Nourrir, entretenir.

en chemin 120×90 cm huile sur toile

j’ai placé un tableau inachevé dans ma dernière exposition dont le titre est « en chemin », d’ailleurs la toile aussi est ainsi nommée. Ce qui me fait rebondir sur l’achevé. L’achevé ne peut être qu’un jugement temporaire en ce qui me concerne. Tant que je suis vivant je peux toujours reprendre une toile que j’ai à un moment ou l’autre désignée comme achevée voire même inachevée et inverser les mots comme les usages. la croyance car s’en est une logée profond qu’une toile sera par définition achevée définitivement quand je le serai également n’est pas un manque de confiance en soi, mais plutôt une forme de lucidité parfois insupportable.

Il me semble qu’un tableau se nourrit au fur et à mesure du temps du changement de regard, de tout ce qui ne cesse jamais de nous traverser, nous entretenons bien plus qu’une surface une épaisseur une croyance ainsi. A même niveau que l’espoir sans les inconvénients des déceptions, c’est vivre avec ce qui nous entoure qu’on le peigne ou pas.

Un tableau peut avoir le même sourire que le chat du Cheshire.

Barnett Newman né à Lower East Side.

(Première partie)

« … Au lieu d’utiliser des contours, au lieu de faire des formes ou de créer de l’espace, mon dessin déclare l’espace. Au lieu de travailler avec les restes de l’espace, je travaille avec tout l’espace. « 

Barnett Newman considérait les dessins comme essentiels à sa méthode de travail. Et compte tenu de son penchant pour une seule ligne droite pour façonner l’espace (ce qui a été surnommé le « zip »), il n’est pas clair si l’espace dont il parle est l’espace sur le morceau de papier bidimensionnel, ou un espace plus tridimensionnel. espace. Ou peut-être pensait-il à l’espace qu’impliquent ses dessins. Ou il aurait pu simplement parler de la zone, ou de l’espace, sur un morceau de papier. Beaucoup de questions que se posent les non-artistes finalement. Encore une fois agir n’est pas réfléchir. Déclarer plutôt que tergiverser.

Le long de l’East River entre le pont de Manhattan et la 14 ème rue s’étend Lower East Side dont la limite ouest est Brodway. Ce quartier fut longtemps habité par une population ouvrière et défavorisée, il n’avait pas bonne réputation. Beaucoup de juifs venus d’Europe de l’Est y vivaient et y vivent encore. En 1910 on en comptait 540 000 d’après le livre de Paul Johnson, une histoire du peuple juif ( JC Lattes , 1989) C’est dans ce quartier de New York que nait Barnett Newman, le 29 janvier ( tiens comme moi ) mais lui ce fut l’année 1905.

En 1905 que se passe t’il aux Etats-Unis d’important ?

Les Etats-Unis prennent le contrôle des droits de douanes, par un traité signé avec la République Dominicaine. La création du Rotary Club. Création d’un protectorat qui mettra fin à l’ingérence américaine en République Dominicaine. Le début de l’ère Lochner ( la cour suprême s’oppose systématiquement à toute règlementation favorisant les conditions de travail, notamment les durées de travail et les salaires ) Ce qui entraine un peu plus tard la création d’un syndicat international, le International Workers of the Word à Chicago, dont les participants seront nommés les Wobblies ( deux cents socialistes, anarchistes et syndicalistes radicaux) Ils souhaitent ainsi en réaction à la loi Lochner, rassembler les travailleurs sans discrimination de sexe, de race ou de qualification. Ils prônent l’action directe et l’autodéfense en cas d’agression. Les Noirs se réunissent aux chutes du Niagara sous l’impulsion de William Edward Burghardt Du Bois  ( diminutif W.E.B du Bois) Des familles noires s’installent à Harlem.

Il se passe toujours quelque chose quelque soit l’année que l’on choisit sur Wikipédia, c’est fascinant.

