17. Dans le cloaque du dragon.

Les derniers lémuriens de Madagascar.

Une puanteur suffocante me réveille .C’est l’obscurité totale. Peu à peu mon regard s’accommode à celle-ci et je devine des formes baignées dans une mince lueur verdâtre.

Je tente de reprendre mes esprits mais la peur est toujours là, plus présente que jamais et je comprends qu’elle est étroitement reliée au filet qui m’entoure et me paralyse encore.

Le filet semble tirer sa consistance de la peur toute entière qui elle-même semble alimentée par une sorte de bruit sourd que je finis par identifier en tendant l’oreille. Un sorte de chuintement de machines.

Tout à coup quelqu’un ou quelque chose allume une lumière qui m’aveugle. C’est une lumière froide extrêmement éblouissante comme on en utilise dans les hôpitaux. Je plisse les yeux et aperçois tout autour de moi des milliers de corps plus ou moins translucides d’êtres qui n’ont plus grand chose d’humain.

Tous sont reliés par des canules, des tuyaux dont les ramifications permettent à d’énormes tuyaux au plafond, de charrier un liquide bleu.

Je sais comme si je le savais depuis toujours immédiatement, qu’il s’agit d’une sorte de composé obtenu par toutes nos peurs.

Depuis combien de temps suis-je ici ? J’ai l’impression qu’il s’agit déjà d’une éternité. Puis je tourne la tête car je perçois un frémissement à coté de moi sur ma gauche.

Je découvre une femme presque totalement asséchée, sa peau, ou ce que j’imagine être sa peau n’est plus qu’une sorte de parchemin quasi transparent au travers duquel je peux apercevoir tous ses chakras . Mais ils sont presque tous éteints. Je comprends que pour elle c’est la fin.

Elle ouvre soudain un œil pour planter son regard dans le mien. Je peux lire son histoire qui s’étend sur des milliers et des milliers d’existences terrestre. Nous paraissons communiquer soudain par télépathie.

Ma compassion semble l’avoir mise en confiance.

— Je ne vais plus pouvoir tenir bien longtemps me souffle t’elle par la pensée.

Il faut que je remette mes mémoires. Vous allez vivre encore longtemps je le sens, vous n’êtes pas ici au même titre que nous tous. S’il vous plait accepter mon leg, je vous en prie.

Au moment où elle me fait parvenir ces informations j’ai le sentiment moi aussi d’avoir vécu déjà bien trop d’existences. Je me souviens soudain avoir même pensé plusieurs fois déjà que celle-ci serait probablement la dernière et que j’en aurais enfin fini avec la grande roue des transformations.

Le temps presse me confie encore la femme, ne vous appesantissez pas sur le passé, qui d’ailleurs n’existe pas. Et elle me balance un flux énorme d’informations.

Des images incroyablement belles succèdent à d’autres monstrueuses. Je vois des paysages fantastiques qui me sont toutefois de plus en plus familiers appartenant à la Lémurie, au grand continent oublié de Mû, à l’Atlantide puis à des civilisations auxquelles mon incarnation d’aujourd’hui est plus habituée comme la Grèce antique, les royaumes Viking, des cérémonies amérindiennes du sud comme du Nord. Je retraverse avec elle, à marée basse le grand détroit qui mène à la banquise, à des pays situés au delà de celle-ci dont les plaines sont verdoyantes et d’une merveilleuse fertilité.

Et j’y retrouve aussi l’alternance perpétuelle de la beauté et de la plus sinistre des laideurs. Des massacres à la pelle, des trahisons, des mensonges innombrables et du sang et des montagnes d’ossements. Ces informations, cette mémoire me parviennent comme un flux sous pression dans ce que j’imagine être un désordre chronologique.

Puis je me souviens que toutes ces mémoires comme les miennes ne sont qu’empruntées par cette femme au même titre que le sont les miennes.

Ce sont des mémoires qui sont là depuis toujours et qui le resteront à jamais dans l’instant présent. Des mémoires dont tout à chacun peut, s’il le désire, s’emparer pour un temps afin de résoudre des nœuds énergétiques.

ces sortes d’équations dans l’énergie sont semblables à des problèmes mathématiques scolaires que l’on nous demande de résoudre à l’école.

Cependant ceux-ci semblent personnalisés par les problématiques de chacun. Comme si l’Energie savait exactement de quel type de mémoire, parmi des milliards et des milliards nous avons besoin.

Ce ne sont donc pas à vrai dire des mémoires que cette femme pense me léguer mais plutôt les résultats de ces dénouements énergétiques.

Au moment ou cette idée me traverse, se fraie un chemin parallèle au flux qui m’envahit, j’aperçois soudain à travers son apparence que chacun de ses chakras se réactive et illumine désormais son enveloppe de l’intérieur.

Puis elle est soulevée du sol, lévite quelques instants au dessus de moi, et au moment où je perçois la fin de la séquence de transmission, elle disparait soudain avec un triste sourire.

J’ai à peine le temps de souffler que j’entends des voix qui s’approchent. Je dis des voix mais ce ne sont pas des sons humains.

Ma première impression est qu’elles sont insupportables à entendre. La langue utilisée est un ensemble de sons gutturaux mêles à des chuintements plus ou moins aigus, le tout ponctué par de désagréables cliquetis. Cette langue m’est tout d’abord extrêmement désagréable à écouter.

Puis très vite je m’y adapte et finis par obtenir une traduction simultanée des paroles qu’elle charrie.

— Il est où le type du train, il faut qu’on le retrouve pour l’amener à la Reine, il faut se dépêcher car c’est bientôt l’heure de la fin de mon service et je dois encore aller faire des courses, et acheter un truc pour la gamine c’est son anniversaire aujourd’hui.

— Oui tu as raison, moi aussi il faut que je me dépêche, j’ai rendez-vous avec une petite draconienne super bien roulée qui me fait saliver depuis déjà pas mal de jours. Elle veut me montrer son nouvel appartement et soi-disant des estampes illustrées d’un vieux roman. Je crois qu’elle m’a dit le titre, un truc comme Voyage au centre de la Terre. Bref une originale mais bon tu comprends bien que je ne vais pas la voir pour discuter et admirer des peintures.

— tiens regarde c’est lui là, ouf on n’a pas eu à chercher bien loin ce coup là.

Ils font des gestes étranges au dessus de moi qui fait semblant d’être inconscient. Un genre de passes magnétiques comme pour me débarrasser du filet de trouille qui m’accable.

Puis je suis soulevé au dessus du sol par une force étrange et je glisse derrière eux comme si j’étais installé sur une sorte de chariot d’hôpital sur coussins d’air.

Nous nous enfonçons dans d’immenses galeries qui à priori sont souterraines. Le tout encore baigné d’une lumière verdâtre, plus douce et surtout non interrompue par les flashs éblouissants de tout à l’heure.

Les deux Draco mesurent bien 3 mètres de haut, de temps en temps j’aperçois leurs ombres plus gigantesques encore qui se projettent à la surface des parois. Le fait de comprendre leur conversation me rassure. On a beau être reptilien on peut aussi avoir une vie comme tout le monde je me dis. Il suffit parfois de peu pour retrouver un peu d’humour, un peu de courage.