Comment construire sa démarche artistique en 10 étapes #7

La notion de curseur

Introduction

J’en discutais encore hier avec mes élèves dans mon atelier du matin, en parlant de l’utilisation des couleurs que l’on appelle « complémentaires ». D’ailleurs c’est étonnant lorsqu’on y réfléchit qu’un rouge, diamétralement opposé à un vert puisse à première vue être considéré comme complémentaire de ce dernier. C’est sans doute la raison pour laquelle les novices en peinture ont parfois des difficultés à comprendre pourquoi on utilise l’une de ces couleurs pour foncer l’autre, la plupart du temps la première chose qui viendrait à l’esprit c’est d’utiliser le noir.

Si on ne le fait pas c’est que le noir détonne, il attire bien trop l’œil en créant du contraste là où il n’est pas nécessaire la plupart du temps.

Nous avancions dans cette conversation et comme d’habitude elle dériva sur l’expérience de chacune et de chacun en relation avec un mot que j’avais du placer dans le fil de la discussion.

C’est le mot « reconnaissance ».

Une de mes élèves d’origine allemande nous explique alors qu’enfant, elle n’obtenait jamais aucune appréciation quand elle faisait quelque chose de bien, ni d’ailleurs lorsqu’elle faisait quelque chose de mal. Simplement lorsque ce n’était pas bien, on ne lui proposait plus par la suite de la solliciter pour réaliser le même genre de tâche.

Je connais parfaitement le type de ravages que ce genre de comportement peut entraîner comme blessure par la suite pour ceux qui le subissent.

Une sorte de pragmatisme, que l’on rencontre beaucoup dans les pays de culture anglo saxonne et dont les valeurs s’appuient pour la plupart sur une tradition protestante, interdit l’exubérance, l’excès de compliment comme aussi le fait de proposer plusieurs chances.

Quand une chose est bien faite, c’est normal, quand c’est raté, ce n’est pas la peine de te solliciter à nouveau, quelqu’un d’autre sera désigné.

Ces deux limites dessinent à grands traits la figure d’ une pénurie de reconnaissance et d’explication. Et c’est ainsi qu’elles peuvent créer des ravages et, à terme évidemment un manque d’estime de soi.

C’est d’ailleurs le cas de mon élève qui ne cesse de s’auto saboter ( la plupart du temps à haute voix afin qu’on l’entende) aussitôt qu’elle réalise quelque chose en peinture.En même temps elle est soulagée lorsque j’interviens pour atténuer son jugement.

Cet aspect émotionnel est évidemment très important lorsqu’on vient apprendre une activité artistique. La notion de confiance est fondamentale, confiance dans l’enseignant bien sur qui doit rester vigilant, diplomate, astucieux, justement pour ne pas pénétrer dans la sphère purement émotionnelle, mais dans celle de l’explication.

Pourquoi cette composition ne fonctionne pas ..? ou encore ce jeu de couleurs dis-harmonieux etc. il doit rassurer énormément, dédramatiser, et surtout offrir une solution.

Je crois que c’est à ce moment que j’ai utilisé l’image du curseur.

A quoi sert donc un curseur si je l’utilise au sens figuré c’est ce qui sert de repère dans l’évolution d’une situation. On peut régler le curseur en tentant de trouver un équilibre entre deux extrêmes.

Et là je reprends mes observations sur l’utilisation des couleurs complémentaires, en expliquant que l’ajout de nuances d’un pole à l’autre résout en bonne partie la violence, l’agressivité, l’affrontement qui ne manque pas de surgir si on ne fait que poser deux couleurs opposées l’une près de l’autre.

La question est de savoir où positionner le curseur ?

Est ce qu’on va privilégier la dominante rouge ou verte ?

Est que l’on va atténuer chacune des deux couleurs au point qu’on aura du mal à les détecter sur la toile?

Est ce qu’on va les mélanger tant et bien qu’à partir d’elles on obtiendra des gris colorés ?

Encore une fois tout se résume dans la notion de désir, et de besoin puis de la satisfaction de ce besoin.

J’ai envie d’utiliser du vert et du rouge

c’est le désir

Je remarque qu’un rouge à coté d’un vert me déconcerte par sa violence

je n’ai pas besoin de cette violence ( j’ai besoin de calme)

donc action :

j’apporte de la nuance pour m’écarter de cette agressivité et ce faisant je cherche une harmonie crée par ces deux opposés.

Je découvre les accords de gris colorés, les accords majeurs et mineurs etc..bref la musique dans la peinture, n’est ce pas extraordinaire ?

Si tu as lu le texte précédent sur la contradiction cela doit te rappeler quelque chose …

Pourquoi est ce que je te parle de cela aujourd’hui ?

Simplement pour que tu réfléchisses à qui va s’adresser ta démarche artistique.

Attention je ne te parle pas de calcul ni de manipulation ici, je te demande juste de réfléchir à quel endroit tu vas décider de placer le curseur.

Qui sont les destinataires de ton message ?

Le piège mais je crois que c’est aussi un piège nécessaire pour que tu puisses y tomber, et comprendre ce dont je parle, c’est de n’adresser cette démarche qu’à toi seul.

Tu vas vite pénétrer dans un labyrinthe, sans autre fil d’Ariane au début que cette obligation de rédiger ta démarche noir sur blanc, et tu vas certainement te prendre la tête copieusement en écrivant des centaines de pages.

