Le truc et la méthode

Le truc c’est quoi, ce peut être ce que l’on voudra, peindre un tableau, écrire un bouquin, partir dans les iles Kerguelen, vouloir séduire la plus belle fille du monde, devenir roi des Emanglons, aller chercher son pain à l’autre bout de la ville, éplucher une pomme, lire tout Balzac, devenir un crack en maths, redécouvrir l’Arche perdue, apprendre le sanskrit. La liste serait encore longue mais trop fastidieuse à écrire ou à lire. Et d’ailleurs comme on l’a dit peu importe le truc. Le truc n’est pas grand chose, ou beaucoup de choses, selon le point de vue, selon l’idée que l’on s’en fera. En revanche une chose est certaine, c’est qu’il est bien plus difficile d’obtenir ce truc en se livrant totalement au hasard qu’avec une bonne méthode. Cela fait des millénaires que la quête de n’importe quel truc ne se fait plus au hasard, que les méthodes pullulent, parfois bonnes, parfois moins bonnes, d’autres fois encore absolument nulles et qui toutes se vantent de pouvoir vous mener au truc sans faillir. Le cent pour cent de réussite est souvent un argument décisif. C’est à dire que si vous lisez cette phrase sur l’emballage d’une méthode: cent pour cent de réussite, pour obtenir votre permis de conduire, par exemple, il ne vous viendrait pas à l’esprit de douter l’obtenir, si vous l’acheter cette méthode. Surtout si comme de plus en plus il se doit est ajouté le fameux :ou remboursé.

Il est donc possible de créer une méthode pour tous les trucs. C’est plus cette méthode qui est intéressante, bien plus que n’importe quel truc.

Parlons encore une fois du truc et ensuite basta. On ne parlera plus que de méthode. On fait tous des trucs. C’est un fait. Les faisons-nous bien, peut-être pas. Parfois nous les faisons bien, d’autre fois moins. pour quelle raisons, parce que nous n’avons pas de méthode ou alors notre méthode n’est pas bonne ne donne pas le résultat attendu. Ce qui n’empêche pas de la refaire, toujours la même, on espère qu’un jour ça marchera, on est têtu. Une bonne méthode est une méthode qui conduit au bon résultat, c’est à dire le truc, enfin le truc, hourra le truc !

C’est humain de vouloir faire un truc comme si on pensait être le premier, le seul, l’unique. Rien d’anormal à cela. Surtout chez les personnes seules, peu enclines à converser avec les autres. Les personnes qui sont parvenues par des chemins obscurs à préférer la solitude plutôt que la foule, ou tout simplement l’Autre. Ces personnes là sont tout à fait à leur aise pour inventer de nouveaux trucs surtout lorsqu’elles sont seules. L’erreur bien souvent, est que l’on pense être seul à faire un tel truc, et qu’ il n’en faut pas beaucoup pour qu’on pense l’avoir inventé. Voici l’erreur. Et aussi comment un truc original à première vue devient banal sitôt qu’on passe à un regard autre, ou encore des regards qui ne sont pas étonnés, pas attirés, pas intéressés de revoir un truc qu’ils connaissent déjà. Pour pallier l’erreur, se renseigner un minimum sur le truc, c’est un postulat de base. Non pour se dire oh non zut c’est déjà fait j’abandonne, non, mais plutôt pour se dire comme c’est merveilleux que d’autres parlent de ce truc. Qu’en disent ils, comment font-ils, comment s’y prennent-ils. Cela demande deux choses, d’une part de l’humilité, et d’autre part de l’attention. Avec ces deux qualités on en obtient assez facilement une troisième sans effort. Le respect. Le respect pour toutes ces personnes qui se sont regroupées consciemment ou pas autour du même truc que nous. Et ce peut-être aussi bien géographiquement, qu’au cours des âges. Rendez-vous compte. Établir ainsi une liste de toutes ces personnes qui évoquent à des degrés plus ou moins pertinents le truc, voici un préambule utile. On pourrait faire un tour du truc et se demander ensuite s’ils n’ont pas oublié quelque chose. Ou encore s’ils n’ont rien oublié, se demander si une partie ne pourrait pas être développée, voire développée complètement différemment.