Donc Barnett est d’origine juive. Ses parents viennent de Lomza en Pologne. Le père Abraham gagne sa vie en vendant des pièces détachées de machine à coudre aux ouvriers des usines de vêtements du coin. Est-ce pour la fabrication des jeans qui demande énormément de main d’œuvre et de matière première depuis la découvertes des premiers filons d’or du Klondike quelque années auparavant ? On peut le supposer. Il faudrait effectuer des recherches pour en être vraiment certain. Mais ça ne changerait en rien la vie de Barnett Newman, ni celle de son père Abraham qui grâce à ce commerce permet à la famille de vivre assez confortablement. D’ailleurs, en 1915 ils déménageront dans le Bronx, et Barnett se met au piano, au sport et au sionisme puisqu’il fréquente l’école Hébraïque. ( il aura même des cours particuliers en sus des autres dispensés par de jeunes juifs arrivant eux aussi d’Europe)

Entre 1919 et 1923 Barnett fréquente plus le Métropolitan Muséum of Art que l’école. C’est juste à côté de l’école donc forcément beaucoup plus attractif. En 1923 il se met à fond au dessin et décroche un prix pour un dessin intitulé « Much-labored-over » ( beaucoup travaillé) Il fait la rencontre d’Adolph Gottlieb qui revient de Paris et qui est fortement influencé par Cézanne, Matisse et Fernand Leger. Gottlieb dira un jour  » Pour moi, certaines abstractions n’ont rien à voir avec l’abstraction. Au contraire, il s’agit du réalisme de notre temps. » Ce qui sonne assez juste à mon avis. Il crée en 1935 le groupe The Ten. ( Peut-être un clin d’œil à l’ancien groupe Ten American painters qui fut crée en 1885 pour protester contre le mercantilisme de leurs anciennes expositions et leur ambiance de cirque… ) Ils furent les représentants de l’impressionnisme américain durant une bonne vingtaine d’années.

Barnett est aussi copain avec un certain Aaron Siskind, qui deviendra plus tard un photographe assez connu. Mais pas par moi. Dans son travail, Siskind met en avant des détails de nature et d’architecture. Pour lui, ce sont des surfaces lui permettant de créer de nouvelles images totalement indépendantes de leur sujet d’origine.

Quelques images d’Adolph Gottlieb et de ses œuvres

Quelques images d’Aaron Siskind et de ses œuvres

Je m’arrète là pour aujourd’hui. Suspens.

L’article complet sera publié sous forme de feuilleton pour ne pas accaparer le temps des lecteurs d’un seul coup.

Sur la route romantique

Günther Förg est né en 1952 à Füssen, en Allemagne, en Bavière, là où coule le Lecht, sur la route romantique. Romantique parce que construite par les romains. Il y a un château gothique, (Hohes Schloss) , l’un des plus beaux de Souabe. On peut le visiter et y découvrir une jolie collection d’œuvres de la période gothique et de la Renaissance. Un peu plus loin on trouvera le complexe baroque (1697 – 1726) de l’ancien monastère bénédictin de Saint-Magne fondé au viiie siècle. Le baroque c’est au XVII ème siècle la refonte plus rhétorique , plus théâtrale, d’un vocabulaire formel provenant de l’architecture antique, et déjà revisité par la Renaissance. C’est dans cette environnement que Günther Förg est né c’est de là qu’il est parti pour devenir l’un des plus grands artistes de l’abstraction contemporaine. Est-ce étonnant qu’il revisite, lui aussi, dans ses peintures abstraites, le vocabulaire formel de la peinture de ces prédécesseurs notamment : Barnett Newman, Clifford Still, Willem de Kooning ? Pas vraiment quand on réunit ensemble ces quelques informations sur lui et la ville de Füssen.

Dans les années 70 il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Munich ( Munchen) et très tôt à partir de 1973 rencontre un succès international.

