94. Notule 94

Finalement je reviens vers Jean Rivière lors de mes trajets en voiture. Durant tout un mois je n’ai pas cessé de me déplacer en semaine, comme d’habitude, et ces derniers temps s’ajoutent les week-end pour honorer les permanences à l’exposition de Mornant.

Je crois que je ne peux supporter que lui Jean Rivière pour m’accompagner durant tous ces trajets. C’est comme une sorte de rébus, une énigme à résoudre. Et ce n’est pas une affaire de séduction tout bien pesé. Même si tout est comme mathématiquement prévu de A à Z dans ses vidéos, ses podcasts, ses mails pour déclencher le désir d’acheter, il y a autre chose. Et ça ne suffit pas non plus de parler d’empathie car l’empathie fait aussi partie de son système.

C’est beaucoup plus une résonnance que j’y découvre avec la peinture. Le fait de sans cesse se remettre à l’ouvrage, de recommencer la toile, de tester énormément de pistes différentes, comme d’effectuer des paris, des plans sur la comète. On mise sur une idée de formation comme on mise sur l’avenir d’une toile finalement, on pourrait dire cela sans que ça ne soit vulgaire ni obscène.

Je veux dire si on siphonne de long en large tout le romantisme qui s’attache encore à l’idée de création.

Il faut prendre de la distance avec l’image de cette embarcation dans laquelle on ne cesse d’écoper surtout en sachant au fond de soi que le naufrage est le but dissimulé.

On peut se naufrager tout seul correctement de milles façons diverses et variées. Alors pourquoi ne pas en essayer mille avant de subir les assauts de la fatigue et d’abdiquer une bonne fois pour toutes.

Jean Rivière est une figure incontournable du web marketing, il a inspiré de nombreuses personnes dont certaines désormais sont célèbres et donc riches de toutes évidences.

Je ne sais pas si lui est si riche que ça, et surtout si cela l’intéresse vraiment de l’être. C’est certainement cette intuition que j’éprouve en consommant ses contenus qui me rapproche de lui si je peux dire en tant que peintre peu attiré par la célébrité pas plus que par les millions.

Cela pourra paraitre pour beaucoup être à première vue une posture romantique. Quelque chose qui se rapproche de Don Quichotte se battant obstinément contre les moulins à vent. Le tout cousu de fil blanc du genre du non que l’on prononce pour attirer un oui. Mais tout bien pesé encore ce n’est pas cela non plus.

Cela tient plus de l’archétype du créateur tel que je l’envisage depuis le début. Quelqu’un qui place la liberté avant tout.

Depuis des années, 2003 je crois, Jean Rivière propose une formation par semaine pour résoudre des problèmes dans le domaine du marketing. Souvent on peut avoir l’impression que c’est toujours de la même chose qu’il parle, et c’est certainement vrai. Pourtant il se creuse vraiment la tête pour en parler de mille façons différentes à chaque fois.

Parler d’ un problème sous plusieurs angles, lui permet d’extraire ainsi une somme pharamineuse de contenus, de donner l’impression au public à la fois qu’il maîtrise son sujet et qu’il cerne l’ensemble des difficultés de celui-ci. Ce qui lui permet la plupart du temps d’enjamber toutes les objections, les résistances et de vendre.

Son but est de vendre, il le dit clairement, il ne s’en cache pas. C’est ce qui me différencie de lui.

C’est aussi ce qui me fait rêver probablement lorsque mon découvert à la banque est dans le rouge cramoisi.

Le manque d’argent est devenu plus cruel ces dernières années d’autant que j’ai l’impression de travailler comme un forcené. Le fait est que je ne sais pas du tout me vendre je ne l’ai jamais su. Et si jadis c’était probablement une posture romantique qui a glissé progressivement vers une posture spirituelle si l’on veut, du genre  » l’art est sacré, l’art n’a pas de prix » le fait est que souvent dès le 15 du mois je me retrouve gros Jean comme devant.

Donc normal que je revienne à Jean Rivière. Je voudrais faire du fric bien sur, arrêter d’être con, mais je voudrais bien le faire le plus élégamment possible pour ne pas tout perdre de mes vieilles croyances, de la belle image que j’aurais façonnée ainsi durant tellement d’années.

