11.Avancer à l’aveugle.

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—L’évidence est souvent ce que nous ne voyons pas. je sais déjà que tu vas me dire que c’est une réflexion banale, mais réfléchis un peu sur ce que tu appelles banal. Comment tu te dépêches surtout à vouloir toujours tout rendre banal.

Car la banalité est un manque d’attention, un manque d’approfondissement de la notion de banal telle que toi tu as décidé de considérer de ce qu’elle devait être.

C’est la volonté de toujours s’élancer vers du nouveau, vers de l’original qui finit par rendre banal les êtres et les choses.

Plus précisément c’est un déséquilibre dans le temps et l’espace, crée d’ailleurs à cet escient.

C’est par ta non-résistance, ta non-opposition à l’incarcération dans l’espace-temps que tu deviens la proie de l’ennui, de ce sentiment de répétition, de la dépression et que tu finis par te résoudre à trouver cette prison banale.

La plupart des gens nomment cette prison leur vie, ou le quotidien. Cela fait partie du programme implanté.

Au début de ton existence tu as la sensation de vivre un miracle, et puis celui-ci s’évanouit et tu passes ta vie ensuite à vouloir retrouver par tous les moyens le souvenir de ce miracle, tu imagines pouvoir le récupérer intact, et l’entretenir comme une braise, Cependant tu ne te rends pas compte à quel point tu le dénature à quel point tu le recouvres de nostalgie, et de regrets.

Tu sens bien que tu te laisses aspirer par quelque chose de glacé et d’indifférent. Et surtout tu acceptes de penser que tu ne peux plus rien y faire.

C’est comme un mauvais rêve dans lequel on s’enfonce progressivement.

Les lieux et les temps alors se superposent, se mélangent, cela finit par faire de la boue.

Et de cette boue surgit un golem, une chose dépourvue d’âme, un objet de vengeance que d’autres que toi et même toi, utiliseront à leurs propres fins.

— Mais qui sont ces autres dont tu parles ? demandai-je à Maria non sans un certain malaise, car j’avais formé la certitude qu’elle était complètement folle frappée désormais par une paranoïa aigue.

— Tu crois que je délire me dit-elle alors comme si elle pouvait lire dans mes pensées.

Puis elle se mis à sourire et je vis la femme que j’avais toujours eu envie de voir et je me mis à sourire moi aussi.

Ce jour là nous marchâmes longtemps au bord du fleuve. C’était le début de l’automne 1978, l’année de mes 18 ans. Je ne sais plus si j’étais animé par le désir ou par des sentiments plus profonds mais, me connaissant, j’opterais pour cette obsession de vouloir toujours combler le vide et le manque.

Et bien sur, lorsque je veux m’en souvenir , j’éprouve toute une galaxie de sentiments confus encore aujourd’hui.

Une galaxie qui tourne autour de la honte, de la culpabilité, du manque de confiance en moi, cet amalgame qui constitue le soleil noir de ma jeunesse.

— Il te suffira d’écouter ton cœur, m’avait soufflé Maria lorsque je m’étais ouvert à elle, ce jour là, lorsque j’avais osé lui parler avec confiance de mes plus grandes craintes. J’avais alors eu cette impression de me livrer à elle pieds et poings liés je m’en souviens très bien. Mais l’intention n’était vraiment pas si noble que je voulais qu’elle soit.

En fait ce n’était rien d’autre qu’un test. Car pouvais-je réellement faire confiance vraiment à qui que ce soit?

« Il te suffira d’écouter ton cœur »

Comme cette phrase alors m’avait parue banale, insignifiante, comme une rengaine automatique déjà entendue mille fois.

J’avais hoché la tête en me disant: Ainsi donc elle aussi me parle de ce cœur qu’il s’agit d’écouter pour que le miracle advienne ? ce miracle que je ne vois jamais.

j’avais été déçu car cela ne me disait rien, ne me livrait aucune clef.

Je crois même qu’une fois cette phrase prononcée par la seule femme avec laquelle j’étais heureux de me sentir bien, je retrouvais aussitôt toute l’étendue de ma solitude, ce cachot dans lequel on contraint les récalcitrants à s’enfermer eux-mêmes au sein même de l’établissement pénitencier que représente le monde d’ici-bas. Poupée russes.