Ce qui l’intéresse c’est la modernité et surtout les signes par lesquels elle se manifeste. Il les traque au travers de ses photographies d’architecture concernant l’époque du Bauhaus, notamment la confrontation des bâtiments avec l’usure du temps

Quelques images de ses photographies de l’architecture du Bauhaus :

Quelques images de ses peintures abstraites :

Peut-être que ce qui choque le public quant à ces œuvres abstraites c’est leur apparente simplicité ou facilité d’exécution. On se dit qu’un enfant pourrait le faire. C’est vrai. En ce qui me concerne je ne trouve pas ça péjoratif. La différence se situe dans l’intention avec laquelle un enfant peut réaliser un tel travail et celle d’un artiste associée à d’autres, en matière de langage formel, et à toute une histoire de l’art traitant de la même volonté , ou curiosité, qui le précède.

Quelques œuvres de Barnett Newman ( 1905-1970 )

Quelques œuvres de Clifford Still

Quelques œuvres de Willem de Kooning

Sur la route romantique on se rend compte en premier lieu que ça vient du romain et non d’un sentiment romantique comme on aurait pu l’imaginer. En second lieu la notion de vocabulaire formel que l’on s’échange, travaille, réinvente de génération en génération à propos d’une thématique quelle qu’elle soit. La modernité n’est pas un champignon qui pousse en une nuit, elle est toujours le fruit d’une histoire, d’une langue, et des être qui prennent le temps de se pencher sur cette histoire.

Tentative d’épuisement.

acrylique sur toile 18×24 cm avril 2023

Trajectoires, routes, chemins, sentiers, labyrinthes, errances, routines, enfermement dans des routines, habitudes, exceptions, découvertes, œillères, répétitions, corvées, ennui, lassitude, surprise, étonnement, hypnose, itinéraires, décider, se laisser porter, hasard, nécessité, obligation, résistance, ombre et lumière, gris, couleurs, connu, inconnu, nouveauté, fatigue, energie, renouveau.

Une suite de mots séparés par des virgules. Comme un itinéraire de pensées qui se déplie. Eviter la phrase, l’argumentation, l’explication, la justification. Revenir encore sur le tableau demande de dépasser la fatigue. Revenir sur le tableau demande d’oublier le connu. Revenir sur le tableau. Pénétrer dans l’inconnu. Avoir un regard neuf, détaché, de ce que ce tableau était il y a encore une minute. Ne pas avoir de suite dans les idées puisqu’il n’y a pas d’idée. Il n’y a pas d’idée en amont. Il y a juste l’envie de peindre un tableau. Quel est vraiment mon âge quand je peins un tableau ? Quelle est mon expérience ? Est-ce que je peux me servir de cette expérience quand je peins un tableau ? Si je m’en sers je retombe presque toujours sur le même tableau. Oublier l’expérience, oublier tous les tableaux déjà faits. Commencer un tableau c’est commencer une nouvelle vie. Il se peut que cette nouvelle vie soit semblable à toutes les autres déjà passées. Il se peut qu’il y ait seulement un tout petit décalage. Il se peut que ce petit décalage soit une opportunité à laquelle on peut s’accrocher un moment. On peut encore s’accrocher à l’espoir que ce ne soit pas exactement le même tableau, la même vie. Dans ce cas il faut changer de trajectoire, d’itinéraire, de routine, d’habitude. Prendre cette habitude de ne pas se laisser enfermer dans les habitudes. Résister à l’habitude. Résister à l’ennui qur provoque la répétition, la routine, l’habitude. Le hasard existe puis il n’existe plus. La nouveauté peut être toxique. N’est-ce pas une forme de handicap que de toujours se cantonner au même trajet, suivre le même cheminement, se mettres des œillères ? N’est-ce pas un handicap que de ne pouvoir supporter l’idée de déjà-vu. N’est-ce pas de la bêtise d’imaginer que l’on se baigne plusieurs fois dans le même cours des choses ? N’est-ce pas le déjà-vu l’obstacle ? N’est-ce pas l’illusion d’avoir vu quelque chose, de ne l’avoir vue que partiellement pour une raison ou pour une autre à cet instant précis où on l’a vue qui empèche de le regarder à nouveau et pourquoi ne pas recommencer, regarder à nouveau, s’y prendre à deux ou plusieurs fois pour regarder à nouveau ?