Ce n’est d’ailleurs pas tant pour moi-même que pour mon épouse. Car je continue à me dire que personnellement à part mes clopes, mon café, et ma peinture je n’ai besoin de rien. Ce qui est profondément égoïste d’après elle et même si je pressens que c’est vrai, parfois elle parvient même à me convaincre… bref.

Sauf que je n’ai pas peur d’être égoïste, on ne me met pas du sel sur la queue de cette façon.

Donc c’est une tâche de fond : Faire de l’argent si possible pas de façon débile, pas comme un bourrin, élégamment. Le beurre, l’argent du beurre et bon la crémière faut voir.

Parfois je me dis que je ne gagne vraiment pas grand chose à dispenser tous ces cours par monts et par vaux, que j’y déploie une énergie qui est très loin d’être rémunérée à sa juste valeur. J’ai ce toupet là aussi parfois.

Le problème est là , cette interrogation perpétuelle sur la valeur. Et du coup j’oscille depuis le sommet au gouffre. Il y a des jours où je pense que je suis bon, d’autres où j’ai la sensation de voler mon salaire.

Le fait aussi que les temps actuels proposent de se décomplexer vis à vis du pognon, de ne plus éprouver de culpabilité à en gagner si possible beaucoup, énormément, c’est la nouvelle couverture du journal de Mickey. Et du coup bien sur le mal remonte, L’adoration du veau d’or revient chez moi au grand galop. Et bien sur je suis plus du coté de Moïse et du buisson ardent.

Ce qui fait que le 15 du mois la température est plutôt ardente elle aussi.

J’ai un mal de chien à prendre au sérieux le fait de vendre mes tableaux sur internet. Même si c’est arrivé j’ai toujours l’impression que c’est du à la chance, ou pire que l’on me fait un genre d’aumône, de charité.

Ce manque de confiance je le conserve car j’en ai besoin. Je ne cherche absolument pas à me soigner de quoi que ce soit de ce coté là. Si je me mettais à avoir confiance dans mon propre talent, si je n’avais plus de doute, je serais foutu probablement. Je me mettrais à ne peindre que ce que les gens ont acheté, que ce que les gens aiment. Je ne ferais plus de peinture je ferais des petits pains.

Autant devenir boulanger alors. Et je n’ai rien contre non plus, il n’y a effectivement pas de sot métier

Sauf que la peinture est un sacerdoce et que je n’ai qu’une religion tout à fait personnelle. Je ne cherche pas tant à me relier aux autres qu’à qui je suis envers vents et marées. C’est ma vie.

Ce qui fait que je me gave ces derniers temps des contenus de Jean Rivière c’est parce qu’il est une version de moi-même débarrassée des entraves que je me suis toujours donné concernant la manière de gagner de l’argent ou plutôt de gagner ma vie.

En l’écoutant j’ai l’impression qu’à condition de mettre un peu d’effort dans l’organisation, dans la logique , en trouvant des raccourcis, en allant à l’essentiel je pourrais probablement régler un bon nombre de problèmes qui ne cessent de me turlupiner depuis des années.

Et passer le cap Horn par temps clair le 15…

Sauf que le cap Horn sans aucune turbulence ça doit être surement décevant pour tout navigateur digne de ce nom.

Comme quoi je peux tout à fait écouter Jean Rivière, et les sirènes en général durant mes trajets en voiture, ça me passe le temps tout bonnement et ça peut aussi à terme, me renforcer dans certaines opinions dans certains choix. Ca peut aussi m’aider à rester qui je suis accessoirement.

Je vous laisse le lien de sa chaîne Youtube, au cas où vous auriez de la route à faire au volant ces prochains jours.

93. Notule 93

Rater un tableau ne demande pas beaucoup de réflexion. On sent que c’est raté, cela tient plus d’une sensation, d’une émotion. C’est l’impersonnel qui semble en décider comme s’il s’agissait d’un réflexe pour lutter contre quelque chose d’aussi flou que lui. C’est l’appréhension du semblable pas tout à fait semblable qui déclenche le jugement à l’emporte pièce.

Mais quelle est cette entité qui juge à notre place si l’on peut dire ? Peut-être est-ce le regard d’un public que l’on s’invente tout seul et qui nous dépossède de notre point de vue de singleton. Le vertige que nous éprouvons devant l’échec ne provient t’il pas plutôt d’une solitude du moi relégué à une marge ?

