Lutter pour dire, lutter pour se retenir de dire. Il y a toujours une lutte. Bien malin ou bien sot qui pourrait ne pas accorder d’importance à ce mot. Est-ce belliqueux pour autant, quand cette lutte n’est pas dirigée vers le monde. Mais vers le doute qu’on entretient vis à vis de soi, et du monde. La certitude même n’est pas une victoire.
La mort rode. A partir du moment où j’ai décidé de vouloir sortir du récit, je me suis retrouvé face à elle. Encore plus depuis lundi 27 février, mon premier jour sans tabac. Cela fait combien de jours, ce piège de compter. Donc non. On ira ainsi jusqu’au bout pour la voir de plus près encore.
Elle a une tète plutôt sympa, sans que l’on puisse dire si elle est jolie ou moche. Sympa, bienveillante.
Sortir du récit, sortir de la route, effectuer une embardée ( qui dans l’imagination vient d’un album d’Astérix, le barde bâillonné attaché aux plus hautes branches d’un arbre, pendant qu’ils font la fête.
Oui mais quand même c’est autre chose. On ne sait dire quoi. C’est pour cela que c’est plaisant.
on dit rien ne vient, on peut dire ça pour un paquet de choses. un paquet de choses pour ne pas avoir à toutes les nommer. nommer est difficile quand rien ne vient. un paquet de choses, quand elles ne sont pas à quai, quand le quai de déchargement est vide. On est incapable de désigner ces choses tant qu’on ne les aura pas déchargées. Sinon quand un camion arrive il ne faut pas oublier de se munir d’un diable. ça peut aider pour décharger plus efficacement. Encore que, il y a parfois de ce ces chargements avec de gros colis et même un diable sera inutile; meme un diable dans ces cas là ne servira à rien. un fenwick fera bien mieux l’affaire. il y a donc des périodes ou rien ne vient et parfois il peut y arriver une cargaison nécessitant du matériel. De plus n’importe qui ne peut conduire un Fenwick, il est nécessaire d’avoir un permis spécial, un permis de cariste. C’est la loi. Sinon la plupart du temps quand tout est normal un simple diable suffit pour tout décharger, ou à défaut on peut aussi y aller à mains nues, avec un peu d’huile de coude, rare que ça ne soit pas expédié comme tout le reste.
on dit rien ne vient quand on est renvoyé, quand pour une raison ou une autre on perd cet emploi qui consiste à décharger des choses pour aller les ranger en pile à un autre endroit on appelle des sociétés d’intérim et il n’y a rien qui vient, pas de boulot. . Dans un entrepôt. On entrepose les choses par pile, celles qui arrive par paquet sur le quai finissent en piles dans l’entrepôt. Ensuite il faut ouvrir les cartons, trouver le numéro qui correspond à un bon de commande, et enfin on peut nommer chaque chose. Il suffit de lire un code, une désignation correspondant au bon de commande. Qu’il faut aussi les compter pour vérifier que l’on a bien reçu le nombre exact de choses commandées. Ensuite toutes ces choses sont classées dans diverses boites, palettes, sur des rayonnages, des étagères, on peut les retrouver plus facilement si elles sont classées correctement. correctement c’est à dire que si l’on lit l’étiquette sur l’étagère et si l’on s’entraîne on finit par apprendre où toutes ces choses son classées. On sait que pour ce nom précis correspond toujours une même chose, et au bout d’un moment plus ou moins long on peut même faire ça en pilote automatique, sans réfléchir et même en pensant à toute autre chose. Quand on a pris l’habitude de toujours trouver la chose qui correspond à son étiquette, on peut y aller les yeux fermés. on peu penser à un tas d’autre choses ça ne modifie en rien le fait que cette chose et son étiquette soient liées, que si l’on trouve l’étiquette la chose correspondra à celle-ci.
dans ce cas là on peut aussi dire que rien n’arrive, rien n’arrive jamais, il ne peut pas y avoir d’erreur avec un tel système. Sauf quand ça arrive car aucun système est à 100% sans faille. une fois une erreur fut commise. quelqu’un pensait à autre chose et ne s’est pas aperçu. une boulette énorme. on peut perdre son emploi en causant de telles boulettes. Il en va de la réputation de l’entreprise. on ne peut pas rester sans rien faire quand une boulette est commise. on a besoin d’un responsable, d’une sanction, une sanction redore le prestige, restaure la confiance du client dans la marque. Sinon quand rien ne vient de ce genre le client est content il continue à commander. le client est satisfait, et on garde son emploi. si on reste dans cet emploi sans commettre de boulette, durant une durée indéterminée, il arrive que la boîte propose de passer un permis de cariste. c’est un genre de promotion, mais il est assez rare que ça arrive. les gens qui déchargent ici dans la boîte sont pour la plupart des intérimaires. qu’ils ne restent pas bien longtemps.
on dit rien ne vient aussi quand le matin on attend un intérimaire et qui pour une raison ou une autre ne vient pas. il est difficile de compter vraiment sur un intérimaire, d’être certain qu’il viendra qu’il sera là pour décharger. quand l’intérimaire ne vient pas on a double boulot, il faut en mettre un coup, on tire un peu le diable par la queue, mais on y arrive, on y arrive toujours, les camions ne peuvent pas rester trop longtemps à quai, les camions repartent, on les décharge d’un paquet de choses puis ils repartent pour aller se remplir d’autres choses, c’est sans fin. on dit parfois que rien n’arrive mais c’est une curieuse expression parce qu’il est impossible que rien n’arrive ou que rien ne vienne. on devrait plutôt dire quelque chose ne vient pas plutôt que rien. Enfin c’est mon humble avis bien sûr, loin de moi de vouloir changer la langue il y a des spécialistes pour ça, des personnes qui possèdent leur permis de spécialiste comme ici on a nos caristes.