Et si rien n’était nouveau ? Si c’était seulement l’œil qui soudain s’ouvrait comme par hasard. Il n’y a pas de hasard. Alors pourquoi l’œil s’ouvre à ce moment précis ? Par lassitude de quelque chose qu’il ne désire plus voir. Par lassitude d’une habitude du voir. L’œil change de trajectoire, l’œil emprunte un autre chemin, il décide à cet instant précis de faire une exception à son habitude. Il dépasse l’idée de corvée, d’obligation, de résistance.  Il n’est pas attiré par la lumière seulement il explore aussi l’ombre. Il n’est pas attiré par ce qui attire régulièrement, la couleur. Il ne s’oppose plus à la nuance. Il accepte le noir et le gris en même temps que la couleur. L’œil est fatigué de s’opposer, il lâche prise, ce n’est pas un hasard. C’est un ressort qui a longtemps été compressé et qui à un moment précis se relâche.

Peut-être qu’il faut en finir une bonne fois pour toutes avec l’idée de nouveauté. Il n’y a jamais eu de nouveauté, il n’y en a pas, il n’y en aura plus. Il n’y a pas de hasard pas plus que de nouveauté. Il y a seulement de l’aveuglement. Un aveuglement crée par l’habitude. Un aveuglement crée par la peur de voir, la peur de regarder vraiment. Un aveuglement qui est ce qu’on appelle le confort, le « ça me suffit », le « j’en ai déjà bien assez ou trop vu ».

Peut-être qu’il faut s’enfermer. Il faut s’enfermer avant de l’être par hasard. Le hasard n’existe pas. Il faut une méthode. Il faut toujours une méthode. On croit que l’on n’a pas de méthode mais c’est faux. On a une méthode. Cela peut être inefficace. L’efficacité est-il l’unique validation d’une méthode ? Quand saura t’on que l’on est véritablement efficace ? Qu’est ce que ça peut bien vouloir dire pour un peintre d’être efficace ? Ce n’est pas de peindre plus vite. Ce n’est pas suivre le même processus pour obtenir toujours le même résultat. L’émotion n’est pas un résultat scientifique. Adopter le même protocole de travail conduit à une forme d’aliénation. C’est le protocole qui peint. Donc ce n’est plus vraiment moi. Qu’est ce qui me gène dans le fait que ce ne soit plus moi qui peigne mais un protocole ? Je ne veux pas mourir ? Je délègue quelque chose que je considère important pour moi à un protocole qui peu à peu me biffe, me gomme ? Est-ce que les gens qui s’appuient sans relâche sur des protocoles ne sont pas d’une certaine manière des suicidaires ? Ils veulent tuer le hasard qui n’existe pas. Ils veulent tuer une illusion en eux-mêmes. Peut-être qu’ils ne savent pas qu’ils sont eux-mêmes des illusions. Peut-être qu’ils le savent très bien et qu’ils s’appuient sur des protocoles en espérant que ça cesse. Faire le tri entre la réalité et l’imagination ne peut pas s’effectuer complètement par la logique. Il faut une part d’errance, d’expérimentation. Il faut s’écarter de la route, emprunter des chemins, des sentiers, se perdre, errer, apprendre à transformer des corvées en moines zen. Ne plus faire de différence entre le connu et l’inconnu, entre le courage et la peur, entre la fatigue et l’énergie. Peut-être que nous sommes comme des ressorts. On se compresse, on se détend, c’est un va et vient plus ou moins régulier. Il faut peut-être ouvrir l’œil pour voir ça. Ne pas rester hypnotisé par la source du hasard, qui n’existe pas. Se rendre le plus loin possible, jusqu’à l’épuisement. Ensuite, recommencer.