Un écart qui nous place devant le fait accompli. Un écart qui nous isole, nous extrait et nous écartèle. Et cette étrangeté classée aussitôt dans le débile, accompagnée d’une culpabilité vis à vis de la chose personnelle quand justement celle-ci prend beaucoup trop ses aises avec l’autre, publique; fantasmée. Et l’impuissance dans laquelle elle nous relègue à répétition, comme est répété le son d’un tambour chamanique, d’où la douleur, la colère, la violence, la tristesse et les deuils qui naturellement, presque toujours en découlent et qui semblent être les ingrédients d’un rituel comment autant d’étapes à franchir pour s’élever.

Toute cette souffrance ne tient pas, il faut autre chose sans doute pour tenir dans la durée, autre chose que le désir clair d’un effacement double. Il faut des illusions encore, il faut des rêves, et beaucoup de ténacité à croire dans ces rêves. Et soudain, et tout à coup et en même temps, il faut de toutes évidences de la persévérance pour rien, enfin !

Ce que retient le public de ceux qui ont été transmutés dans l’athanor d’une postérité, d’une notoriété c’est souvent cette persévérance, cette souffrance par laquelle on pense qu’il faille absolument passer. C’est plus à partir d’un résidu de décomposition que se porte l’attention ou la croyance, et c’est ainsi aussi que l’essentiel échappe au regard commun.

Et tout est probablement très bien ainsi. Car il s’agit de marcher en crabe entre le moi et l’autre, le public comme entre le profane et le sacré, entre des concepts tellement usés, au final, et ce perpétuellement pour se frayer un chemin vers la mer, vers l’espace infini de la toile.

Comment peut-on rater la mer à moins de ne pas vouloir la voir.

Comment peut-on rater un tableau à moins de ne pas vouloir le réussir, de refuser obstinément cette réussite convenue.

Et cette question lancinante toujours de se demander qui accepte l’échec qui refuse la réussite ?

Et le désir pris en étau dans l’entre deux penserait-on ?

Mais non.

C’est un présent ce désir, un désir de présent

et pas grand chose de plus à bien y réfléchir.

92. Notule 92

smartcapture

Les tableaux qui me touchent et dont l’attrait non seulement dure mais augmente avec le temps, ce sont ceux faits sans raison, sans but, on pourrait les declarer comme issus d’un creux, d’un vide, d’un silence ou d’une absence. D’un présent qui ne se soucie ni du passé ni d’un avenir.

Et à chaque fois que je les regarde, je les regarde dans ce présent inchangé. Quelque soit mon état d’esprit avant de retrouver ces tableaux, il ne tient pas face à ce présent.

Tout en est comme désamorcé, vain, obsolète et risible, surtout la gravité, l’importance, la suffisance.

C’est ce qui me plaît aussi dans les peintures réalisées par les enfants. Quand ils ne se font pas encore une idée arrêtée sur ce qui est beau ou laid. Quand seule l’expression telle qu’elle surgit les surprend, me surprend.

Ces tableaux sont des fenêtres ouvertes sur un présent toujours immuable, et si je désirais être consolé vraiment ce serait possible.

En tous cas ils m’obligent souvent à considérer mon obstination à vouloir résider dans l’inconsolable.

91. Notule 91

Rêve de vol.

 En peinture l’impression de liberté jusqu’à ce que l’on comprenne la nécessité du choix. Le choix se heurtant comme une mouche sur une vitre à l’infini des possibles.

Pourquoi est-ce que voler est si important ? S’envoler cela consiste à plonger dans une ivresse tranquille à s’abandonner à la sensation de légèreté. Et dont la raison majeure, puisqu’il faut de nos jours des raisons à tout, serait de vouloir s’extraire d’une autre sensation, ordinaire cette fois, celle que la pesanteur provoque.

La volonté peut elle avoir un lien avec l’imaginaire, et ce lien ne serait-il pas purement imaginaire vu sous cet angle ?

 Vouloir maîtriser l’envol est surement le pire postulat qui soit dans le domaine de la créativité, dans l’art en général ?

La peinture permet de s’envoler à condition toutefois que nous voulions bien capituler, mettre de côté cette volonté, afin de nous en remettre à la forme, à la couleur, à l’espace et au déséquilibre bien plus qu’à une idée provenant du vouloir.

Car savons-nous vraiment ce que nous voulons ?  

