Contempler le réel attentivement

C’est Houellebeck qui évoquait ce genre de contemplation. Être attentif à tout ce qui peut nous passer entre les deux oreilles face au réel. Y a-t-il autre chose à faire. Être réaliste ce serait ça. Ne pas chercher à interpréter le monde mieux ou moins bien qu’il ne l’est. Même si on n’est fondamentalement pas d’accord avec ce qu’il est. Ce qui bien sûr est une gageure. Le réalisme aujourd’hui. Sans doute n’avons nous jamais été éloignés du réel aujourd’hui que dans toute l’histoire de l’humanité. La seule chose qui peut se rapprocher le plus de cette notion de réalité est sans aucun doute l’attention aux pensées qui nous traversent face aux événements, aux êtres, aux choses. C’est une raison assez valable pour écrire. Ce qui a changé c’est qu’on imaginait le réel en tant qu’objet séparé de l’être. Nous savons désormais qu’il n’y a pas de séparation mais un bordel sans nom. J’aurais pu écrire Dieu à la place du mot bordel. C’est ce qu’on faisais jadis je crois quand on évoquait l’impénétrable confusion entre le réel d’un côté et soi de l’autre. On y voyait une logique divine dans cette impénétrabilité autant qu’une humilité nécessaire pour poser des limites à l’effort de vouloir à tout prix la comprendre. Tout cela semble s’être effondré désormais. Dieu n’existe plus ni plus que l’impénétrable et la modestie. Il n’y a plus comme seul recours que la tension de l’attention. Puis à trouver la structure adéquat pour ne pas devenir dingue, totalement désespéré par notre solipsisme.

Cela demande aussi une qualité révolue qui était la patience. Savoir rester ainsi dans l’attente autant que dans cette patience pour écrire, c’est ce que l’on nommait l’inspiration. On attendait le bon vouloir des muses et on savait qu’il ne sert à rien de s’agiter pour les faire venir plus vite. On a élaboré des théories fumeuses en se disant il faut chercher des idées, faire des plans, travailler l’organisation, la structure sans se rendre compte de la véritable raison d’être de tous ces artefacts. Qui était de prendre son mal en patience.

Tromper l’attente, l’ennui, passer le temps j’ai toujours éprouvé un malaise en pratiquant ces ersatz. Même si je me suis beaucoup agité c’était sans doute pour rester dans le groupe, par pur mimétisme, par sociabilité. En mon for intérieur je ne pense pas avoir jamais été dupe. Le malaise m’a toujours plus appris que les satisfactions éphémères parce que justement le malaise possède cette vertu d’être permanent. Être inspiré n’est pas une petite affaire à prendre à la légère. Contempler l’ennui, la solitude, l’absence, la mort et rester attentif à ce qui peut se passer entre les deux oreilles, c’est justement préparer le terrain à l’arrivée des muses.

Elles piétineront tout sur leur passages des échafaudages, des idées, des buts, et des fins, et il faut s’en réjouir même si cela arrive tardivement. Avoir ce courage là issu de la contemplation, de l’attention et de la patience.

8. Notule 8

Peinture blanche sur fond noir 40x50cm

Frotter du blanc sur du noir, créer des formes plus ou moins distinctes ainsi que des valeurs, un contraste, voir déjà une profondeur.

J’explore ainsi un commencement sans avoir d’idée.

Je ne pense pas au résultat.

Agir, laisser aller les choses comme elles veulent se retirer sans s’attacher à une pensée à un jugement. Arrêter sitôt la première idée séduisante qui s’impose.

Passer à un autre tableau en laissant celui-ci suffisamment silencieux quelque part dans l’atelier, l’oublier quelques jours.

C’est un travail à la fois très rapide et très lent.

Fais le tout de suite

En ce moment j’expérimente la gêne. Ça me gêne d’avoir autant d’idées qui me traversent et dont je ne fais pas grand chose. C’est certainement une sorte de confort. Mais je trouve has been ce confort. Et je sais que je dois passer par cette sensation d’inconfort pour passer à autre chose… Appelle ça l’ action si tu veux.