Peindre la ville

L’idée classique de la peinture de paysage dissimule une bonne part de ce que sont la ville, la campagne dans notre présent. Comment regardons nous ces deux entités sinon comme on nous a appris à les regarder. Peut-être qu’il faut parfois effectuer un pas de coté, se déconnecter du passé, adhérer enfin au présent. Peut-être qu’il faille revoir notre copie en tant que peintre, et s’arrêter quelques instants pour aller à la rencontre de ce qui se crée aujourd’hui et qui raconte aussi une histoire de la ville ou de la campagne. Une histoire tout aussi importante, pertinente que celle qui nous fut racontée par les plus grands peintres du paysage autrefois.

Parmi les artistes les plus reconnus actuellement, Mark Bradford propose sa propre idée de la ville. L’une de ses œuvres, « Scream » réalisée en 2015 a été vendue 4.3 millions $ chez Sotheby’s. La plupart de ses travaux sont monumentaux et constitués de matériaux de récupération ( du papier notamment ) que Mark trouve autour de son atelier.

Natalie Obadia, une des actrices majeures de l’art contemporain puisqu’elle fut durant plusieurs années la vice- présidente du comité professionnel des galeristes d’art, connue pour ses galeries à Paris et Bruxelles et notamment la re présentation du travail de Martin Barré, a décrété en 2019 que Mark Bradford était l’un des plus grands artistes contemporains.

Mark Bradford est américain, né en 1961 à Los Angeles. Il a obtenu un BFA (1995) et un MFA (1997) du California Institute of the Arts de Valence. Bradford transforme des matériaux récupérés dans la rue en collages et installations de la taille d’un mur qui répondent aux réseaux impromptus – économies souterraines, communautés de migrants ou appropriation populaire d’espaces publics abandonnés – qui émergent dans une ville.

S’inspirant de la composition culturelle et géographique diversifiée de sa communauté du sud de la Californie, le travail de Bradford s’inspire autant de son parcours personnel en tant que marchand de troisième génération que de la tradition de la peinture abstraite développée dans le monde entier au XXe siècle. Les vidéos de Bradford et les collages de papier multicouches ressemblant à des cartes font référence non seulement à l’organisation des rues et des bâtiments du centre-ville de Los Angeles, mais également à des images de foules, allant des manifestations pour les droits civiques des années 1960 aux manifestations contemporaines concernant les questions d’immigration.

Mark Bradford a reçu de nombreux prix, dont le prix Bucksbaum (2006) ; le prix de la Fondation Louis Comfort Tiffany (2003); et le prix de la Fondation Joan Mitchell (2002). Il a été inclus dans des expositions majeures au Los Angeles County Museum of Art (2006) ; Whitney Museum of American Art, New York (2003) ; REDCAT, Los Angeles (2004); et le Studio Museum à Harlem, New York (2001). Il a participé à la vingt-septième Biennale de São Paulo (2006) ; la Biennale de Whitney (2006) ; et « inSite : Pratiques artistiques dans le domaine public », San Diego, Californie, et Tijuana, Mexique (2005). Bradford vit et travaille à Los Angeles

Et pourtant personne ne connait cet artiste, notamment parmi mes élèves, et souvent au delà de la sphère de mes ateliers, personne ne connait Mark Bradford, comme personne ne connait Amy Sillman, Gerhard Richter, Julie Mehretu, Wade Guyton, Tauba Auerbach, Gunther Forg, Katharina Grosse, Sterling Ruby, Charline Von Heyl.

Les plus grands noms de l’art contemporain dans le domaine de l’abstraction sont pour le public totalement inconnus. Ils ne le sont que par une minorité d’amateurs d’art, de galeristes, de marchands et de collectionneurs. N’est-ce pas stupéfiant ?

