Peindre dans la zone de la vérité.

PSD 111 Bram Van Velde

Le geste de peindre s’il ne provient pas de cette zone d’où l’on sent qu’on approche une vérité, ce geste s’annule de lui-même dans un bavardage, une succession de pensées, c’est un geste qui n’a plus de force, plus de vie. Il peut donner le change aux badauds, on peut même gagner sa vie avec de tels gestes, mais ce n’est pas le geste de peindre. C’est autre chose qui participe plus du spectacle commun.

Sans doute est-ce mieux de renoncer à ce type de geste spectaculaire quoiqu’il en coûte. Sans doute le geste juste nous en sera t’il « reconnaissant », on peut s’imaginer, mais peut-être, c’est presque certain, n’est-ce pas le bon mot, un geste comme celui là ne se soucie pas des mots.

Se tenir face à la surface de la toile et se taire complètement. Si le geste en sort tant mieux, s’il n’en sort rien, pas grave. Revenir à nouveau et refaire. C’est peut-être grâce à cette ténacité de revenir en silence devant elle que la toile soudain s’ouvre. Et en s’ouvrant quelque chose de nous s’ouvre également. Un geste en peinture c’est comme une floraison soudaine. et il n’y a pas une cause, un responsable, c’est un concours de circonstances que le peintre cherche à reproduire comme il le peut, souvent mal d’ailleurs, mal pour ce que lui le peintre en pense, mais dans cette zone de vérité il n’y a ni mal ni bien, il y a juste le moment où la fleur s’ouvre ou pas.

Il en va aussi d’un tas de gestes. Ou qui ressemble à ce type de geste. La lecture par exemple, nécessite le même type de lieu et d’espace, le même silence, si trop de choses s’agitent la lecture en est brouillée, ce qu’on en retire faussé. Autant refermer le livre. Aller marcher.

« Ce que je fais m’apprend ce que je cherche »

C’est en visionnant une vidéo Youtube dans laquelle le poète lyonnais Charles Juliet relate ses rencontres avec Bram Van Velde, Samuel Beckett et Pierre Soulages que j’ai noté cette phrase.

C’est Pierre Soulages qui la dit et Charles Juliet qui la restitue en regrettant la réserve du peintre à aborder la peinture sous l’angle de son intériorité. « Soulages ne voulait pas parler d’intériorité, il ne voulait parler que du faire « 

Je ne sais pas si on peut parler de synchronicité dans le cas présent, car c’est un peu ce autour de quoi ma pensée tourne, à vide, concernant la peinture ces derniers temps.

Je ne suis pas dans le faire puisque je ne peins pas depuis des jours. Je lutte beaucoup pour ne pas me sentir coupable de ne pas peindre. Pour contrer ce sentiment j’écris comme si j’avais besoin d’une temporalité différente depuis laquelle examiner justement ce fameux « faire » .

Je n’ai jamais cesser d’être aimanté et repoussé en même temps par ce mot. Il y a cette tension insupportable produite par l’obligation, le devoir, et la volonté de ne pas vouloir faire n’importe quoi et qui justement me faisait généralement céder à ce n’importe quoi.

Et cela s’est accéléré ces derniers mois.

Sans doute parce que j’ai besoin de me convaincre encore de placer tout un échafaudage de raisons, de pensées, nécessaires pour moi avant de me lancer « à corps perdu dans ce faire »

Aussi à cet instant où Charles Juliet prononce cette phrase m’atteint t’elle immédiatement.

Ce que je fais m’apprend ce que je cherche sonne vraiment juste et au bon moment. Et je sais aussi à ce même instant que j’en ai pourtant eu de nombreuses fois l’intuition.

Mais la peur, la culpabilité, l’angoisse me faisait placer en amont un savoir sur la peinture qui serait susceptible de déclencher ce fameux « faire ».

L’écriture me sert à épuiser cette pensée, cette angoisse manifestée par l’écriture est semblable à un aiguillage. Je détourne des wagons d’angoisse par tous ces textes où je remonte à l’origine des mots, des pensées comme pour me persuader de leur futilité.

Cependant que cette futilité de la pensée ne la fait pas pour autant disparaitre pour laisser la place libre au « faire ».

Elle se disperse en constellations cette pensée qui tournent autour de ce faire comme une sorte de trou noir susceptible de les engloutir. Je ne sais pas si c’est vraiment là que se porte l’espoir de l’écriture.

Cependant j’ai effectué des actes dernièrement sans y penser. Des actes qui sont l’aboutissement d’un long cheminement entre hésitation, doutes, et intuition.

Par exemple j’ai supprimé pour l’instant temporairement mes deux comptes sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram.

Je ne me reconnais pas du tout dans ce profil que j’ai affiché sur chacun. Ce sont des avatars qui ne servent qu’à me disperser par rapport à ce « faire » encore une fois.

Réduire de plus en plus la possibilité de la fuite. Etre face à ce faire aussi nu qu’un ver est ce que je n’ose pas m’avouer chercher.

Et du coup est ce que c’est vraiment « le faire » que je cherche ou cette nudité ? toute la question pourrait s’orienter soudain dans un nouvel entre deux, séduisant évidemment.