Du coup j’ai envie de lâcher toutes ces idées sous forme de capsules podcasts…

Aujourd’hui je vais te parler de l’attention et des spirales ! Bonne écoute et belle journée !

Ce cancer qui nous ronge

Parmi toutes les formes de cancer il y a celles qui sont pointées, identifiées, étiquetées par les experts médicaux et puis il y a toutes celles dont on ignore à peu près tout des causes, on ne peut que constater leur travail une fois le recul atteint, une fois le décès clairement établi, une fois que le deuil est achevé aussi.

En tant que jeune con plein de vigueur j’avais passé en revue un certain nombre d’hypothèses sur ma propre façon de disparaître, un jour où l’autre et j’avais épluché à peu près tous les manuels de médecine qui m’étaient passés sous la main. Au bout du compte après avoir feuilleté de milliers de pages et retenu assez peu de l’immense richesse que recelait la maladie en général d’arriver par tout un tas de causes plus ou moins bien définies, je décidai un beau matin de fuir la littérature médicale.

Mon obsession de la mort ne s’en trouvait pourtant pas ni atténuée ni résolue pour autant, mais j’avais compris que la médecine ne me mènerait qu’à une impasse. C’était déjà une fameuse victoire en quelque sorte, et je pris le parti d’oublier complètement les différents organes qui me constituaient, leur lieux et leurs fonction, et tous les symptômes possibles et inimaginables sur lesquels j’avais installé inconsciemment une veille.

La moindre migraine, le plus petit bouton, la rougeur suspecte, l’ictère et le mal de dos ne devinrent plus désormais que des gènes avec lesquelles il fallait compter comme on fait quand il pleut, quand il neige et que l’on doit de toutes façon partir d’un point A pour aller vers un fichu point B.

La gène, le symptôme, l’imagination de devoir mourir d’un moment à l’autre d’un rhume, d’une chute, d’un cancer, ou de toute autre cause, j’avais décidé de m’en foutre royalement parce que dans le fond mon étude des maladies n’avaient en rien calmé ma panique et donc tout cela ne servait à rien.

C’est alors que je m’intéressais un peu aux autres afin de tenter de comprendre comment ils abordaient le sujet de leur propre disparition. Je ne fus pas déçu. A vrai dire tous les moyens sont bons du plus noble au plus foireux et avec le temps je dois dire que j’ai pu collectionner un nombre de cas pouvant, si je me décidais à les relater, remplir autant de volumes que l’encyclopédie Britannica.

Mais comme toujours le risque de la profusion mène à l’éparpillement, il est de bon ton de classer un peu les exemples par catégorie et de constituer une sorte de glossaire, une sorte de dictionnaire personnel peut-être afin de bien définir mon sujet à chaque fois et en donner pour son argent à un hypothétique lecteur.

Parmi les causes de disparition relevées le plus souvent chez mes congénères, lorsque je dis « disparition » je parle de leur essence pas de leurs manifestations souvent agitées et incohérentes, il faut nommer en premier lieu le sentiment de solitude.

Que ne ferait-on pas pour échapper à ce sentiment terrible ? A peu près tout si j’ai bonne mémoire. Cela commence avec une sorte de malaise que l’on attrape dans l’espace familial et se termine si tout va bien dans un quelconque Ehpad.

A partir de là l’imagination est débordante d’idées pour tenter d’oublier la froideur apparente de cette évidence : nous naissons seuls et nous crevons seuls.

La meilleure solution à laquelle bien des gens évitent de penser est pourtant d’une évidence limpide elle aussi. Il faut plutôt être seul que mal accompagné dit le dicton populaire et ce n’est rien de le dire, encore faut il l’accepter totalement, et le mettre en pratique.