Il y a un abîme entre le public et l’art contemporain. Peut-être en a t’il toujours plus ou moins été ainsi. Peut-être que Da Vinci, Lippi, Botticelli ne furent connus à leur époque que par une élite. Peut-être que la notoriété met du temps à pénétrer le goût des foules. Peut-être aussi que tout vient de la manière dont on communique sur l’art suivant les époques. Peut-être aussi que parfois l’art est encore trop souvent réservé à une toute petite minorité. L’art contemporain est ignoré par la plupart des gens soit parce qu’on n’en parle pas suffisamment dans les médias classiques, soit parce qu’il faut faire un effort pour s’y intéresser, et que lorsqu’on s’y intéresse le parcours pour obtenir des informations n’est pas toujours aisé. Il y a peut-être encore une raison supplémentaire que j’observe en me promenant sur le net à la recherche d’informations sur ces artistes. C’est leur appartenances à des minorités sexuelles, le mouvement Queer, le féminisme ( et oui encore au XXI ème siècle, leur opposition au consensus du genre, leurs opinions politiques.

La question à se poser ensuite c’est pourquoi ces artistes sont remarqués par les galeristes, par les collectionneurs souvent proches du monde de la finance, de l’argent, du luxe. A mon avis c’est que c’est une minorité qui se reconnait plus ou moins dans une autre. Mais ce n’est évidemment que mon humble avis.

N’empêche qu’il existe bien un art contemporain dans le domaine de la peinture abstraite, une prolongation d’une histoire, une lignée et qui se tient au-delà des clivages politiques même si elle les met parfois un peu plus en exergue. Cette histoire nous enrichit, nous propose de voir le monde différemment, de changer le monde en même temps que de regard. Ce n’est pas spectaculaire, c’est quelque chose de progressif, c’est assez lent. Et puis quand une génération pense avoir compris le travail d’un artiste, une autre vient plus tard, le revisite, trouve encore autre chose en adéquation avec sa propre actualité. ( Notamment le cas Obadia-Barré) .

Dans le fond quand je repense aussi à cette bonne idée d’avoir désiré participer à un atelier d’écriture, cela commençait par écrire sur la ville, une boucle se boucle. Ce que j’ai appris dans cet atelier c’est qu’il faut sans cesse avoir l’envie de renouveler son regard, de se remettre en question sur notre façon d’interpréter le réel que celui-ci soit au présent, au passé comme au futur.

Ecrire la ville n’est pas différent de peindre la ville, il s’agit de le faire simplement avec son temps, avec les moyens mis à notre disposition, même s’il s’agit de très peu de choses, des matériaux de récupération, un vocabulaire pauvre. Peut-être aussi que le point commun, celui qui pousse les artistes, les écrivains par delà les générations est aussi une chose très simple, ôter de soi la complication, chercher à examiner de quoi elle est constituée, trouver la simplicité, rendre compte d’une émotion le plus simplement possible.

Quelques images du travail de Mark Bradford.

Coupable industrie

La villa la Californie, Picasso.

12/04/2023

A la mort de Picasso, en avril 1973 à l’âge de 91 ans, c’est Maurice Rheims, commissaire priseur, (« Alors Rheims, toujours votre coupable industrie ? –  l’interpelle Charles De Gaulle) qui fut chargé de cataloguer et d’évaluer les 12000 œuvres de l’artiste.

A l’époque la France ne possède aucune œuvre de Picasso dans ses musées. C’est André Malraux qui saisira donc l’opportunité d’en acquérir par le moyen de la dation (en s’appuyant sur l’occasion pour promulguer la loi de dotation à l’Etat)

 La dation en paiement étant le procédé par lequel un contribuable peut s’affranchir de certains impôts notamment ceux de succession au moyen d’objets de valeur, notamment des peintures, des livres, du mobilier, objets de collection en tout genre. C’est souvent de cette façon que les musées acquierrent leurs fonds notamment le Musée Picasso. C’est l’année dernière, en avril que 6 œuvres ayant appartenu à la fille de Picasso, Maya, ont ainsi rejoint le Musée.