Une chose aussi qui devrait faire partie du préambule de la méthode pour parvenir à un truc, c’est l’élaboration patiente d’une série de questions concernant notre envie de posséder le truc. Ce qu’on résumera par l’intention. Trouver l’intention n’est pas facile, on se voile souvent la face sur le pourquoi et le comment, mais le pourquoi parfois, si on l’examinait scrupuleusement, pourrait nous éviter bien des peines par la suite concernant le comment. Imaginez que vous vous mettiez en quête d’un truc dont à la fin vous vous rendez compte qu’il vous est parfaitement inutile… que c’est un truc de plus qui ne sert strictement à rien, sauf à vous avoir aidé à passer le temps. Ce qui n’est pas tout à fait rien tout de même mais n’entrons pas dans les digressions philosophiques. Surtout pas.

Mais aussi une règle est importante. Ne pas se fatiguer inutilement. Préparer un plan avec des étapes, suffisamment souple tout de même pour laisser une petite chance au hasard qui fait si bien les choses quand on le respecte. Donc la prochaine fois, si je pense moi-même à faire un plan pour parler du plan, nous développerons un peu plus le sujet. Faire un plan utile pour obtenir un truc. Cela promet d’être véritablement passionnant, vous pourriez d’ors et déjà vous en réjouir d’avance, comme si déjà vous aviez dans la paume de votre main un petit morceau de votre truc déjà là.

La régularité n’est pas tout.

Quand le ridicule devient une évidence il y a toujours un moment où cette évidence replonge. La vie est un genre de cétacé qui a autant besoin de s’ébaubir d’air que d’ abyssales apnées. La régularité est le leitmotiv depuis 2018. Genre de mat auquel on demande à tout l’équipage de nous ligoter pour accéder au rocher des sirènes. Orgueil évidemment que de vouloir remonter à la source du langage, à l’incohérence magistrale qui fonde tout langage. Mais la répétition, l’habitude, la régularité de pratiquer le chant des sirènes, de les voir chaque matin se jeter du haut de leurs rochers, fatigue énormément, et surtout replonge l’être dans son bain d’ennui congénital. Il faut du temps pour lutter contre les béquilles que l’on se donne. Pour avancer. Pour saisir que le rythme de la régularité est un rythme mineur enfoui dans un rythme beaucoup plus vaste dans lequel l’inaction est reine.

Le rien faire dit aussi non agir cher aux bouddhistes n’est pas aisé à comprendre. On ne saurait l’attaquer de front sinon justement avec orgueil et vanité. Autant dire l’échec déjà compris dans la démarche frontale.

Il faut sentir le vent de l’inaction se lever en soi et ne pas si opposer. Ainsi on pourrait contrebalancer la régularité par des périodes d’inactivités afin de créer un équilibre vraiment digne de ce nom. Ce ne sont pas des vacances, pas des congés, ce n’est même pas une simple pause. C’est un retour volontaire au trouble, à la boue, à la confusion. C’est à partir de là qu’on peut seulement établir une différence utile entre la lumière et l’ombre, non pas en tant qu’opposés mais associés.

Ces périodes d’inaction comment les décrire. Elles ne se voient pas, elles ne sont pas visibles, peu démonstratives, c’est une tâche de fond. On continue sur la fréquence de la régularité mais on sent que quelque chose est en train de lâcher peu à peu, le cœur n’y est déjà plus, le sexe non plus, le désir en général tourne à vide. Ce ne sont que signes avant coureurs, que prémisses. Cependant on continue malgré tout. Peut-être qu’avec un peu plus d’honnêteté, un peu plus de courage, beaucoup moins de vanité ou d’orgueil, on pourrait s’arrêter plus vite et s’enfoncer aussitôt dans le trouble sitôt qu’il nait. Il me semble que la durée de celui-ci est directement lié à la manière dont on l’aborde.

Il s’agit bel et bien d’une compétence que l’on peut acquérir comme n’importe quelle autre. C’est passer d’une inconscience à la conscience en deux mots. Saisir intuitivement que la régularité est un leurre, conscientiser cette perception, créer ensuite un système, puis l’expérimenter. Cela prend bien une vie voire plusieurs.

Rêves d’espaces

Pallas Athéna , Klimt.

Un rêve c’est peut-être ça, une façon de coller l’œil à la réalité, et de découvrir d’autres réalités si on reste ainsi un moment à regarder. Ce pouvoir de l’œil de tirer partie de l’extérieur pour tisser autant de réalités intérieures qu’on le souhaite ou le désire . Folie de la jeunesse certains disent. Et ils préviennent, longtemps à l’avance, dès le début.