Cette singularité que propose la solitude à mi voix pourquoi ne pas l’examiner en profondeur ? pénétrer vaillamment dans une pièce, s’asseoir sur une chaise et se laisser envahir totalement par cette gigantesque marée qui nous submerge ?

Tout à une fin et c’est heureux. Les vagues sont déchaînées, des paquets d’embruns fouettent le visage, on n’en mène pas large. Il arrive même qu’on se lève de la chaise pour sauter, danser, crier, hurler, pleurer, qu’importe tout cela à condition qu’on repose son fondement sur le siège, qu’on n’ouvre pas la porte pour fuir.

Une fois que l’on a décidé de ne pas s’enfuir, de ne pas s’échapper encore une fois ni à l’extérieur de la pièce, ni dans un livre, ni dans la rêverie, ni dans le frigo, si l’on reste calme pendant quelques minutes à fixer dans les yeux ce sentiment de solitude, il s’apaise enfin. La lumière pénètre dans la pièce et parait valider notre bonne décision.

Ça y est enfin, on a réussit on est seul comme jamais on ne l’a été auparavant et du coup on découvre que ce n’est pas si terrifiant que cela.

Il peut y avoir quelques rechutes mais l’essentiel est accompli. Ensuite c’est comme toute bonne habitude à adopter il faudra s’y tenir avec une régularité de métronome.

Si on est obligé de sortir pour se rendre au travail, prendre les transports en commun, se retrouver ensuite à partager son temps avec d’autres, se réserver au moins une heure par jour pour retrouver cette solitude. C’est comme prendre une douche fraîche qui nous débarrasse de l’impression de fatigue.

Je ne saurais dire tous les bienfaits qu’apporte l’acceptation de la solitude ce serait trop long et donc forcément ennuyeux pour le lecteur. Mais si je puis me permettre cette petite métaphore c’est le premier fil sur lequel on tire pour dénouer un nœud compliqué. Ensuite il faut du temps pour démêler cette complexité et parvenir enfin à retrouver le fil de sa vie. Au bout du compte plus on s’enfonce dans la solitude de façon convaincante, et non par hargne, par colère, par chagrin, plus on s’aperçoit qu’elle nous apporte un soulagement bienfaisant.

Finit l’envie d’être avec n’importe qui plutôt que seul. Finit aussi le paraître devant autrui, finit le mensonge, l’omission. Ensuite avec un peu d’entrainement encore on acquiert une sorte de diplomatie comme aussi la naïveté de s’étonner tout haut des difficultés des autres. Surtout lorsque nous comprenons qu’elles ne proviennent que de cette solitude ce cancer qui semble ronger la population sans relâche et dont le seul remède trouvé semble être la distraction.

Au contraire de la distraction, rechercher l’attention à chaque instant permet de faire de la solitude un joli couloir de soi vers l’autre. Ensuite évidemment c’est tout un art de ne pas pénétrer chez autrui avec de gros sabots, mais ça c’est une autre histoire.

Attention, conscience, ego

Ce qui est difficile dans l’attention c’est de la conserver sans vouloir forcément en obtenir un quelconque avantage, un intérêt, sans le désir d’avoir, sans la peur de perdre.

Souvent j’entends que l’on parle de la conscience comme une panacée, notamment avec ce que l’on appelle la méditation « pleine conscience ». Sans initiation au désir et à la peur j’ai bien peur que cela ne serve qu’à renforcer l’égo et rien de plus.

L’égo n’est certes pas à négliger, ou à mettre au rebut, il a son utilité. Mais mélanger l’attention, la conscience et la pensée donc l’ego amène à une confusion importante.

Prendre conscience de ce qui se passe au moment même où cela se passe, sans jugement, sans désir, sans peur c’est ce que j’appelle l’attention véritable. Cette attention doit servir l’intention préalable qui serait d’aller juste d’un point à un autre dans le même esprit et de pouvoir en revenir sans se prendre pour un être surnaturel, un guru, ou une demie divinité.