Concernant cette succession compliquée comme le fut la vie familiale de Picasso, on s’aperçoit que la part de l’Etat est celle de l’ainé, la part du lion. Néanmoins on ne pleurera pas sur les héritiers pour ce cas précis tant la richesse, l’abondance, de l’auteur de Guernica est stupéfiante. On apprendra aussi à l’occasion que les enfants illégitimes, les pièces rapportées ne sont pas sensés pénétrer chez le notaire lors de la lecture du testament (selon les articles 335 et 342 du code civil :  » les enfant adultérins doivent être considérés comme étrangers à leurs parents au point de vue patrimonial, et sont privés des droits héréditaires accordés par la loi aux enfants naturels « 

 Ce qui sera par la suite arrangé par Pompidou un peu avant sa mort en 1974 et permettra à Claude et Paloma, les enfants de Pablo et d’Olga Kokhlova de faire valoir leur droit à une partie de l’héritage.

Maurice Rheims sera ébahi par la profusion des œuvres qu’il découvrira entreposées dans les différentes demeures de Picasso, notamment à la villa La Californie, où, dans les sous-sols , se tiennent dans la pénombre des milliers de sculptures, de céramiques. Picasso utilisait la sculpture quand il éprouvait des difficultés à exercer la peinture. On voit au nombre que ces difficultés ont certainement dues être régulières et nombreuses. Rheims évoque aussi son ébahissement double à découvrir le classement méthodique de chaque œuvre par l’artiste, une méthode aussi monstrueuse finalement que sa création.

Je repense à mes visites chez Thierry Lambert, à la même profusion entr’aperçue, A toutes ces œuvres, empilées quasiment des murs aux plafonds, partout dans toutes les pièces de la demeure de la Sapineraie à Sainte Hilaire des Rosiers. Je crois que c’est pour cette raison principalement que je me suis retiré sur la pointe des pieds, que j’ai rompu peu à peu la relation et les projets que j’avais proposés de réaliser, notamment ces interviews sur l’art brut, et sa démarche artistique. Il n’y a pas eu de dispute, juste une énorme gène qui est venue en moi-même. Je crois que je ne me suis pas senti à la hauteur, pris soudainement par une bouffée d’humilité sans doute mal placée comme c’est souvent le cas quand cette forme l’humilité se présente à moi. Je ne crois pas qu’il s’agisse de jalousie, c’est bien plus un constat qui m’assomme comme m’assomme l’ennui généralement. Une chape de plomb qui s’abat, et qui m’étouffe. C’est-à-dire que je revis aussitôt l’enfermement personnel dans lequel je réside, me complais,  me réjouis autant que je m’en plains et qui m’indique simultanément les limites de ce que je pense être ma bienveillance, ma générosité.

J’imagine qu’il s’agit d’un simple reflet de ce que j’aurais pu être, prétention, orgueil compris dans le lot, c’est-à-dire encore une fois cette haute importance conférée à l’art et qui dissumule souvent une haute importance à l’ego. Ce qui crée aussi en moi presque aussitôt un étau dont les deux machoires sont le dégout et l’admiration. Et à chaque fois il me semble evident que ma seule issue pour ne pas être broyé est toujours la même, une fuite.

Je ne sais toujours pas s’il s’agit d’une formidable lacheté, d’un trait de caractère marquant une résistance à tout cliché qui se formerait en moi-même, et qui serait soudain insupportable, un manque de générosité, d’humanité… toujours cet embarras du choix face au faisceau des raisons plus ou moins plausibles.

Embarras qui m’entraine vers la désertion systématique au plus fort des batailles intérieures.

Alors la sanction tombe presque aussi systématiquement, dérision de soi, catatonie, mépris de tout ce que je suis, possède, imagine, crée. On ne peut pas vraiment être ainsi dans le meilleur état, propice à se dire artiste, voire peintre ou quoique ce soit dans ces moments là; le ridicule, Dieu merci, nous en préserve.