—Un jour tu verras que ce n’est pas comme ça.

Etre vieux et se souvenir de ce genre de réflexion pousse l’ angoisse. Et s’ils avaient raison. Et si tout l’héritage ne consistait que dans cette abdication prévue d’avance, programmée dans le un jour tu verras. Pourtant le rêve, cette intimité que l’on entretient la nuit, avec le monde semble si… vraie, juste, quel est le mot. Cependant on sent exactement dans le corps que plus on vieillit plus le réveil est difficile. Plus on vieillit moins on n’accorde d’importance à la réalité telle qu’on nous la présente. On n’en veut plus de cette réalité, elle ne nous sert à rien cette réalité. Alors on l’oublie. Alzheimer c’est peut-être ça. Une fatigue telle de la réalité serinée qu’on se sera seriné à soi-même. Et tout alors y passe, tous les espaces, tous les êtres, tous les souvenirs, tout est aspiré dans un vide. Le vide de l’oubli. Est-il si vide ou bien est-il occupé par des espaces que l’on ne peut plus partager, que l’on ne pense même plus à partager.

Est-ce qu’on peut ainsi reprendre une image, appelons ça un souvenir, et accepter son aspect lacunaire. Tirer même partie de ses lacunes. Quelle image se présenterait spontanément ainsi en déclarant je suis une image incomplète et c’est une chance sache le que je le sois. Une chance pour toi si tu veux me peindre ou m’écrire. Alors qu’assez spontanément le reflexe serait de la laisser filer.

Un rêve d’espaces aussi lié à ces images lacunaires, à leur incomplétude même qui forme un passage d’un espace à l’autre.

Sous forme de paragraphes assez courts, n’ayant de lien visible les uns avec les autres que leur aspect lacunaire, que leur incomplétude. Ce qui aussitôt fait revenir à cet engouement de 2020-2021 pour les écrits de Jankélévitch, l’histoire de ces deux juifs qui s’interrogent chacun sur leurs destinations. Kiev.

—Où donc vas-tu?

— A Kiev.

— Tu as quelque chose à y faire ?

— Non.

En 1988 on m’avait demandé si j’accepterais de prêter quelques jours mes carnets. J’imagine que c’était pour les feuilleter. Impossible de les lire tous il y en avait une bonne quinzaine. L’ami photographe qui m’avait demandé ça était autiste Asperger. A l’époque je l’ignorais. L’eussé-je su cela n’aurait pas changé beaucoup de choses à notre relation. Nous vivions comme des rats, lui à Simplon pas loin un petit appartement, moi à Château-Rouge, petit hôtel avec confort pour une fois. Mais des cafards en veux tu en voilà. Il y avait une épicerie africaine juste en dessous. C’était la cause probable de la vermine avait déclaré la concierge. Je ne me souviens que de peu de choses. Mais ça je me souviens . Prêter mes carnets, c’était encore jouer à Ulysse, prendre le risque de tout perdre. Mais je sentais qu’il fallait le faire à cet instant. Et que m’avait il dit cet ami me les rendant ces carnets. Mais ça avait l’air de l’avoir enthousiasmé. Il allait faire pareil. Le fait de noter deux trois trucs au jour le jour l’avait ébloui, c’est le mot. C’est en lisant l’aspect apparemment décousu de mes petits paragraphes qu’il y voyait un lien avec la photographie. C’était flatteur. Mais pas que. C’était la perception de la vie qui nous entoure. On pouvait donner une forme au bordel. Et à l’occasion peut-être même un sens. Et à l’occasion comprendre que le bordel est un ordre incompris. Incompris par qui, par tout le monde certainement. Parce qu’on n’a pas le temps de s’occuper à trouver un sens au bordel quand on passe toute la sainte journée à le fabriquer.

Voilà donc une image et un paragraphe. Avec des lacunes. Et c’est venu comme ça spontanément, sans réfléchir à un ordre quelconque des mots, des idées, c’est sorti du front tout armé comme Athéna voilà. Une incarnation de la sagesse armée de pied en cape. Et on comprend mieux aussi pourquoi il faut qu’elle soit armée quand on est vieux comme je me sens vieux. Pour pourfendre le détail pénible, les digressions qui ne servent qu’à s’embrouiller tout seul dans sa mémoire ou son oubli. Sa propre mémoire et son propre oubli. Et surtout s’y complaire parfois quand on rêvasse. Sauf que là il s’agit d’écrire ce n’est pas la même chose.