Cette sensation soudaine provenait du doute. A 18 ans je doutais déjà de tout comme je doutais de moi-même. Le monde tout entier était le miroir de ce doute que je ne cessais de trimbaler comme un caniche au travers mes perpétuelles errances.

L’errance n’a t’elle jamais servi à autre chose vraiment qu’à me fatiguer, à éreinter mon corps et mes pensées et ce fameux cœur dans les rues de la ville ?

Maria disparut à l’instant même où le doute m’entrainait à formuler les pires hypothèses parmi lesquelles la folie, ma propre folie n’était pas à exclure.

La nuit tomba brutalement à cet instant précisément où je me retrouvais seul sur les berges du fleuve. Je me pinçais pour éprouver la douleur réelle d’être vraiment là, mais j’étais déjà trop habitué à celle-ci. Le doute persista, et je ne savais plus si j’avais tout inventé ou si un détail si infime fut-il put être relevé pour me conduire à me rassurer quant à la réalité du monde et de moi-même.

Au début je ne fais pas attention à la nuit qui tombe ainsi comme un couperet. C’est tellement banal qu’elle tombe ainsi, sans même qu’on y prenne garde tant nous sommes tout entier dans nos pensées.

Pourtant quelque chose me semble étrange tout à coup.

Je me retrouve dans une obscurité absolument totale. La ville lumière elle-même s’est évanouie.

Je me demande s’il ne s’agit pas d’une panne d’électricité générale. Mais en tendant l’oreille j’entends les pas des passants,, leurs rires, leurs paroles, leurs disputes lorsqu’ils passent près de moi.

Comment peuvent-ils donc être joyeux et querelleurs dans cette obscurité totale ?

C’est à ce moment que je comprends aussi que je devenu aveugle soudainement. Je tâtonne pour m’asseoir pris d’un vertige et reste ainsi un long moment à écouter le bruit du monde, à renifler son odeur. Une odeur de pourriture monte du fleuve devant moi.

Puis tout à coup en levant la tête je vois des lueurs au début imprécises, des milliards d’étoiles scintillent, je ne peux voir que cela. Et c’est étrange car normalement les lumières de la ville nous l’interdisent.

Je ferme les yeux puis les ouvre à nouveau, les étoiles sont toujours là, je jurerais qu’elles sont « vivantes » et qu’une relation tente de s’effectuer entre elles et moi.

Je me laisse aller, je ne résiste pas. Je me sens tellement démuni par mes doutes et l’idée affreuse d’être devenu totalement cinglé.

Et là je décolle. Quelque chose m’emporte et je recouvre la vue comme auparavant. Paris sous moi devient comme un bijou scintillant dans son écrin, puis ce n’est plus qu’une pâle lueur sur la Terre.

Je continue à m’élever encore plus haut, l’altitude doit être inouïe car je vois désormais notre planète réduite à la taille d’un calot puis d’une bille.

Je me demande si je suis en train de mourir. Et au moment où je me pose cette question j’entends une musique merveilleuse qui se rapproche de moi, qui m’enveloppe et je crois reconnaitre alors la voix de la soliste qui surnage dans celle-ci.

C’est la voix de Maria.

Je la cherche, mais ne la trouve nulle part, je ne vois toujours que des milliards et des milliards d’étoiles tout autour de moi et au delà. Et elles semblent de plus en plus « vivantes » et chose extraordinaire c’est que plus je me rends compte de leur vitalité plus je découvre la mienne comme si un voile se déchirait et que toutes les mémoires que j’avais oubliées me revenaient toutes en même temps.

A cet instant changement de son, comme un tambour qui se met soudain en branle.

Et très vite, dans un même temps comme s’il s’agissait d’une seul instant présent de toute éternité, j’éprouve alors une joie sauvage, une vigueur formidable car je reconnais le son, la voix de mon propre cœur.

l’axe de la confusion

l’axe de la confusion transformation numérique d’une peinture à l’huile Patrick Blanchon 2019

Il est un territoire dans lequel je reviens régulièrement parce qu’il me lave en quelque sorte de toutes les tentatives d’ordonnancement, c’est celui de la confusion.