Mon expérience quotidienne d’enseignant me démontre que la plupart des gens ne veulent que ce qu’ils connaissent déjà sans même s’en rendre compte. Ils ne décollent pas malgré toute leur bonne volonté, ou plutôt à cause de celle-ci d’un plancher constitué essentiellement de déjà vu, de clichés.

La peinture permet de s’envoler, mais pas n’importe comment.

Tout comme l’écriture, la musique et le sexe. C’est-à-dire que toutes ces activités offrent la possibilité d’une permutation de conscience depuis ce qu’elle connait vers l’inconnu.

La lucidité du rêveur au sein même du rêve de vol, ne devrait se réduire qu’à une simple observation, maintenue dans une vigilance dépourvue de volonté de profit. C’est sans doute ce que l’on appelle rapidement une utopie, mais l’infini n’est-il pas la preuve mathématique que l’utopie non seulement existe mais qu’elle est en même temps et de tout temps, une  nécessité ?

De quoi s’agit il d’autre sinon de ce passage d’une dimension considérée profane vers une autre considérée sacrée ?

Au travers de ces activités, nous avons la possibilité de nous connecter au plus vaste de nous-mêmes.

L’idée même du vol est de s’élever d’un niveau vers un autre. De s’offrir l’occasion de changer de point de vue, d’explorer en tous les cas quelque chose qui nous est étranger, inconnu.

Le philosophe Gaston Bachelard évoque le rêve de vol dans son ouvrage l’air et les songes. Et il attire notre attention sur l’aspect factice de celui-ci quant il est utilisé en littérature ou dans la poésie.

Il en va certainement de même pour la peinture.

Cette sincérité du rêveur relatant tout haut son rêve, tout d’abord dans une illusion d’intimité qui se métamorphosera en dit public, se rapproche beaucoup d’un questionnement quant à la nécessité de sincérité de l’artiste. Sincérité servant de pilier à l’empathie, utilisée désormais comme ingrédient nécessaire à constituer une valeur artistique pour le grand public.

Je pourrais même dire que ce passage de l’intime au public dans une sorte d’inconscience plus ou moins désirée -et c’est dans ce plus ou moins que la possibilité de l’artifice se loge- c’est le rêve lui-même.

 Tout texte comme tout tableau, toute œuvre a pour vocation d’être lue ou relue, vue ou revue, ne serait-ce que par l’auteur lui-même grâce à une distance lui octroyant le recul, le retour d’une pseudo altérité.

Écrire, peindre, marcher sans but dans les rues participent avant tout de ce rêve de vol qui continue d’exister dans l’être humain et dont il est plus ou moins conscient.

C’est un désir de changement d’état, le désir de passer d’un plan à un autre, de ce que l’on peut nommer le profane et le sacré au sens large c’est-à-dire sans être inféodé au religieux ni à la mode de propos new âge.

Sans doute la nostalgie de l’enfance est-elle plus vivace chez les artistes, et peut-être que  cette nostalgie est commune à tous , que celle-ci est fantasmée par le grand public, qui par procuration la  projette  sur l’art et les artistes en général.

La nostalgie de ce temps où il était possible de s’élancer depuis une fenêtre, du haut d’un toit, d’un escalier est d’être pour la première fois surpris agréablement de ne pas chuter.

La nostalgie d’un temps où l’imagination était une force vive sur laquelle nous nous reposions pour nous endormir et rêver en toute sécurité. Créant au besoin cette sécurité soi-même dans la tiédeur du lit, la fraicheur d’un drap. Sans doute qu’en raison de ce sentiment de sécurité nous pouvions nous permettre de passer aussi du rêve au cauchemar avec une jouissance, un plaisir esthétique non dissimulé.

Quand la psychanalyse évoque le rêve de vol elle le réduit à un symbole qui glisse aussitôt vers un concept. Sans même s’interroger sur le « bien-fondé » de la logique d’un tel glissement.

 Une autre erreur à mon sens est que la psychanalyse réduit  la définition de ce qu’est l’imagination en la reléguant à une récréation de notre activité affective permanente ou persistante. En la réduisant au rôle de soupape d’évacuation de l’affectif.

Un symbole ne peut pas se réduire à un concept ni l’imagination à un automatisme.

Mais revenons à la sincérité.

 Gaston Bachelard évoque les envolées lyriques de plusieurs poètes et nous indique ainsi au fur et à mesure, une supercherie directement reliée à l’exagération, à l’emphase qui rend caduque toute  véracité du vol onirique lorsqu’il est ainsi rapporté.  Bachelard attire l’attention du lecteur en disant qu’il ne sert de rien d’en faire des caisses.