Une autre observation de Charles Juliet, c’est la difficulté à bavarder dont il se plaint chez Bram Van Velde, Beckett et Pierre Soulages d’une certaine façon quand il dit qu’il ne veut pas parler d’intériorité concernant la peinture.

Cela aussi m’attire toujours et m’écartèle de la même façon entre ces deux pôles que représentent Parler et se taire. Parler et ne rien faire pour exprimer cette indigence profonde, cette nudité par rapport à l’art finalement. Ou bien la boucler et faire.

Pour pénétrer dans l’acte de peindre, là où il n’est même plus question de nudité, mais d’absorption totale.

Pourtant lorsque j’écris je « fais » bien quelque chose … Reste à savoir que ce que je cherche dans ce cas.

La peinture de Bram Van Velde

Crédit photo inconnu, Bram Van Velde

Il y a de cela quelques années une exposition magistrale se tenait à Lyon, une rétrospective si l’on veut de deux frères peintres Bram et Geer Van Velde.

Sur des voies parallèles ne se touchant qu’à la limite que propose la fratrie, à l’horizon de ma volonté de trouver des « points communs » j’ai suivi le parcours que proposait le musée des beaux arts et sa commissaire d’exposition Sylvie Ramond ainsi que l’historien d’art Rainer Michael Mason

J’ai retrouvé au travers du cheminement proposé par l’articulation des œuvres une sensation qui m’est chère, peut-être le moteur invisible de la naissance de ces deux œuvres conjuguées enfin visibles cote à cote : le déracinement.

Hollandais d’origine les deux frères ont toujours nourris l’un envers l’autre une relation étroite fondée aussi par l’exil, la distance prise avec le pays natal. De là tu peux saisir quelque chose d’important par l’inconnu dans lequel ils s’engouffrent laissant derrière eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs repères, de leur identité ai je envie d’ajouter.

Employés tous deux dans une entreprise de peinture et décoration de la Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour aborder l’apprentissage des techniques de peinture nous sommes entre les années 1915-1920

C’est grâce à un voyage en Allemagne proposé par son patron que Bram va continuer à développer sa culture artistique, dans un village où il côtoie de nombreux artistes. Ses inspirations alors, il les tire de Van Gogh et de Munch qu’on peut considérer être à l’origine de l’expressionnisme et aussi Emile Nolde qui lui apprendra à placer la subjectivité au cœur de toute représentation.

Puis Bram se rendra à Paris et tâtonnera en s’essayant à de multiples genres jusqu’à recevoir la « leçon de Matisse » et la « révélation » de ses couleurs comme un indien qui apprend son nom en passant à l’age adulte. Mais c’est en Corse qu’il élaborera son langage véritablement.

Geer rejoint son frère à Paris et tente aussi de trouver son propre langage pictural en s’essayant à de multiples genres notamment l’art naïf , ils commencent à exposer ensemble les deux frères inséparables.

C’est à Majorque dans les années 30 où il restera jusqu’à la guerre d’Espagne que Bram va s’écarter définitivement de la figuration tout en continuant à peindre ce qu’il voit comme il le voit. C’est là qu’il va trouver les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui vont désormais permettre d’identifier sa peinture pour toujours. Son Style c’est d’exprimer une peinture pure , un fait plastique authentique sur une vision intériorisée du monde.

Il me semblait important de te raconter ce parcours car il indique plusieurs choses qui me sont chères désormais.

D’une part il faut la faim, la faim de peindre, la faim de s’exprimer et Bram malheureusement n’a pas connu que celles ci mais la vraie faim aussi, celle qui tord les boyaux. D’autre part il faut travailler, sans relache, s’essayer à de nombreuses tentatives, et échouer, échouer encore , s’égarer pour se trouver. Nul ne sait comment arrive la révélation véritablement d’une palette de couleurs d’un langage formel mais ce qui est sur désormais pour moi c’est qu’il n’arrive pas par hasard, par chance, non, il faut énormément travailler pour cela.

Nul ne saurait dire pourquoi certains y parviennent passeront à la postérité. Ainsi pourquoi Bram devient il plus « célèbre » que Geer jugé sans doute trop conventionnel par les gardiens du temple de l’art. Encore que tout puisse changer d’une époque l’autre. Ceux qui étaient célèbres jadis achèvent leur trajectoire dans l’oubli et vice versa suivant les humeurs des politiques, des marchands, et surtout l’air du temps.

Loin de moi de vouloir jouer les critiques d’art par ces petits textes sur les peintres qui ont eu de l’importance dans mon parcours, non d’abord ça me permet de clarifier par l’écrit mes pensées, de les hiérarchiser, d’en comprendre l’importance aussi et peut-être par ricochet te les faire saisir aussi ce qui déjà serait un petit miracle en soi.

Je reviendrai sur la peinture de Bram Van Velde car il est tard, je dois aller peindre moi aussi. Et tu vois le fait que je veuille esquiver le sujet tout à coup m’apprend encore combien ce peintre aura été d’une importance capitale dans mon parcours.