Les tentatives de mise en ordre de ma vie sont légion. Cela peut aller de vouloir arrêter de fumer, d’arrêter de prendre du sucre dans mon café, d’arrêter de regarder la télévision, d’arrêter de me connecter aux réseaux sociaux. En général cela se manifeste par un trop plein, un dégoût de ma propre image en train de réaliser toutes ces choses, et je tente de vouloir changer hélas en vain.

Surgit ainsi une velléité et non vraiment une volonté d’arrêter un processus, une habitude afin de la remplacer par une autre et dont la récompense serait en quelque sorte compensatoire de la perte de la première.

Arrêter de fumer me donnerait comme récompense de mieux respirer, d’être en meilleure santé, de pouvoir courir ou travailler plus longtemps sans que je ne ressente de fatigue.

Arrêter de prendre du sucre dans mon café permettrait aussi de prendre soin de mon corps, de perdre du poids, et de retarder ainsi le vieillissement prématuré des milliards de cellules qui le composent

Et ainsi de suite.

Ici le mot un mot important est celui de récompense. Si je ne m’offre pas une récompense à la mesure de cette perte il y a de grandes chances pour que le processus échoue.

Or les récompenses ne m’intéressent que moyennement par rapport aux béquilles psychologiques que m’offrent mes anciennes habitudes.

Cela signifie peut-être que je ne pense pas assez à cette notion de récompense en profondeur. Celles ci en tous cas ne sont pas suffisamment puissantes pour m’extraire de ce que j’appelle la fatalité. Alors soudain se dresse « l’à quoi bon » qui a le pouvoir de faire table de rase de tous ces processus et de les faire avorter.

Je me souviens que j’éprouvais déjà cela lorsque j’étais au collège et que le professeur de sport nous intimait l’ordre de courir autour d’un stade. Dans mon for intérieur je me hâtais de trouver cette action aussi ridicule que possible et cette conclusion alourdissait ma foulée jusqu’à la ralentir, et je finissais régulièrement en marchant bon dernier.

C’est que le gout de l’effort ne m’apparaissait pas comme une chose bonne en soi, à contrario de mes camarades qui semblaient même en éprouver un vif plaisir, la course d’endurance pour moi s’arrêtait à la souffrance enclose dans un espace temps ennuyeux.

Je serais tout à fait d’accord d’évoquer la paresse si celle ci pouvait à elle seule expliquer mes échecs répétés. Or dans ma vie j’ai découvert que je n’étais pas paresseux pour tout, au contraire j’ai déployé des efforts souvent surhumains de patience, de temps et de ruse pour effectuer des travaux qui ne servaient à rien. Ainsi ces nombreuses nuits à découvrir l’usage de la chambre noire, à développer et tirer des photographies en noir et blanc. Ainsi ces heures passées à dessiner et peindre sans jamais vouloir montrer mon travail à quiconque. Ainsi les pages et les pages noircies que je n’ai jamais voulu publier.

Une réticence inouïe à ne pas vouloir goûter aux fruits de mon travail artistique notamment que je puis aussi constater dans mon alimentation , je ne mange pratiquement jamais de fruits non plus.

J’ai cru pendant pas mal de temps que c’était parce qu’il fallait les éplucher, notamment les agrumes, mais c’est tellement ridicule que ce ne peut être suffisant. Je pense plus à un blocage d’enfant fréquentant les bancs du catéchismes, une sorte de trauma associé à la pomme et aux filles qui ne les offraient que contre d’impayables récompenses justement.

Ainsi donc ma vie entière est une succession d’échecs en matière d’ordonnancement dans l’aspect social de celle ci. J’ai enchaîné job sur job la plupart du temps alimentaire car je ne plaçais pas l’essentiel dans la notion de carrière, mon identité je la voulais ailleurs, essentiellement sur le plan créatif.

Cette distance qui s’installe peu à peu avec le groupe, dans la déviance des objectifs qu’il impose surtout, contraires à mon intuition, car je ne peux parler de pensée véritablement, cet écart, ce pas de côté me coûta une énergie formidable et m’offrit en contrepartie une créativité étonnante.