De Guy Debord à Carlos Castaneda.

Guy Debord

Étrange parcours ce matin dans la fraîcheur du matin. Comme un ressort qui se détend lentement, sans hâte, un relâchement lent et mou. Ça commence avec Guy Debord, plusieurs vidéos regardées sur YouTube, en attendant le réveil de la petite fille qui dort dans la bibliothèque, installée en chambre à coucher pour quelques jours. C’est toujours quand c’est difficile d’accès qu’on éprouve l’impérieuse envie. Donc des vidéos, retour au situationnisme, à la société du spectacle. Puis, quelques cigarettes plus tard la sensation d’une prophétie réalisée et comme une urgence à nouveau de trouver une solution. La vieille urgence, celle qui ne cesse de tenailler depuis des années et qui t’envoie de mur en mur tête la première. Pour quel résultat ? Quelques tableaux et quelques textes, du spectacle comme tout le reste finalement. C’est qu’il va se loger si profondément en soi ce spectacle, qu’il faudrait trouver des forceps pour parvenir à s’en extirper. Et même cette extraction, ce fantasme, n’est ce pas encore du spectacle que l’on désirerait s’offrir à soi-même. Puis un moment entre chien et loup, ce moment où l’on éteint la lumière de la cour pour mieux pouvoir le contempler l’éprouver, la lumière de l’aube qui nettoie tout doucement la nuit et fait douter qu’elle puisse s’achever aussi facilement. Et on se met à penser au rêve bien sûr, aux rêves dans les rêves comme un labyrinthe, le fameux labyrinthe éducatif de Debord. Fermer les yeux et quoi voir, de quoi se souvenir avoir vu pour s’en défaire, et aussitôt ce sont des mains qui surgissent. Étranges ces mains dont on ne sait plus vraiment à qui elles appartiennent. Peut-être ne sont elles que des mains, et qu’il ne sert à rien de vouloir leur attribuer un visage. Et bien sûr le petit bouquin revient aussi sec à la mémoire, voir, de Carlos Castaneda. Les vieux engouements, une honte très agréable à revenir dans ces souvenirs de lecture, qui a l’époque dans les années 80 balisaient la fuite. Castaneda… et presque aussitôt les mains disparaissent, on ouvre les yeux, on aperçoit le paquet de tabac, on s’en roule une, et le regard s’arrête sur ce geste automatique. Debord, Castaneda, la cigarette… et un sentiment de colère qui monte, colère et amertume, une violente tristesse.

Carlos Castaneda planqué dans Octavio …

100. Notule 100

Le dernier de la série. 100 petits textes sans queue ni tête, juste pour le plaisir. Le plaisir de la continuité, ou de la régularité, c’est déjà beaucoup.

Demain je verrai, je passerai à autre chose. Demain je serai un autre.

C’est un parcours du combattant où il s’agit de perdre du lest au fur et à mesure que l’on se présente devant l’obstacle.

On finit plus ou moins à poil à ce petit jeu là et ma foi c’est très bien comme ça.

Le monde serait tellement plus vivable si tout le monde se baladait à poil.

Plus guère de cachotteries, ça n’aurait plus vraiment d’ utilité.

Moins de mensonges aussi.

A poil on deviendraient surement des anges au bout du compte.

Oui mais…

Certains voudront encore évangéliser ou laver plus blanc que blanc, c’est le hic.

On s’emmerderait aussi pas mal j’imagine, faut soupeser le risque.

Enfin moi, c’est clair le paradis m’horripile. Ce paradis là en tous cas.

Avec des Mad Do à chaque coin de rue et des feux rouges projetant des lueurs de croix gammées au sol.

De la merdocratie en barre à grand renfort de tubes de vaseline,

Le C’est pour ton bien citoyen, sois sage et gaffe aux points, bouge pas qu’on va te retirer toute la laine.

et tous tes hormones surtout toi la testostérone aussi par la même occasion.

Déjà la langue devient un borborisme, le verbe acheter une panacée.

Roule une pelle avec ça, si tu peux.