A la fin te vas te retrouver avec toutes ces pages et tu vas essayer d’ordonner les choses.

Mais à chaque fois que tu vas découvrir l’ordre caché de toute ces choses, tu vas encore rajouter, retrancher… et t’arracher les cheveux.

Pénétrer dans cette question « qu’est ce que ma démarche artistique », pour peu que tu la prennes vraiment au sérieux, elle deviendra vitale, et tu peux même rapprocher cet événement d’une analyse que tu paierais à prix d’or sur le divan d’un psy.

Mais j’ai le regret de te dire que malgré tout ça

la démarche artistique n’est pas un rapport d’analyse.

En tous les cas ton interlocuteur s’en fiche complètement, ce qu’il veut ce sont quelques phrases dans lesquelles tu dis d’où tu sors , ce que tu fais et pourquoi c’est important pour toi de le faire, et ce que sont tes projets partir de là.

Pour atteindre la simplicité c’est compliqué.

si c’est trop simple, je veux dire si c’est pauvre, indigent, sans matière, et sans vrai rapport avec ton art ton interlocuteur le sentira rapidement. Dis toi que ces personnes à qui tu t’adresses ne sont pas des perdreaux de l’année…

Mais au fait as tu résolu cette énigme ?

A qui t’adresses tu ?

Si c’est à la mairie de ta commune ton dossier sera réceptionné la plupart du temps par l’adjointe ou l’adjoint à la culture. Ce que cette personne va regarder en premier ce sont les photographies de tes œuvres et elle se fera une première idée de ton travail par l’émotion que ces images lui inspire.

puis elle va tenter de savoir ton parcours qui tu es, là elle découvrira cet autre document important qui est ta bio d’artiste.

Enfin mais ce n’est pas toujours le cas, elle pourrait s’arrêter là, cependant qu’elle se posera peut-être la question du pourquoi tu réalises ces œuvres, de quoi parles tu finalement dans ces œuvres ?

Et là franchement si elle découvre en quelques lignes dans un langage simple et clair qui lui raconte ce pourquoi tu peins et le sens de ton travail tu gagneras la partie facilement et nul doute qu’elle te contactera pour parler des modalités de ta future exposition.

La mauvaise nouvelle, tu l’as compris, c’est qu’il faut rédiger plusieurs types de textes expliquant ta démarche. Insister sur certaines parties et en omettre volontairement d’autres.

Mais franchement une fois que tu auras fait le plus gros, c’est à dire cette fameuse exploration de toutes les galeries minières qu’est pour toi ta démarche artistique , tu ne manqueras pas de l’adresser à toi même en premier,.

Tu verras par la suite combien c’est reposant à la fin de la décliner suivant les personnes et les lieux à qui tu vas t’adresser.

Quelle langue vas tu utiliser ?

La langue définit celui qui la parle.

Il y a deux choses importantes à retenir dans la rédaction de ta démarche artistique.

Les mots que tu vas utiliser te définissent plus ou moins consciemment vis à vis de ton interlocuteur, et celui ci sera aussi sensible au fait que tu ne t’adresses pas à lui dans une langue étrangère.

Ça ne te viendrait pas à l’esprit de demander une baguette de pain chez ton boulanger en chinois n’est ce pas …même si un instant cela peu paraître amusant et qu’il risque de t’avoir repéré la prochaine fois que tu franchira le seuil de sa boutique.

Réfléchis à qui est le destinataire de ton dossier.

Est ce que tu crois qu’il possède une formation artistique susceptible de lui faire comprendre le jargon compliqué que tu vas employer ?

Et quand bien même serait-il critique d’art, je ne pense pas que pour autant il faille tenter de l’impressionner par l’usage de mots que tu ne maîtrises peut-être pas toi même si bien que cela.

La notion de justesse encore une fois est importante.

Utilise les mots que tu maîtrises, dont tu te sers la plupart du temps, sois toi même.

Ce ne sont pas les mots qui sont importants mais la clarté de tes explications. Cependant peut-être insisteras tu un peu plus sur les fondements de ton travail à un galeriste, à un critique d’art, à un jury de salon auquel tu veux participer.

Dans ce cas il existe des mots « phares » des mots clefs, qui employés à bon escient feront comprendre à ton interlocuteur que tu les associes à un pan particulier de l’histoire de l’art, ou à une filiation d’artistes en particulier. Installe plus une complicité par la réserve, au lieu d’étaler la confiture sur les deux cotés de la tartine.

Conclusion

Comme j’ai tenté de te l’expliquer, la notion de curseur est à mon avis une source importante de réflexion pour l’élaboration et la rédaction d’une démarche artistique.

Tu pourras te souvenir de la notion d’opposés et de complémentaires, d’équilibre, de nuances, de justesse comme de température.

Il y a dans ce labyrinthe dans lequel nous nous sommes engagés par cette série de textes un fil d’Ariane et bien sur un minotaure qui t’attend et qu’il va falloir affronter.

Le tout est de toujours te souvenir du pourquoi tu as décidé de t’engager dans le labyrinthe et comment tu vas affronter le minotaure…car tu sais déjà qu’il t’attend, nul doute que tu vas devoir le combattre. Mais avec quelles armes ?

On se retrouve très vite pour la suite de cette aventure, en attendant je te laisse le lien pour t’inscrire à mes contacts privés.https://urlz.fr/8OuV

Les couleurs complémentaires