Je ne souhaitais blesser personne évidemment, et, à ménager la chèvre comme le choux c’est souvent sur moi que mon propre dépit tombait.

Alors je me sens nul, coupable de tous les méfaits, pas à la hauteur, une anomalie ambulante. Patiemment je développe un complexe d’infériorité à la hauteur de ma supériorité inavouée. L’un nourrissant l’autre, et toujours d’une façon mal modérée bien sur.

La confusion du narrateur

Image Patrick Blanchon peinture à l’huile

Au début je fus victime de sueurs froides et d’éblouissement, cela m’arrangeait d’osciller à toute berzingue entre la culpabilité et la sainteté. Comme une particule quantique qui se transforme en point fixe quand on la regarde et qui nous nargue avant de reprendre sitôt le dos tourné son chemin vibratoire.

Je me découvrais dans l’encre généralement noire aussi vaste que les galaxies avec de temps en temps dans le silence d’une virgule, d’un point, des profondeurs encore plus abyssales que je n’osais explorer et qui me servaient à saisir l’importance des ellipses.

Ce fut douloureux le plus souvent et parfois aussi intensément jouissif.

Et puis quand même ça me taraudait continuellement, du matin au soir l’écriture.

Ce corps est constitué de 90 milliards de cellules, autant dire que c’est un agglomérat de galaxies et toutes ces cellules bien qu’autonomes n’ont qu’un but c’est la survie de ce tout qu’on appelle « moi ».

Le fait d’être fêlé par le passage étroit de l’utérus à la vie et tout ce qui s’en suivit depuis une soixantaine d’années m’aura beaucoup aidé pour compter les morceaux. Il était évident que tant de fragments épars je désirais les réunir afin d’en constituer une unité.

Avant de réunir il faut aller à la quête des morceaux, les prendre entre deux doigts et les considérer chacun.

J’ai passé un temps fou à explorer ma galaxie.

Il me fallait trouver la colle pour réunir tout ça

j’ai essayé le malheur,

j’ai essayé l’errance,

j’ai essayé la magie blanche et noire

j’ai essayé la haine,

j’ai essayé l’intelligence,

j’ai essayé plein de choses

et puis la compassion est arrivée d’un coup comme un coup de vent un soir d’été

j’aurais pu dire l’amour mais ce serait exagéré, trop compliqué pour moi

la compassion oui pour toutes ces milliards de cellules qui constituent ce que je suis et qui ne forme qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’univers dans lequel nous pataugeons tous

L’écriture, la narration m’a beaucoup appris ce fut comme une sorte d’accouchement aujourd’hui on dirait une analyse mais je préfère l’idée de la maïeutique.

J’ai compris que le « je » n’était qu’un porte parole d’une immensité de silences qui cherchent à venir au monde. Je n’ai plus voulu taire le silence et j’ai laisser les mots et le silence prendre ma main.

Alors les textes ont commencé à apparaître vraiment

De la confusion à la profusion.

Il était une fois à l’orée de ce village, un arbre de taille moyenne qui semblait ne produire aucune fleur, aucun fruit et dont les feuilles accueillaient la pluie et le soleil avec une indifférence apparente qui provoquait la curiosité jusqu’à l’agacement.

Les plus anciens du village l’avaient toujours vu planté là et comme ils n’avaient jamais vu de fleurs ou de fruit sur cet arbre, ils s’en étaient d’abord inquiétés bien sur en se grattant le crâne puis, avec le temps tout le monde jusqu’aux plus jeunes avaient fini par l’oublier.

Autour s’étendaient les vergers peuplés de cerisiers, de pruniers, de pommiers qui chaque année à la saison propice fournissaient au villageois de beaux fruits sucrés qui les réjouissaient. Et quand ceux ci passaient à coté de l’arbre inconnu ils ne le regardaient même plus.

Un matin un oiseau vint se poser sur la branche de l’arbre et l’arbre tressaillit doucement.

bonjour dit il timidement

Salut répondit l’oiseau comment va ?

Enhardit par le fait qu’on lui réponde l’arbre commença a raconter sa vie de misère à l’oiseau qui l’écouta attentivement puis s’impatienta au bout du compte.