Et l’opinion opine du chef sous la pine des chefs.

Des chefs, mais qui les crée ?

Il n’y aurait pas de loup si le mouton n’existait pas.

C’est la nature, comme c’est dit dans le père Noël est une ordure.

C’est la nature, humaine surtout.

99. Notule 99

Fusain et acrylique, travail d’élève.

Rebloguer un billet pour augmenter sa diffusion, obtenir plus d’engagement, plus d’abonnés, plus de ceci ou plus de cela. C’est quelque chose que je ne fais pas assez. Probablement parce que dans le fond je me fous de ces objectifs complètement.

Ce qui est bien sur une manifestation de caractériel.

Un manque d’humilité aussi certainement.

Un manque de détachement.

Parfois on vit avec de tels manques si longtemps qu’on ne s’en rend même plus compte.

Donc, quand on en prend conscience, une petite secousse vertigineuse nous traverse.

Et on y va gaiement du quel con, quel abruti etc.

Et puis avec l’âge on attend que ça passe. On sait tellement bien désormais que demain sera un autre jour.

98. Notule 98

Photo de abdo tahoon sur Pexels.com

Le vertige produit par la prise de conscience d’une ignorance. Un gouffre sans fond s’ouvre soudain sous nos pieds. Et il arrive que ce vertige provoque aussi, dans un même temps, une attirance vers le vide afin que nous nous y engouffrions tout entier. Comme si nous voulions explorer cette négation de nous-mêmes. Cette fiction nous saute soudain aux yeux et nous aimerions bien nous en débarrasser de toute urgence.

Ainsi ce matin ce click qui m’entraine vers le site Wikipédia intitulé « portail de la linguistique »

J’aurais aussi bien pu me retrouver sur un autre site que celui-ci, où la matière eut été la mathématique, la physique ou la chimie, domaines sur lesquels ma totale incompétence règne, cela aurait probablement entrainé un résultat similaire. C’est plus une constitution d’esprit du moment, une conjoncture qu’autre chose.

C’est cette configuration d’esprit qui cherche le vertige. Dont l’objectif prioritaire est ce vertige.

Rechercher le vertige pour explorer la fiction de soi. Pour comprendre ce qui subsiste après cette chute dans le vide, où dans le moment même de cette chute. Cela participe d’une ivresse encore proche des techniques soufies.

Que reste t’il alors sinon une conscience qui me pense plus que je ne peux la penser. Une conscience qui me dépasse et me déborde. Et aussi qui s’engouffre par l’entremise de ce vide que je suis parvenu à créer en moi-même par ce vertige.

Il y a donc une association qu’on le veuille ou pas entre le je qui saisit soudain sa limite brutalement si je peux dire et la vastitude de la conscience qu’il découvre justement lorsqu’il se trouve à sa limite.

Et ce vertige est à la fois dû à la dégradation de ce moi face à son ignorance qu’à l’ivresse provoquée par le désir parfois impérieux de vouloir dans un premier temps la combler.

Et en outre une autre prise de conscience surgit encore, celle de l’âge et de l’impossibilité de tout combler dans un temps restant imparti.

C’est la figure de Tantale qui contemple à la fois l’eau et sa soif les mains liées dans une posture d’impuissance.

Impuissance qui, si on suit du regard son sillage baveux mène probablement, pour le plus grand nombre d’entre nous, vers cette sorte de sagesse qui découle du bon sens.

D’où l’évasion. La tentation de l’évasion encore à 62 ans, à la fois merveilleuse et ridicule suivant l’humeur du jour.

S’accrocher à des reflexes de jeune homme, retrouver l’énergie qu’apporte la curiosité, étincelles soudaines de milles feux de Bengale. Les contempler ces étincelles qui ne dureront qu’un déjeuner de soleil. S’en réjouir le temps que ça dure. Honorer ou célébrer ça, ne pas oublier surtout. Avoir au moins cette gratitude minimum qui manque toujours de nous échapper lorsqu’on se complait à sa désespérance, à sa tristesse en énumérant sans relâche les chiffres de notre désabusement, d’un point de vue morbide dû à la vieillesse.

Est-ce de la témérité, de l’audace, de la bravoure ? Et quelle importance de définir cet élan ?

Peut-être que justement il ne faut pas chercher à dépasser la limite cette fois et toutes les autres , ne pas chercher à définir cet élan mystérieux de crainte de le voir s’évanouir à tout jamais.

