Introduction
Qu’est-ce que je cherche au travers de la peinture sinon à créer un univers.
Comment cette volonté est-elle venue ? Avec la sensation désagréable de me rendre compte que je tourne en rond. Avec la perception d’une rotation semblable à un programme informatique effectuant des boucles. J’ai pris conscience d’être enfermé dans cette boucle, je la considère comme une prison et à partir de là je n’ai plus qu’une idée fixe: m’en évader.
Inventaire.
C’est la peur qui me maintient dans l’habitude. C’est le désir d’obtenir quelque chose qui me fait accepter cette habitude. Je sens que la peur est l’aliment de quelqu’un de quelque chose, que cet être ou cette chose ne se nourrit exclusivement que de la peur. Pour que je puisse produire cette denrée on m’a implémenté des désirs inutiles, des buts imbéciles, afin que mon attention s’attachent à ces buts, que la distraction m’égare continuellement de ma véritable mission.
Me voici sur cette planète, dans cette époque nommée 20 ème siècle, je suis dans ce nouveau corps, dans cette famille où la violence atteint un paroxysme. Chaque jour je dois subir cette violence, me familiariser avec elle, elle est comme un monstre à domestiquer.
Pour rester en vie je ne peux compter que sur mon imagination d’enfant. Je crois à la magie, à l’extraordinaire, et à l’amour sans condition. Je m’éloigne de cette famille, de la maison, pour me rendre au fond du jardin et monter sur le vieux cerisier. Je suis bien dans les branches de ce cerisier, j’admire les collines au loin, je lève les yeux vers les nuages que j’observe se métamorphoser en des milliers d’êtres, qui paradoxalement m’apparaissent à la fois étranges et familiers.
Sous la maison de mes parents j’ai aussi découvert une excavation par laquelle j’accède en ouvrant la petite porte noire. Je rampe sur les gravats vers la plus noire des obscurités et je reste ainsi dans une étrange méditation. C’est là que j’ai l’impression de nettoyer quelque chose, quelque chose qui se nomme l’oubli. La mémoire me revient par bribes. Des épisodes extraordinaires mais la plupart du temps incomplets d’existences que je jurerais avoir vécues.
Les rares fois où j’ai essayé de parler de ces expériences on m’a rabroué. On m’a dit que j’avais trop d’imagination, que je voulais me rendre intéressant à raconter ainsi autant de sornettes.
La rencontre avec le doute
Ce fut la toute première épreuve à traverser. J’appelle ça : la rencontre avec le doute.
Vers l’âge de 6 ans alors que je m’étais totalement égaré, que je ne parvenais plus à comprendre ce qui était vrai ou faux, entre ce je ressentais et la réalité partagée par les autres, dans ma famille, mais aussi à l’école, partout, je fus vraiment désespéré.
Je ne sais plus si j’ai voulu mourir ou tuer tout le monde, ce souvenir reste confus, à part quelques souvenirs qui me reviennent ça et là. Ma grand-mère paternelle me rappelait parfois que j’avais voulu la tuer. Mais elle le disait en riant comme une chose sans importance, comme pour atténuer la gravité des menaces qu’un enfant de 6 ans crie dans son apprentissage de la vie.
C’est à cette époque que j’ai reçu pour la toute première fois la visite de ce que j’appelle mon ami imaginaire désormais, parce que je suis devenu un vieil homme, parce que pour expliquer de façon raisonnable les choses je consens enfin à évoquer l’imaginaire.
J’avais beaucoup prié tout en haut du vieux cerisier, et aussi dans l’obscurité de mon trou pour avoir un ami ainsi que l’on s’exprime à cet âge.
Avoir un ami c’était ma demande à l’univers. Je crois d’ailleurs que cela a toujours été ma seule demande véritable, une demande qui vient du fond du cœur.
J’avais été déçu de nombreuses fois par mes camarades. Eux aussi me battaient, m’insultaient, ils avaient repéré immédiatement à quel point je pouvais représenter pour eux une proie facile. Mais leurs coups et les quolibets n’étaient rien par rapport à tout ce que j’avais à endurer dans ma propre maison. Et puis aussi je crois qu’être cette proie facile me permettait de m’endurcir encore plus, et de me concentrer d’autant sur ma solitude, sur ces mémoires qui me revenaient sitôt que j’entrais dans cette solitude.
Je ne me rendais pas vraiment compte de tout ça à cette époque. Mais ce fut grâce à cette adversité quotidienne que m’offrait mon environnement, que j’ai pu à la fois pénétrer dans la solitude, dans la méditation et dans ce qu’il faut bien accepter désormais de nommer « mon imagination ».