J’entends que tu es seul et que tu te plains l’ami – dit alors l’oiseau mais sais tu d’ou tu viens et où tu vas ?

Il y eut alors un silence car l’arbre inconnu ignorait tout de ses origines et n’avait jamais imaginé son avenir d’arbre.

Bonne question répondit il à l’oiseau si tu as la réponse ce serait avec joie que je l’accueillerais mais pour le moment je ne peux répondre à tes questions.

L’oiseau avait autre chose à faire et il reparti vers le ciel en laissant l’arbre plongé dans la plus grande des confusions.

Il se mit alors à ouvrir grand ses yeux d’arbre et vit les vergers voisins et il demanda au grand cerisier

Sais tu qui je suis d’ou je viens et ou je vais ?

Le cerisier le regarda avec dédain et ne lui répondit pas.

Il s’adressa alors au pommier

Le pommier non plus ne prit pas la peine de lui répondre

Alors l’arbre s’enfonça encore un peu plus profond dans sa solitude d’arbre. C’était une toute nouvelle solitude cependant car désormais il souffrait, et c’était une chose qu’il n’avait encore jamais éprouvé auparavant tant il se confondait jadis avec la vacuité générale du monde.

Souffrance et confusion s’installèrent alors et il s’aperçut que son grand corps d’arbre était devenu bien plus attentif que jamais auparavant. Désormais il éprouvait l’humidité ou la sécheresse de l’air sur ses feuilles et pouvait sentir par ses racines du fin fond de la terre le chant minéral des silex.

Il passa ainsi plusieurs saisons et accueillit dans sa sève et son écorce le chant du monde avec ses joies et ses peines et peu à peu il s’aperçut de la puissance de ce chant qui semblait lui apporter autant de rage que de bonheur, qui le nourrissait au sein même de sa grande confusion.

Puis ce fut le printemps à nouveau et un matin ensoleillé qu’il admirait la rosée déposée par l’aube sur les herbes folles l’oiseau revint se poser sur l’une de ses branches.

Alors l’ami toujours dans la confusion ? demanda l’oiseau

En réponse l’arbre resta silencieux mais produisit des milliers des fleurs blanches qui commencèrent à s’ouvrir sous la caresse du soleil . L’oiseau battit des ailes, esquissa un sourire puis s’envola vers l’azur à nouveau et on ne le revit jamais plus dans la région.

Quand l’été arriva ce fut un gamin qui osa goûter le premier fruit car les adultes n’avaient même pas vu que l’arbre avait changé

Oh mais c’est une vraie tuerie ces fruits cria le minot.

Du coup on récolta tous les fruits et on en fit des confitures, des tartes, des salades et tout le village se régala.

Et puis au final on se prêta au jeu d’attendre chaque année la profusion de l’arbre inconnu qui offrait de si bons fruits goutteux à souhait et même un jour tous se concertèrent pour lui donner un nom que j’ai oublié parce que cette histoire est bien ancienne et que ma mémoire parfois me fait défaut.

La tolérance et la conviction

Il ne peut y avoir de tolérance sans conviction, du moins c’est ce que l’on pourrait imaginer puisqu’on fait preuve d’une pour découvrir l’autre peu à peu. Mais quand on part dans la vie sans aucune conviction quel curseur utiliser pour ajuster la tolérance ?

Alors je vous propose de modifier le mot conviction par intention et les choses s’éclaireront peut-être d’une lumière inédite.

Pour les chamanes la notion d’intention est majeure, comme les notions d’énergie. Peu de choses dans le monde chamanique se produisent sur le plan mental, mais sur un plan énergétique. Pour parvenir au plus haut degré de connaissance, ou de pouvoir, peu importe les mots que l’on pourrait coller sur le sommet, deux qualités sont nécessaires voire indispensables:

Accepter de souffrir pour comprendre la quantité de tolérance dont on peut faire preuve au travers d’une forme d’endurance à la bêtise, la sienne et celle des autres si l’on veut. Quand je dis bêtise il n’y a vraiment rien de péjoratif, je parle bien de notre nature animale.