Il n’y a que la pratique régulière qui peut entraîner à la fois l’attention et l’intention et cela peut s’effectuer dans toutes les activités humaines, que ce soit travailler à la chaîne, créer des œuvres d’art, cambrioler une maison ou faire l’amour.

Attention intention

« petit poème du fond des ages » Patrick Blanchon

La chambre d’hôtel meublée de façon spartiate, un lit, une table, une chaise, une armoire. Une fenêtre donne sur la rue. Le bruit envahit la pièce de façon continue. Difficulté à trouver ses repères. L’ailleurs dans l’ailleurs.

Déflagration lente qui réduit l’identité en poudre. Colère, déprime, acceptation, résignation,et finalement le redéploiement des ruses.

Accueillir le bruit comme une symphonie inconnue, acceuillir l’inconnu comme un familier inexploré.

L’intention c’est vivre et non survivre.

Porter l’attention sur chaque partie pour reconstituer un tout.

Cette table ne veut rien dire

Ce lit ne veut rien dire

Cette fenetre ne veut rien dire

Ce bruit ne veut rien dire

Toutes ces pensées, chacune d’entre elles ne veulent rien dire.

Répétition de l’attention pour maintenir l’intention

Tout cela ne veut rien dire

Et enfin un matin tout se met en place, tout s’emboîte et l’on referme la porte derrière soi pour continuer simplement son chemin.

Dérouter

Oh mais

Dire à quelqu’un que ce qu’il peint est super alors que lui même n’en est pas convaincu c’est entrer en conflit avec l’intégrité de cette personne.

En revanche dire à quelqu’un que ce qu’il peint t’inspire l’envie de manger du chocolat et ce faisant tu prends un petit carré et tu l’avales avec une petite lueur taquine dans l’œil , c’est bien plus élégant.

C’est la méthode qu’utilisait Milton Erickson dans ses entretiens avec ses patients. Il utilisait des phrases ou des actes  de depotentialisation afin d’interférer avec le schéma  mental de son interlocuteur. Georges Marchais était un as dans son genre aussi pour dérouter Elkabbach lors de ses interviews explosives.

Dans ce processus on joue avec le conscient et l’inconscient en même temps.

L’astuce du carré du chocolat est un exemple parmi d’autres.. l’idée étant dans mon propos de dérouter l’attention vers un objet insolite sans abîmer l’intégrité de l’autre.

Lorsque j’enseigne le dessin et la peinture je mange rarement du chocolat. Par contre je parle de tout et de rien, souvent de sujets en décalé qui accrochent  le conscient de mes élèves plus ou moins. Ou alors je propose soudain de boire un café, un thé.. ou encore je prends des attitudes bizarres en m’asseyant, en me levant, je joue avec leur attention de cette façon afin que l’acte de peindre s’éloigne du contrôle de la pensée. Parfois je met de la musique et je joue sur le volume …

Dérouter l’attention pour qu’elle laisse l’inconscient s’exprimer dans la peinture.

Proposer des exercices répétitifs puis soudain introduire une contrainte supplémentaire.

Proposer la contrainte de n’utiliser que deux couleurs et soudain dire que les deux couleurs peuvent se mélanger… laisser la phrase en suspens… aller chercher le café..

Ah au fait tu peux aussi mettre du blanc j’ai oublié de le dire ..

J’ai perdu pas mal d’élèves avec cette façon de faire c’est vrai. Peut-être que je ne trouvais pas les bonnes clefs, les bonnes phrases, les bons gestes…je n’allais pas me contenter de leur apprendre la peinture, c’est si peu de chose.

Je cherchais une pédagogie qui puisse allier à la fois la connaissance technique et autre chose, cet autre chose par laquelle le vrai travail de peinture commence.

Les gens qui sont partis étaient des touristes je crois. Ceux qui sont restés se font une joie de m’apporter leurs travaux chaque semaine. Ils travaillent chez eux parce qu’ils ont trouvé l’envie de peindre.

Et bien sur nous prenons un café, le thé pendant que je commente les travaux.