Il suffit d’un léger coup de talon sur le sol donné par inadvertance pour décoller, voilà ce qu’il considère comme les prémisses d’un rêve que l’on ne peut remettre en question.

Qu’est ce le philosophe tente de nous dire au travers de cette « inadvertance » ? Sinon le fait que c’est l’imagination seule qui s’empare du rêve en premier lieu, entrainant à sa suite cette pseudo lucidité qui nous fait penser soudain que nous volons au sein même du rêve. Ce que le philosophe tente de dire c’est que le moi n’est pas le créateur de l’imagination mais au contraire qu’il est son outil, son faire valoir, son vassal.

Et cette sensation d’imposture n’est pas à prendre non plus à la légère quand nous créons quelque chose et que nous nous l’approprions sans trop y réfléchir, par pur réflexe égotiste.

Le syndrome de l’imposteur a le vent en poupe de nos jours, tout comme la procrastination. Des formations sont proposées dont le but est de donner confiance en soi pour éviter ces deux écueils.

J’en reçois des dizaines dans ma boite mail et elles disent toutes peu ou prou la même chose. Elles parlent de la confiance en Soi à des personnes qui ne font pas la différence entre moi et Soi.

Pour bien établir la différence, l’éprouver, l’expérimenter il n’est pas besoin de faire de longs discours, ni de dépenser des fortunes en formations fumeuses. Il suffit juste de donner un léger coup de talon sur le sol, et se lancer dans le dessin, la peinture, l’écriture, la musique.

S’en remettre à l’imagination c’est s’envoler vers notre vraie maison.

Cela fait des années que j’ai cette intuition, pour avoir été enfant un grand explorateur des rêves de vol. Cette intuition que ce n’est pas une affaire de volonté de créer quelque chose, que ce soit un tableau, une histoire, un poème. En tous cas au début c’est toujours l’inadvertance qui prend la main et nous entraine. La volonté vient peu de temps après bien sur comme pour vouloir retenir quelque chose qui lui échappe.  Et une fois qu’elle le tient, enfin, ce n’est souvent plus autre chose qu’une coquille vide, une simple enveloppe.

Très certainement, quelque chose de précieux s’y loge mais nous ne pouvons plus le regarder vraiment, nous sommes déjà partis vers un autre rêve.

90. Notule 90

Photo de GEORGE DESIPRIS sur Pexels.com

Le propre du désœuvrement est de ne s’occuper que de lui-même. Même si je sais qu’il suffit de prendre un pinceau et une toile et d’y aller sans réfléchir, il y a des jours où c’est plus fort que moi, je me complais à contempler mon désœuvrement comme on pourrait s’hypnotiser de voir une tâche de fond à l’œuvre justement.

C’est de ce désœuvrement que l’œuvre peut surgir, jamais d’une autre raison que je pourrais inventer. Tous les thèmes, les idées, les émotions, les sensations ne pèsent pas bien lourd face à la puissance de celui-ci.

C’est ce désœuvrement qui m’envahit, que je laisse m’envahir c’est lui la cause originelle.

Ce n’est pas l’ennui, c’est bien plus puissant que l’ennui.

C’est une dévastation qui revient comme un tsunami à période régulière. Où plutôt dont les effets se font sentir plus intensément selon certaines phases de la lune.

J’ai essayé de lutter contre bien sur. De faire l’autruche, d’en rire, de l’insulter, mais rien n’y fait.

Il faut l’accepter tel quel pour ce qu’il est et en miroir pour ce que je suis. Même si je ne sais pas qui je suis.

Et si l’ego, le moi en souffre, s’en trouve à chaque fois modifié c’est probablement aussi parce que ce désœuvrement provient de l’ego lui-même, comme un mécanisme qu’il se crée à la fois pour se faire peur, s’angoisser et tester les limites de sa puissance.

Et c’est étrange que la déception vienne du fait que ces limites tiennent comme des digues. Des digues que l’on aurait parfois envie de voir submergées.

Mais qui éprouve cette envie ?

89. Notule 89

Vous savez quelque chose, j’aime pas ce mot mais disons le : une expertise… ( sans pouffer svp) et là vous recevez une avalanche de questions, et pas de skis pour vous tirer d’affaire. D’ailleurs évidemment je n’ai jamais skié non plus. Rien que d’y penser j’ai déjà mal aux fesses.