Avoir un ami m’obsédait à un tel point que j’étais capable de projeter ce désir sur à peu près tout et n’importe qui ou quoi, sauf les êtres humains à partir de cette période que j’évoque. J’avais déjà essuyé tant de déceptions pour mon très jeune âge que cela me semble bizarre de m’en souvenir.
C’est comme si la déception était l’unique bagage avec lequel j’avais été propulsé dans ce nouveau monde, dans cette nouvelle existence.
Aujourd’hui je comprends que la déception faisait bel et bien partie de mes armes, que j’avais dû forger à force d’expériences et d’épreuves, et de nombreuses pertes d’être chers. Un patrimoine de souvenirs qui raisonnablement ne peux être seulement contenu dans les quelques années de vie de ce petit enfant.
Ce fut à ce moment que je fis de nombreux rêves de chevaux, de chiens gigantesques, et que je découvris le pouvoir de voler dans mes rêves tout en restant conscient que j’étais en train de rêver. L’intensité de ces rêves était mille fois plus forte que tout ce que je pouvais vivre en étant éveillé. Je crois que ce fut comme une accoutumance hélas, c’est à dire un pur reflexe, un programme encore que je mis en place afin de rêver de plus en plus systématiquement
Et comme la nuit et mes périodes de retraite ne me suffisaient plus, je crois que j’ai eu besoin à partir d’un seuil critique d’ouvrir une porte. Et c’est par cette porte sur l’inconnu, que l’inconnu s’engouffra jusqu’à moi sous la forme de ce petit garçon qui était rien de moins que tout l’opposé de ce que j’étais.
Il était absolument sans peur. D’ailleurs il moquait de mon caractère pleutre que j’affichais évidemment comme je l’affichais désormais de façon permanente au monde entier.
Il me disait : Pas à moi, tu ne me la feras pas cette blague, je te connais, tu es bien tout sauf un couard, je t’ai déjà vu mille fois à l’œuvre au combat.
J’étais interloqué lorsqu’il me parlait de ses souvenirs et il riait aussi beaucoup de constater mon étonnement.
—Ne me dis pas que tu as tout oublié ? Tu te fiches de moi n’est-ce pas. Puis il s’interrompait tout à coup pour me montrer du doigt de belles prunes à chaparder sur l’arbre des voisins et nous courrions en riant pour sauter par dessus le petit muret qui séparait les terrains. Nous croquions à pleines dents dans tout un tas de fruits selon les saisons ce qui entrainait encore des cris et des coups lorsque je rentrais à la maison et que ma mère découvrait les taches sur mes vêtements.
Et comme un sot, un lâche, je racontais évidemment que ce n’était pas de ma faute, que mon ami imaginaire m’avait encore une fois entrainé.
Je l’admirais je crois mais j’avais la frousse de cet inconnu qui avait soudain débarqué dans ma vie, j’allais écrire dans mon corps ou dans mon âme…
A certains moments pénibles de ma vie cependant il m’est souvent venu à l’idée que c’était lui qui prenait le relais ou les commandes de mon existence. Avec un courage, une panoplie d’audaces et de ruses dont me je serais toujours senti totalement dépourvu.
Mais j’ai à chaque fois éludé aussi cette idée en me traitant de menteur, de fourbe et de lâche. En m’affublant de toute l’irresponsabilité possible, ou l’inconscience dont on m’avait toujours dit que j’habitais. Je ne m’étais inventé ce personnage imaginaire que pour compenser mes frustrations, mon impuissance. C’était ma conclusion définitive jusqu’à ces derniers jours.
59 ans ont passé comme un simple battement de cils.
Certitude et cosmogonie.
Est-ce en raison de la situation générale actuelle ? Est-ce parce qu’il me semble avoir accompli une fois de plus une sorte de parcours du combattant ? J’ai la sensation physique d’avoir effectué tellement de guerres, d’être tombé tant de fois sur le champs de bataille, et ce uniquement en raison de mes déceptions et de mes doutes je le comprends désormais, que je ressens extrêmement fort le besoin de poser une nouvelle toile sur le chevalet.
Mieux, je ressens fort ce besoin de prendre une grande pièce de tissu afin de l’agrafer à l’un des murs de l’atelier et de me jeter à corps perdu, sans hésiter, avec la puissance phénoménale de toutes mes mémoires recouvrées dans une œuvre, une nouvelle création, ma cosmogonie si je puis oser dire.

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