La seconde chose est l’impeccabilité que j’appelle plus modestement la justesse. Cette justesse qui, si l’on apprend à repérer la fuite d’énergie en soi ou l’appétit qui commence à sucer la notre chez autrui, réagit de plus en plus rapidement et souplement à tout débordement, de façon à rester dans l’axe.

Nous ne savons pas grand chose des échanges gazeux et encore moins des échanges énergétiques qui s’opèrent entre les individus. J’ai connu des maîtresses fabuleuses qui une fois que nous nous fussions séparés m’avaient dérobé une très grande part d’énergie et je ne parle pas ici de rapports sexuels uniquement. c’est que l’idée de vampire n’est pas venue du fond des temps par hasard , nous passons notre temps à nous gorger de l’énergie des autres et eux de la notre.

Je ne me souviens plus mais je ne serais pas étonné que ce soit l’écrivain Paul Claudel qui refusait même de se masturber de peur de dilapider imprudemment sa précieuse énergie.. et ainsi de perdre son inspiration, sa créativité. A mon avis, il aura rater bien des moments de plaisir mais le postulat n’était pas mauvais en soi.

Les ermites aussi savent que s’éloigner de la masse les préserve de dépenses inutiles, mais sans risque alors comment tester la tolérance, comment construire une véritable conviction ? Et comment détruire celle ci une fois construite … ?

C’est que peut-être tous les chemins mènent à des « Rome » très personnelles, nous arrivons avec une petite idée en tête dans le monde de la confusion et c’est toute cette confusion, ce chaos, qu’il nous faudra traverser avec ce que j’appelle « intention »

Cette intention ne provient pas de notre réflexion, le mental n’est pas sa source, ni d’ailleurs le cœur. On pourrait peut être imaginer un intervalle entre deux fréquences, plus qu’une fréquence vraiment, un tout petit vide entre deux voilà ce serait cela l’intention capable à la fois de soulever des montagnes, de faire preuve peu à peu d’une tolérance infinie, et d’écarter ainsi un peu plus à chaque cran la moindre de nos convictions.

Découvrir qu’une intention existe au fond de soi est un jour de fête. Lui faire confiance et la suivre aveuglément nécessite de traverser bien des déserts cependant que parvenu à l’oasis, nous sommes capables de tout oublier ou presque, heureux enfin d’étancher notre soif tout simplement.

La confusion en peinture et dans le reste

Photos troubles Patrick blanchon

J’ai longtemps été confus dans tous les domaines de ma vie a croire parfois que je mettais un point d’honneur à ne pas être clair, si toutefois la clarté est le contraire véritable de la confusion.

Quelque chose en moi projetait comme la sèche, la pieuvre, le calamar,un nuage d’encre afin de me dissimuler certainement en cas de danger. Pour tromper l’adversaire, à l’extérieur ou à l’intérieur de moi. Et cet adversaire maintenant que j’y réfléchis pourrait être à la fois l’évidence comme la certitude et le sommeil que provoquent toujours chez moi ces deux mots.

Car « moi je » voulais aller plus loin, je voulais être le meilleur en quelque chose sans savoir vraiment bien quoi. Il le fallait cela m’était consubstantiel pensais-je. Du moins c’était là le mot d’ordre servant d’excuse à une certaine forme d’arrogance, de mépris envers le reste de l’humanité qui n’était pas sur la même fréquence: lanterne éteintes et lanterne allumées.

Dés les bancs de l’école je m’étais aperçu que seuls deux ou trois de mes camarades revêtaient une importance pour moi , seule forme de réalité tandis que la grande partie des autres, disparaissait dans un amas de contours incertains. Ceux que je ne choisissais pas de regarder n’avaient alors pas accès à l’existence.

Il y en allait ainsi de tout, du choix que j’opérais quand au degré d’importance que j’attribuais.

j’ai ainsi donné de l’importance à certains arbres particulièrement les cerisiers et j’ai un peu aimé les hêtres, les bouleaux, et les chênes. Éventuellement le sureau qui me donnait de quoi fumer. tout le reste de l’immense forêt m’est parfaitement inconnu. Et souvent je me suis juré qu’un jour j’achèterais un manuel pour combler mes lacunes, cependant ce serment n’a jamais été tenu.