Mais l’avalanche de questions s’en fout de votre état d’âme. Elle dévale.

—comment qu’on fait ceci et pourquoi fait on cela ??

sans arrêt

Toute la sainte journée

des comment et des pourquoi

Et donc vous répondez au début, c’est comme un jeu si on veut. Un genre de QCM à répétition qui flatte votre ego quelque part, cet ego qui vous rabâche que vous savez quelque chose que les autres ignorent.

Mais même le meilleur ego du monde subit l’érosion ou l’entropie, l’usure.

Surtout que la plupart des réponses sont déjà dans les questions, et donc vous comprenez soudain qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une putain d’agression.

Du coup vous vous levez, vous vous fichez debout sur une table, en vous débarrassant de votre chemise

vous vous frappez la poitrine comme un vieux singe en guise de réflexe

Puis vous avez une petite lueur de doute

C’est juste un petit soucis de prostate.

Vous vous confondez en excuses en faisant une blague ou deux, remettez la chemise,

et vous vous dirigez à reculons vers les vécés.

88. Notule 88

Et bien je sais fabriquer de l’or à présent, c’est vrai, ce n’est plus à remettre en question.

Sauf que ça ne me sert strictement à rien, que je m’en tamponne allègrement le coquillard.

Comme quoi le désir est inépuisable, et ce quelque soit la satisfaction de celui-ci obtenue, un autre s’avance encore et encore…

Et nous voici rendu de nouveau esclave au moment même où l’air du large nous fouette le visage.

Le désir de partir est le même que celui de la moule s’accrochant à son rocher. Une fois ceci compris et digéré s’élever au dessus de la gravité que l’on s’était inventée.

Observer de sang-froid l’agacement, l’énervement, comme des sources où se baignent de vieilles fées à la peau flétrie. Et les trouver belles encore comme au premier jour.

Si j’avais sous la main un Ukulélé sûr que j’en jouerais.

Ou un banjo pour me souvenir de Délivrance.

Mais j’ai bien peur de n’avoir en réserve qu’une vieille tronçonneuse et une envie de massacres.

87. Notule 87

Se faire reluire le berlingot. Une expression de mon vieux qui la tenait de son vieux probablement. Expression ancienne donc qui se passe comme un relais dans la famille. Plutôt péjoratif si possible, comme pour dire, t’as rien d’autre à foutre que de te branler. La valeur travail est une valeur refuge, comme l’or évidemment. L’or dur c’est connu.

L’art dur aussi. Enfin c’est ce que tout le monde semble espérer quand les transactions roulent bon train.

Je soulève sans doute un lièvre mais quand l’art ne sert plus à se faire reluire le berlingot, les carottes sont cuites et ça sent le pâté.

Je veux dire qu’à un moment tout lasse tout passe ou tout casse. Quand le plaisir de se branler se dissipe avec les odeurs de térébenthine que reste t’il donc ?

Quel invention trouver encore pour s’emparer du manche ?

Donc les psy ont un peu raison en déclarant que tout est sexuel, toutes les motivations, les actions, tout ce merdier perpétuel que l’on nomme les activités humaines, la civilisation …

C’est juste une accumulation de tentatives plus ou moins réussies de balancer la purée à toutes les sauces.

De se faire reluire le berlingot ad vitam eternam.

Et du coup possible que tout retombe en quenouille à un moment donné quand il n’y a plus de jus.

C’est simple comme bonjour, pas la peine de s’embarrasser de gros traités de philosophie, de couper les cheveux en quatre, ni d’enculer les mouches.

Les fleurs d’ailleurs en connaissent un rayon sur les abeilles et sur le miel, plus que moi en tous les cas qui vole en toute maladresse comme un bourdon ronchon.

86. Notule 86

Comme il y avait ce risque évident de se retrouver gros jean comme devant, j’ai toujours éprouvé beaucoup de compassion pour les personnages les plus affreux rencontrés dans ma vie. Comme si c’était une manière de prévoir une certaine sollicitude envers un moi à venir.

A coté de ça j’étais ébloui par la netteté des décisions prises par les personnes que j’ai pu fréquenter quant à toute la cohorte de mes « pardonnés d’avance ».