97. Notule 97

Photo de MART PRODUCTION sur Pexels.com

Jojo, ou Lulu, Bubulle si vous préférez être plus conventionnel.. De toutes façons peu importe. Est-ce qu’un poisson rouge se soucie d’avoir un patronyme ? Quoique enfermé toute la sainte journée dans un bocal on peut se faire des soucis pour bon nombre de choses. S’en inventer au besoin, pour tromper l’ennui.

Tromper l’ennui, drôle d’expression. Puisque déjà l’ennui est une erreur d’appréciation. Tromper une erreur serait-il une voie plausible pour retrouver le droit chemin ? Dans un bocal le droit chemin mène à une paroi de verre vous le savez bien. Nous ne sommes plus à un paradoxe près naturellement.

D’ailleurs que serait cette vie sans paradoxe, l’avez-vous déjà imaginé ? Moi oui, en tant que poisson rouge je peux tout à fait relever les paradoxes et même y prendre goût. Car vous me croyez enfermé dans mon bocal, de temps en temps vous daignez égrainer quelques miettes pour que je puisse me sustenter et vous vous dites: ce poisson rouge dans son bocal ce n’est pas moi ; comme ça me rassure.

Mais moi je peux tout à fait penser de même. Ces pauvres gens qui me donnent de la graine et font des mines grotesques pour tenter de me consoler d’être ce que je suis, quelle compassion m’envahit quand j’y pense !

—Et moi est-ce que tu auras de la compassion pour moi quand je vais te faire ta fête ? dit le chat sans ouvrir les yeux. Tout le monde parle de cette fichue compassion pourquoi je n’en parlerais pas moi aussi hein ?

Et puis vient un moment où le spectacle s’achève. La maison est vide, le bocal est vide et le coussin où dormait le chat est déchiré, vide aussi.

Tout est soudain vide remplit par l’absence.

Et l’absence énumère ses abattis, puis s’ébroue pour enfin s’en aller ailleurs visiter un nouveau logis.

96. Notule 96

Photo de Trace Hudson sur Pexels.com

Ecrire aussi est une initiation. Comme crier ou prêcher dans le désert. Il faut en passer par là probablement, c’est à dire faire le tour complet d’une montagne plutôt que d’imaginer en atteindre le sommet. Même si maintes fois l’obsession d’un sommet à atteindre nous assaille.

Abandonner quelque chose à chaque tour de piste. Comme l’auguste Auguste qui chute en déclenchant le rire et les observations automatiques de Monsieur Loyal.

Et une fois les rotations accomplies ne conserver que l’idée d’un cercle et d’une absence qui dessine ce cercle. Et dont la perfection parfaite ne tient qu’à la perfection de cette absence.

Et ce divertissement dans lequel on s’engouffre volontiers par ignorance obligée. Etre l’obligé d’une ignorance, et constater l’étendue d’une dette qu’on ne peut rembourser. Une dette qui ne demande d’ailleurs pas à être remboursée.

Ce divertissement du savoir, de la technique, des milles et unes stratégies et astuces que l’on place comme des petits cailloux pour ne pas s’oublier en chemin jusqu’à parvenir au dégout salvateur enfin.

Enfin le dégout de l’artifice, vous voyez bien.

On le renifle à cent mètres et les yeux clos, c’est encore une étape à franchir à n’en pas douter.

La compassion n’est pas bien loin. Ce qui ne veut pas dire new-age, ni gourou, ni ascendant, à moins de vouloir encore explorer la descente et la montée jusqu’à la panne d’ascenseur.

La compassion s’en fout royalement puisqu’elle sait qu’à terme elle gagnera. Qu’il n’y a pas d’autre possibilité de choix pour arrêter de crier comme de prêcher et de s’inventer sans relâche des déserts.

De la compassion pour soi-même par ricochet. Un présent qu’on n’espérait même plus tant la difficulté de recevoir avait été engloutie par l’ivresse du don mal adressé.

L’écriture est aussi proche de la danse soufie, elle nous enseigne par étapes successives tout ce qui ne fonctionne pas, tout ce qui est mensonge, illusion, à coté de la plaque. L’écriture est une maitresse implacable qui nous amène à une vérité tout aussi implacable: Ce besoin essentiel du désert et du silence quand, au bout du compte les cris, les hurlements, pas plus que les prêches n’ont plus aucune raison d’être sinon de nous emporter vers l’égarement final.