Tu connais le mécanisme de mieux en mieux à présent. Et surtout que le désespoir qui t’assaille à date de plus en plus rapprochées ne provient pas d’un dysfonctionnement biologique ou psychique. Qu’au dessus de cette grisaille que l’on ne cesse de te marteler comme unique réalité , trône l’astre solaire et au-dessus encore l’infinie beauté des mystères des nuées. Là-haut perce le mystère désormais, ça et là, des vulves métalliques, de sidérantes mandorles, objet identifiés de toute éternité. arches vaisseaux, navires qui te ramènent à l’arôme, à l’ineffable goût des amandes. Que le miracle de la vie ne nécessite qu’une attention à l’infime, autant qu’à l’exceptionnel. Que les deux extrêmes se rejoignent dans un seul battement de cœur, un seul souffle. Tu vois tout autour de toi un monde se dissoudre par et dans la vanité qu’une poignée inflige à l’ensemble devenu son bétail. Un monde qui, dans sa frivolité, continue à vouloir ignorer sa fin proche. Des occupations vides, et la détresse que déclenche cette absence de sens. Les bêtes dans la plaine se sont mises à tourner en rond comme les oiseaux du ciel, signes avant-coureurs irréfutables du retour des grandes catastrophes. Une nouvelle fin des temps. Tes yeux creusent l’apparence pour s’ouvrir sur l’englouti. Tu t’introduis dans les corridors sombres, des labyrinthes sans fin laissés derrière eux par les anciens géants. Et la langue marquée sur leurs parois t’es devenue familière même s’il t’es impossible d’en prononcer le moindre mot. La pénombre ici est apaisante elle charrie des parfums d’humus et de silex. Parfois tu peux voir d’étranges éclairages creusés à même les voûtes et qui diffusent une lueur suffisante pour maintenir en toi cette sensation de calme et de paix te permettant de continuer à progresser. Il y a aussi ces étranges sculptures installés à des points clefs du labyrinthe, la plupart ressemblent à des gargouilles qui ornent les vieilles cathédrales de la surface. Elles ne sont plus effrayantes comme autrefois. Elles semblent attendre une délivrance tout comme toi qui t’incline face à elles en les croisant. Tu ne sais pas où te mènent tes pas à l’intérieur du labyrinthe qui reside ici de toute évidence depuis des temps immémoriaux. Tu comprends seulement que tu n’as pas le choix tu dois t’enfoncer de plus en plus profondément dans les lieux désertés, mêler ton souffle au souffle unir ton cœur au cœur de l’englouti. Tu as enfin reçu l’onction de la noirceur. Et te voici pauvre enfin, avec pour seul présent cette délivrance.
Tu crois ou tu espères que la fatigue sera le préambule à un repos bien mérité. Mais tu te trompes encore une fois de plus. Entre cette fatigue et le sommeil il y a encore des strates à traverser. Et dans lesquelles le corps et l’esprit se dissolvent dans des rêves insaisissables. Cependant tu peux mesurer un léger progrès en observant ton renoncement à vouloir les saisir. Quant à savoir vers quoi tu progresses ainsi, nulle nécessité d’y penser.
La vieillesse, la gravité, le sérieux, la tristesse, la mélancolie, la peur, ce sont des mots qui voudraient désigner des émotions. Mais ce sont surtout des fréquences. Il te suffit de trouver le bouton puis de changer de station. de fréquence. Zapper. Et te retrouver alors dans la joie, le bonheur, le plaisir, l’espoir, la jeunesse. Puis quelques instant après te rendre compte que cette nouvelle fréquence est comme le reflet inversé de la précédente. Tu parviens désormais si vite à t’en saouler.
Et c’est à cet instant que surgit le rire chamanique. La perception de toutes ces fréquences simultanément qui fait exploser ta poitrine. On dirait bien un rire. Pas trop le moment d’y penser. Car déjà le vent se lève et te voici emporté par le rire au delà de toutes les stations habituelles de ce calvaire. Vers un Ici ou un ailleurs. Quelque chose ou quelqu’un, peut-être un vieillard ou un enfant, et qui frappe coeur battant un tambour imaginaire.
Tu dis les choses car elles sont désormais innommables. Ce n’est pas par paresse c’est plus une forme d’abdication. Autrefois tu voulais que chaque chose soit à sa place pour ensuite pouvoir créer du désordre. Par jeu ou par ennui. Autrefois tu croyais et tu ne croyais pas au nom des choses. Toujours le doute qu’elles soient seulement le nom qu’on leur attribue. Tu avais aussi peur que tu désirais qu’elles fussent autres choses. Un pied dans le groupe un autre dans le mystère, position intenable. Inventer une langue pour désigner les choses ne vaudrait rien s’il n’y avait que toi qui parvienne à la déchiffrer. Mais dans ce cas pourquoi encore s’en soucier ? Et la solution serait-elle alors de t’écarter vraiment, de laisser la langue aller son propre chemin, ou alors de rejoindre la fosse commune. Dans les deux cas, l’anonymat serait un facteur commun.
Et peut-être qu’alors la chose sera vraiment ce qu’elle est. Ce qu’elle a toujours été, ce qu’elle continuera d’être
après toi.
l’invincible puissance du nom des choses contre quoi nul ne peut lutter impunément.
Mais le sachant cela peut-il y changer quelque chose ?
Si tu dis pot, table ou bouteille ne se passe t’il pas quelque chose de nouveau désormais ? Et observe comment cette étrangeté d’autrefois se sera transformée dans l’intime d’aujourd’hui.
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