La peur du ridicule, d’un ridicule vis à vis de soi surtout car je n’ai aucune crainte de l’être devant qui que ce soit paradoxalement. J’imagine que cette peur du ridicule est très proche de l’idée de ma propre disparition finalement, surtout quand c’est par la sensation physique qu’elles s’approchent , sans crier gare ; bien plus qu’en pensée, avec logique ou raison, philosophie.

J’associe ces notes à la lecture du livre de Cocteau, « Démarche d’un poète » dont j’ai avalé une bonne moitié hier soir.

Je ne sais ce qui m’hypnotise tant dans cette histoire et dont je sors à chaque fois comme meurtri. Est-ce que j’ai besoin de me meurtrir ainsi à tout bout de champ, peut-être. Certains hommes ne peuvent rien faire avec la joie, avec le simple plaisir d’être, il se mettent des bâtons dans les roues à loisir, ils sont d’une complexité tellement complexe qu’au bout du compte ils en deviennent simples d’esprit, idiots.

L’art un peu trop souvent, est pour moi proche de l’idée de délit, de l’insulte et c’est bien dommage, dans le fond c’est là le résultat d’une éducation petite bourgeoise, on voudrait faire mieux que le père, remplacer le père, le tuer au besoin. C’est toute l’histoire de l’art dit moderne du XX ème siècle et qui n’est pas encore digérée par certains dont je fais partie je crois. Ces admirations sont louches tant elles font ressurgir l’idée d’un confort, d’une volonté grégaire, d’un fantasme plus ou moins avéré de sécurité.

Une coupable industrie, ça me va assez bien comme terme

traversée

dessin sur tablette avec Procreate

une traversée de l’inutile commence en premier lieu par la prise de conscience sourde de tout de ce que tu croyais important, précieux, utile. Ce sont des écailles qui se détachent lentement des yeux pour glisser vers l’oubli ou le néant. Autrefois cela te paraissait insupportable et tu essayais constamment de recoller ces morceaux, plus ou moins avec soin, mais, tandis qu’un de ces fragments reprenait place, te recréait un peu bancal, un autre à nouveau se détachait pour glisser au loin.

Au bout du compte il en résulta une monstruosité sans nom, une créature à ranger dans la catégorie des films d’horreur, une reconstitution grossière, un amoncèlement des morceaux de cadavres unis par des coutures grossières.

enfin l’inutilité fut d’une intensité telle que tu dus lâcher ta besogne. Un espace gris t’avala tout entier, une sorte de no man’s land dans lequel tu erras des milliers de jours et de nuits, mais sans jamais savoir quand était la nuit quand était le jour . Tout avait perdu à ce point de son importance que tu ne parvenais plus à discerner et les choses et les êtres et leurs contours et l’espace entre eux. Tout ne fut plus que formes figées dans la roche froide, et tu fis encore des efforts débiles durant un temps indéfinissable. Tu rampas lentement sur des corps, sur des objets, sur des mots qui n’avaient plus aucune signification ni sens ni laideur ni beauté.

Et puis dans une anfractuosité de ce monde bizarre tu trouvas enfin une place. Tu ne fis plus alors que regretter d’antiques sensations, des sentiments appartenant à des âges antédiluviens, tu parvins ainsi à mi chemin du but que le destin avait depuis toujours fixé pour toi.

Tu commençais à prendre racine dans la roche, tu réinstallais l’idée du confort, quand celle-ci fut heurtée par un immense corps céleste qui pulvérisa tout ce que tu croyais encore être toi et ce lieu cet espace et tes minces espérances de devenir.

Éparpillées dans l’espace noir des bribes flottent tout autour de toi, tu n’es plus dans un corps précis, tu es dans chacune de ces bribes et pourtant tu es en même temps nulle part et partout. Tu es cette conscience qui parvient vaille que vaille, coûte que coûte encore à se faufiler, à traverser l’inutile, en empruntant parfois un peu d’utile si besoin est, si vraiment nécessité, pour voyager plus loin.