Ce tranchant net des affirmations, comme des couperets, et qui surgissaient de façon intempestive de tous les cotés, m’obligeait à devenir une sorte d’Harrison Ford s’enfonçant avec sa foi dans des galeries souterraines sans fin.

Je n’arrivais jamais à condamner totalement personne pas plus que moi-même. Et je crois que la plupart de mes ennuis viennent justement de cette impuissance crasse.

Sans doute que ma vie eut été différente si j’avais su dire merde en temps et en heure. Mais il m’aura fallu tellement de temps, tellement d’années d’atermoiements…

Les rares fois où l’expression a surgit de mon bec ce fut homérique. Sans aucune nuance.

Merde disais je et dans la stupéfaction générale je me foutais à poil, en montrant mon cul.

Puis j’allais souffrir comme un chien sur le bas coté des chemins, ne voulant plus rien entendre ni plus rien voir de ce monde débile.

J’ai du le faire en tout et pour tout 4 ou 5 fois. Ce n’est pas beaucoup. Mais c’est sans doute ce qui m’a été alloué, suffisant pour être ce que je suis à présent.

Je veux dire ce type débordant de compassion certes pour tous les êtres vivants, mais qui ne cherche pas à les approcher. Qui veut plus que tout au monde m’en tenir à bonne distance.

A coté de ça je ne me fréquente pas beaucoup moi non plus, le moins possible et seulement lorsque j’y suis contraint, je fais partie du lot.

85. Notule 85

Photo de NEOSiAM 2021 sur Pexels.com

Il y a toujours un moment où la profondeur se transforme en surface, où tous les efforts ne sont que des coups d’épée dans l’eau. La profondeur pas plus que la surface n’y sont pour rien, c’est limpide. Non, ce qui ne va pas c’est juste l’œil, le filtre. Et la nostalgie d’en rire s’amène séance tenante bien évidemment, en même temps.

L’humour est une chose merveilleuse tant qu’on ne connait rien à sa source. L’humour noir surtout.

Et quelle rêve d’envol de légèreté pourrait à nouveau nous dépêtrer des certitudes ?

Je suis dans cet état là en ce moment. La certitude d’être un gros con. Ces mêmes gros cons que j’ai tellement détesté tout au long de ma vie.

Lourdeur, naïveté, imbécilité et orgueil mal placé m’accablent.

Et certainement que j’en jouis tout autant que lorsque j’étais autre.

Jouir pour un rien ma spécialité.

Et cet éblouissement de constater que tous les chemins mènent effectivement à Rome.

La grâce peut tout à fait surgir comme ça.

Comme une baffe prodigieuse, ou la caresse d’une aile d’oiseau.

Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.

Hier j’ai connu l’angélisme, aujourd’hui le démon m’habite. Ange et démon dansent la sarabande sur mes nerfs et j’arrive encore à contempler le spectacle.

Comme si j’avais réduit en poudre un objet très complexe et que je pouvais désormais voir la plage comme un goéland. Je peux passer ainsi du sable à l’océan, mon regard est fixe et ne cligne pas.

Mais je ne sais pas qui est ce je. Je ne sais rien de ce que je suis.

Et je m’en fiche pas mal aussi à présent.

S’enfoncer dans l’ombre jusqu’à se perdre en elle est pareil à s’enfoncer dans la lumière. L’égarement est le même.

Peut-être est-ce moins risqué d’aller plus loin dans l’ombre malgré tout. Elle nous achève sans bavure.

Alors que la lumière dessine aussitôt qu’on la pénètre un labyrinthe de péroraisons. Tout une série de conclusions trop hâtives qui ne servent qu’à amuser l’angoisse.

Et comment ne pas perdre le peu d’humanité auquel on s’accroche pour ne pas s’égarer dans tous les genres, les règnes ?

Devenir inhumain par cette même fatuité que possède le pécheur qui rapporte son poisson, avec ce sentiment enfantin d’avoir accompli de grandes choses.

Quelle frontière entre l’humain et l’inhumain ? On ne peut que mesurer l’ étendue du no man’s land qui se crée peu à peu au fur et à mesure des années. Mais ce n’est pas à confondre avec la frontière elle même.

Car on ne sait rien de l’au delà de la frontière c’est évident sinon le risque de se perdre dans l’absence de catégorie. Le risque, la peur de ce risque qui nous fait préférer la connerie quand l’intelligence ne tient plus.