Dans cette notion d’importance donnée aux choses, aux êtres, le moteur, la motivation qui me poussait était souvent la curiosité. alors que je n’étais en fait curieux que d’une seule chose : explorer une version de moi-même encore inédite et ce peu importe que ce fusse en amitié, en amour, la traversée du miroir m’était inconnue.

Pourtant je le savais, intellectuellement, je maîtrisais cette notion d’ego, de projection, de transfert, de rejet également, et voilà ce qui sans doute m’a retardé le plus longtemps. Cette impression, cette fabrication mentale s’appuyant à la fois sur l’instinct, l’analogie et le livre mais assez peu sur le corps, sur le ressenti ni sur le cœur.

D’ailleurs très longtemps j’ai pensé être dépourvu de cet organe. Ne me le disait on pas à longueur de temps, « tu n’as pas de cœur, mets y du cœur », je n’avais pas de cœur à avoir du cœur et voilà tout.

Moi c’était plutôt la tête en premier et assez rapidement les jambes que je prenais à mon cou quand on me crachait en pleine figure les vertus cardiaques

C’est que du fin fond de ma confusion je comprenais bien toutes les mailles, la toile entière parfois que tissait ce prétendu « cœur à l’ouvrage » et qui me paraissait m’empêtrer dans plus de confusion encore à chaque tentative de m’en échapper.

Il doit en être de tous les mots ainsi je le crains. Nous les utilisons comme des ombres s’emparant d’armes tranchantes, argentées et luisantes dans la nuit de notre ignorance. Nous croyons savoir ce que veut dire aimer, nous croyons savoir ce que veut dire haïr, nous nous formons des images mentales associées à ces mots et bornées par celles ci nous traçons des voies labyrinthiques que nous appelons alors , simplicité, évidence, clarté.

En peinture je n’ai jamais cessé de savoir ces bornes et j’ai souvent compris qu’il fallait commencer par la confusion comme dans la vie. Laisser aller sa pente naturelle à désordonner le monde ou la toile ce n’est pas quand même tout à fait semblable.

Les harmonies, les lumières équilibrées d’avec les ombres que je n’ai pu trouver en peinture, j’ai pu les recouvrir et reprendre par dessus de nouvelles toiles, cependant que les défaites, les guerres, les prétendues victoires obtenues au travers les ombres et les lumières de ma vie passée je les ai laissées disparaître à jamais dans la nuit de mon oubli.

« A jamais dans la nuit de mon oubli » vous voyez on y croirait !

Bien sur que non, rien n’est oublié vraiment elles me hantent souvent la nuit et même en pleine lumière désormais.

La dernière illusion

Cela commença imperceptiblement, par un léger frisson, sans doute dû à la fatigue, à ces nuits d’insomnies traversées, à tous ces mots jetés sur le papier comme on remplit des sacs poubelles lors de déménagements.

Puis cela devint plus net. Tout le corps tremblait désormais et j’éprouvais une sensation de froid glacial.

Nous étions en août et les voix fortes et épicées des grand Zaïrois s’élevaient depuis la rue des Poissonniers rejoignant les cris des martinets dans une proximité d’heure de pointe. Même la fenêtre refermée je ne pouvais pas ne pas les entendre. 

Des odeurs de chevreaux grillés les avaient accompagnées ces voix. L’odeur de viande brûlée m’était insupportable.

Me relevant mollement pour faire couler l’eau de l’unique robinet du lavabo, je remplis le verre et le bu d’un trait. Peut-être un peu de fièvre aussi saisissais-je la boite de doliprane

il devait être 18h et le soleil était encore haut dans le ciel. Normalement, à cette heure j’aimais sortir de l’hôtel et prendre le pouls de la ville dans ce coin fabuleux du 18 eme. Au rez de chaussée je ne manquais jamais de saluer la concierge en échangeant un mot ou deux. Elle serait ainsi moins virulente qu’avec d’autres lorsqu’il s’agirait de payer le terme et puis bon dieu comme je me sentais seul. Alors échanger deux mots dans la journée me permettrait de conserver un rapport si minime soit il avec le reste de l’humanité.

