme renoncer à l’alcool , au tabac, un peu difficile au début et puis on finit par s’y faire, on peut même en éprouver une certaine satisfaction, une sensation bizarre de liberté.

forte émotion de voir le tableau de l’Annonciation de Fra Angelico repris par Hockney puis cet autre toile sur laquelle on voit un couple dans une pièce. La femme est la vierge Marie, son écharpe est un vagin, l’homme assit en vis à vis semble abattu, sur ses genoux un chat blanc, et plus loin par terre présence du Verbe sous la forme d’un téléphone.

En même temps ce vide entre les êtres, spécifique à l’Amérique, que l’on peut retrouver chez Hooper. Ce vide que j’ai aperçu sur des images des manifestations d’hier, dans les rues de Paris. Le même qui a gagné le monde entier. Une disparition de la culture, le vide laissé par son absence, de son ignorance désormais. Et en regard cette haine cette violence inouïe qui fera feu de tout bois pourvu qu’elle s’exprime.

peuple

Illustration James Ensor

Il est dans la rue. Le peuple appelé aussi gueux et chienlit, à l’image exacte de ceux qui prétendent le gouverner. On a du mal aujourd’hui à faire coïncider une certaine idée de culture, d’humanisme avec le foutage de gueule de tous les chefs d’états vis à vis de leurs peuples respectifs. Quand on se fout de la gueule du peuple c’est qu’on le considère comme une bête; ce qu’il devient car un contenant vide se remplit de tous les noms qu’on veut bien lui donner.

Autant de ridicule dans la vocifération des uns que dans la morgue des autres. Et non le ridicule ne tue toujours personne, désormais il fait même exister, il distribue les identités.

Ensuite la soi disant misère ou pauvreté… Il n’y a qu’à se rendre dans la zone commerciale juste à côté pour voir avec quelle avidité certains remplissent leurs paniers leurs caddies avec au ventre l’affreuse peur de manquer, l’obsession de remplir d’amasser de collectionner. La queue aux pompes. L’absurde.

Si on voulait vraiment marquer un refus politique descendre dans la rue n’est pas le moyen. Il faudrait utiliser les réseaux sociaux et dire n’achetez plus rien, ne buvez plus ne fumez plus, ne roulez plus, ne consommez plus. Contentez vous de peu voire de rien, et d’une pierre deux coups, non seulement l’état ses banques seraient en faillite, mais chaque citoyen retrouverait la joie de vivre, car il y a une vraie richesse, une jubilation dans la nudité.

le virus

paysage du Yorkshire David Hockney.

La morosité est plus dangereuse que n’importe quel virus. Cette facilité avec laquelle bon nombre tombent dedans. Quand il ne reste plus que cette morosité pour réunir les gens on peut dire que quelque chose cloche vraiment.

Flanquer la morosité à la porte de l’atelier, colmater les fentes, boucher les trous par lesquels elle peut s’insinuer. Nettoyer palettes et pots des résidus déposés par celle-ci. Repartir encore une fois à zéro. Conserver la joie de peindre. Des verts tendres, des verts électriques, des mauves tranquilles, une terre rouge brique.

carence

Antoine Carbonne L’enfer de D’ante

Antoine Carbonne s’inspire de David Hockney, une même idée d’espace et de couleurs les réuni. Hier j’ai passé un long moment à examiner leur travaux, puis à me déprimer. Il y a toujours cette faiblesse qui revient malgré tout effort pour l enfouir, la dissimuler. La comparaison.

Mais le fait est que cette comparaison soit comme un serpent de mer, qu’elle ne ressurgit que lorsque je repense à certaines scènes ou images enfantines. Hier encore je me suis demandé ce que ça donnerait si je peignais la maison familiale de La Grave en utilisant surtout les couleurs joyeuses d’Hockney. Le problème réside dans l’espace. L’espace est mon problème ma difficulté majeure. je le remplis trop. exactement comme j’écris. Le trop pour combler le pas assez qui revient, cette carence. Une caresse avec un n.

David Hockney Terrasse et piscine

l’espace et l’espèce, en l’espèce, ex peace, un paradis perdu, le retrouver en soi avant de penser l’offrir aux regards de l’autre. L’espace et Dieu ou encore l’Espace c’est Dieu. Comment ça se passe l’espacé quand on y croit pas, et au temps non plus. On remplit on rampe lit on rend pli pour pli, dent pour dent.