L’égarement de la fin, où ne subsiste rien pour s’accrocher, pour se raccrocher tranquillement, comme un vêtement à un porte manteau.

95. Notule 95

Il y a cette contradiction, comme cette évidence que l’on ne veut pas voir et qui consiste à toujours vouloir se mettre en danger et de se plaindre d’un manque de sécurité. Ce qui provoque l’inertie. Et une attente du prochain coup de chien à venir pour remettre une pendule à l’heure.

Cela peut surgir de n’importe où et n’importe comment. Et c’est sans doute ce désir là précisément qu’il faut pointer du doigt.

Repousser le paiement d’une facture jusqu’à voir surgir un huissier et finalement payer bien plus cher que ce qui était dû. C’est totalement illogique et sans doute est-ce cette illogisme qui me plait comme une sorte de luxe unique que je pourrais m’offrir dans un monde où tout est cerné par cette logique justement.

C’est complètement idiot, c’est effrayant, cela peut même s’étendre jusqu’au monstrueux, au criminel, et cette peur se confond soudain avec le désir, jusqu’à l’épouser totalement.

Puis une fois la sanction essuyée comme un crachat, se remettre d’aplomb et durant un laps de temps souvent bref, prendre le taureau par les cornes, prendre des résolutions, tenter d’appliquer des règles qui ne tiennent jamais trop longtemps. Comme pour mieux se convaincre qu’elles ne tiennent pas ces règles, qu’elles ne sont que des placébos. Que le mal est au final incurable. Jouissance assurée, octroyée par ce verdict.

Le plaisir dingue de se faire mal ainsi. De transmuter le mal en bien pour faire la nique au commun, pour s’élever à la hauteur de je ne sais quelle divinité, à moins que la hauteur s’inverse à ce moment là précisément, pour devenir profondeur dans laquelle on finit par se paumer, avalé par un démon des gouffres. Explorer encore un enfer neuf …

Le plaisir de se perdre également. La joie féroce, sauvage de se lâcher, de s’abandonner au sort.

On ne peut pas savoir aujourd’hui où le chamanisme peut se loger. Certainement pas dans les lieux dont on parle désormais avec ce petit air entendu . Pas chez les amérindiens, pas en Mongolie. Le chamanisme dont je parle prend sa source à Barbes Rochechouart, ou entre la porte Saint-Denis et la fontaine des Innocents à Paris. C’est ainsi que j’ai commencé l’initiation certainement.

Et mon maître ne fut que le hasard.

Ce fut la seule façon de donner du sens au double-bind, à cette double contrainte, danger-sécurité que de marcher dans l’entre-deux. De me laisser bringuebaler entre les deux.

Des années de vertige, de répétitions jusqu’à pouvoir prendre conscience enfin du rythme. En s’égarant dans l’idée que celui-ci soit personnel puis de s’égarer encore plus loin en s’imaginant une connexion à l’ensemble du cosmos.

Et puis enfin voir l’effet du temps qui a passé, le constater dans la glace le matin. La peau des paupières qui tombent, un éclat moins vif dans le blanc de l’œil, l’effroi de la vieillesse et cette vulnérabilité soudaine.

Le renouveau des peurs comme le renouveau des astuces pour les dépasser.

Naviguer ainsi est aussi artistique que de réaliser un tableau. Et comme toujours, peu importe le résultat visible. Seul le mouvement parait réel, jusqu’à le devenir. Seule la relation entre la réalité et l’illusion est réelle. Tout le reste appartient à la catégorie du résidu.

Ou, pour me tirer une balle dans le pied, à la littérature.

Et si dans le fond je ne me trompais que de vocabulaire. Si au lieu de « danger » et « sécurité » j’utilisais les mots « attirance » et « répulsion », ou « inspiration » et « expiration »… ?

Alors tout ça finirait probablement par pénétrer dans une logique enfin universelle.

Et je serais comme tout à chacun enfin, consolé d’être réduit à une série de battements cardiaques, à une respiration du monde.

Ce serait la réduction ultime, autrement dit encore : être réduit à la merci.

Ou à la gratitude pour utiliser un mot à la mode.

Et là bien sur je ris.