Ainsi cultivant mon gout pour la survie, entretenais je le même type d’échanges minimalistes avec les caissières du supermarché voisin, le buraliste qui me fournissait en tabac et le loufiat du bar du coin ou j’aimais prendre quand je le pouvais mon petit crème du matin.

La folle de la chambre attenante, nous n’étions séparés que par une cloison fine comme du papier,  devait être absente car je n’entendais pas le bruit familier de ses toussotements, de ses paroles incohérentes qu’elle jetaient d’ordinaire sur les parois comme un boxeur s’entraîne à molester son sac.

Ce qui me décida c’était qu’il ne me restait presque plus de tabac. J’envisageais la nuit proche et ne me résolvant pas à m’en passer, je fouillais toutes les poches de pantalons, vestes, manteaux pour trouver un peu de monnaie, lorsqu’un billet de 50 francs tomba comme une manne sur le plancher.

Joyeux de ces retrouvailles et plein de gratitude envers la providence et ma nature désordonnée je descendis.

La concierge absente, j’économisais mes mots puis m’engouffrais dans la chaleur du soir.

J’avais traversé à grandes enjambées la place de Chateau-Rouge, sa cohue, ses odeurs de piment, de sueur et d’épices, pour enfin parvenir à mon hâvre de paix, la Rue Custine.

Alors peu à peu je ralentissais le pas, la rage retombait et mon regard suivait les mouvements des feuillages des hauts platanes qui à la façon d’une haie d’honneur m’accompagnaient vers Jules Joffrin.

Ce doit être dans ce café, que je m’arrêtai. La première bière accéléra rapidement mon envie d’uriner et c’est en ressortant des toilettes que je la vis, appuyée contre le bar.

C’était une femme sans age, mal fagotée, je ne me souviens plus si elle était brune ou blonde. Elle était ivre ça c’est certain et nous nous accrochâmes l’un à l’autre sans trop tourner autour du pot.

Après m’avoir asticoté un bon moment elle me ferra d’un « on va chez toi ? »

Je me rappelle encore des années après cette humiliation dont elle m’abreuva en critiquant ma vigueur sexuelle à son égard .. c’était des vas y bon dieu baise moi mais baise donc, plus loin, plus fort .. mais je restais définitivement d’une mollesse insultante à son égard.

Aux environs du troisième ou quatrième « qu’est ce tu fous connard » je me levais, me rhabillais et la flanquais dehors.

Et tu crois que c’est gratuit me jeta t’elle encore ?

Alors je sentis dans ma poche le billet de 50 francs et lui donnais.

Elle partit sans demander son reste et je m’asseyais sur mon lit une migraine terrible me terrassant à nouveau.

En mettant la bouilloire en route pour me préparer mon nescafé je ne me sentais pas bien fier mais je me mis quand même à rigoler.

Mon rire au début léger comme un coureur à pied qui s’élance à petite foulée devint assez rapidement tonitruant, puis carrément hystérique enfin, il me permit de me vider les poumons, de chasser l’air et les pensées viciées de ces dernières heures.

J’ouvrai la fenêtre, la nuit était là projetant ses grands bras sur les façades de craie. j’allumais une cigarette et respirait lentement. Peu à peu le calme revint.

Dans le couloir des bruits de talons, la folle rentrait chez elle. J’entendis un moment ses hurlements étouffés ses grattements aux murs et puis tout s’arrêta.

Je crois que c’est à partir de ce jour que j’ai décidé de ne plus écrire une seule ligne.

Nous fabriquons parfois des objets dans l’instant présent mués par des intentions multiples tant la confusion de vivre se mélange dans l’être et dans l’avoir. Pour retrouver la clarté, il faut bien plus biffer qu’ajouter. Mais comment se séparer de l’excès ? Du trop plein pour retrouver la faim, la soif naturelles ? Dans la régularité peu à peu le chaos cent fois, mille fois revisité par la mémoire mensongère, par l’idée de beau et de laid qui choisit et rejette,laisse l’eau troublée malgré tout effort.

Sans doute par ce que cet effort ne sert à rien que de parvenir à la conclusion que notre lucidité n’est rien d’autre que la dernière de nos illusions.