42. Notule 42

L’impression première de désordre sur la toile ne provient que d’une relation avec un ordre appris, ingurgité péniblement.

Un ordre qui serait commun mais étranger à une notion toute personnelle de ce que peut être véritablement l’ordre.

Et qui est d’ailleurs à terme un fantasme.

L’ordre est une idée, une injonction mentale qui se résume à vouloir contrôler, donner du sens, supprimer l’aléa, évincer le hasard tout en le faisant exister encore plus comme une entité gênante, ennemie.

Mais comment peut- on vraiment nommer un désordre sans effectuer le constat de notre ignorance ?

Et cette ignorance peut à la fois tenir à une incompréhension des règles sur lesquelles s’appuie une communauté et simultanément à ce refus de s’y attacher, puisque justement on, je, ne les comprend pas.

Le désordre peut donc provenir d’une révolte bien sur, comme d’un doute, d’une inaptitude à faire confiance au groupe.

Se démarquer par un désordre personnel et maintenir cet écart systématiquement et longtemps dans une durée exige plus que de la colère, de la tristesse, mais une ténacité qui vient d’un but dans l’avenir.

Ce but on ne le connait pas d’une origine. C’est juste la certitude qu’il y en a un qui joue le rôle de combustible.

Je remarque que ce blog est dans le même désordre que mon atelier et que ce désordre est toujours la porte d’entrée de chacun de mes tableaux.

Cependant lorsque je veux  » ranger » c’est à dire la plupart du temps éliminer le superflu, résumer, simplifier, ça ne fonctionne que sur les tableaux. Parce que j’accepte que ce soit ma façon personnelle, naturelle si je peux dire de ranger les choses à ma sauce, sans me préoccuper des autres.

D’où pas mal de sueurs froides, de maux en tous genres sitôt que je dois mettre en place des expositions.

Le doute revient à la charge, surtout quand je ne dors pas suffisamment comme ces derniers jours.

Et si je m’étais trompé ?

Et si tout cela n’était que de la merde ?

Et si j’étais tout simplement une grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf ?

C’est bien ce que je disais plus haut, sans la foi rien n’est tenable.

Et il est probablement nécessaire aussi d’en douter fortement, par période, pour remettre un peu d’ordre aussi dans une confusion incessante entre attirance et répulsion.

Car s’extraire de la gravité, trouver le point exact où s’effectue la sortie, l’évasion… l’antigravité demande de se tenir à une certaine distance de ces deux trous noirs tout en faisant partie intégrante de l’observation.

On peut résumer les choses plus simplement.

Il n’y a que la conscience, mais sans le doute, sans le désordre elle ne peut asseoir aucune certitude quant à elle-même. Tout comme l’infini s’appuie pour s’élancer plus avant sur le fini.

Et quand le dialogue entre la toile et le peintre se nourrit comme par jeu de cette réalité c’est de la poésie en couleur. Une poésie personnelle qui ne se partage peut-être pas.

Il faut aussi beaucoup de ténacité pour accepter le fait qu’elle puisse ne pas se partager, qu’elle puisse ne jamais se partager et continuer.

La certitude qu’un tableau ne pourra jamais se partager totalement, que nul n’y trouvera ce que le peintre lui-même y a déposé et n’a pas trouvé.

Concupiscence

Wiraalt 2 bis rue Maison Dieu 1928

On ne l’utilise plus, et ce serait comme si cette disparition, cette absence révélait en creux l’état de notre société actuelle. La présence de la concupiscence emballée de son absence magnifique.

Le glissement d’une société de « loisirs » à une société de « plaisirs », nous l’aurons vécu comme des somnambules.

Et les vieilles traditions sur la nécessité de sevrage enfouies elles aussi avec l’attente, la patience, en même temps qu’une bonne partie de l’artisanat, des métiers « manuels » ainsi que leur noblesse d’antan.

Tout et tout de suite c’est le slogan.

On louche, on lorgne, et tout de suite on veut plus qu’on ne désire. La pulsion n’a même plus le temps de se transformer en désir que nous avons déjà « la chose » l’objet, l’autre.

Mais qu’est ce qui nous presse autant que l’absence de frontières, de limites pour abolir les anciens garde fou, dans la fuite en avant d’en créer inconsciemment de tout neufs .

Dans la pulsion seule que peut-on vraiment construire sinon des châteaux de sable et de cartes qui s’écroulent à la première brise venue, augmentant ainsi et encore la violence, et l’impuissance au final de celle-ci.

Ainsi il existe des liens ténus entre la pulsion et le désordre comme il en existe entre l’amateurisme et le professionnalisme.

On peut sentir l’envie en soi de prendre un pinceau et de lâcher sur la toile un trop vide un trop plein, expulser le désordre en couleurs fauves mais ça ne crée pas pour autant quelque chose de plus grand que la pulsion qui l’a produit.

On s’arrête souvent là à cette étape d’avoir pondu une jolie crotte pour une maman imaginaire consciemment ou pas.

Dans ce désir obscur de plaire, d’être reconnu, d’être désiré plus qu’aimé.

Cette concupiscence logée en nous depuis toujours, nous avons beau tenter de changer son nom, la rendre plus acceptable, plus « moderne », la banaliser tout comme on banalise la guerre et le sexe désormais dans les médias, elle sera encore là longtemps.

N’est ce pas ce qu’elle implore dans le fond cette énergie brute en chacun de nous, en toi comme en moi, non pas d’être écartée à grands coups de mots d’ordre, de slogans, de jets d’eau glacée, mais au contraire d’être reconnue pour ce qu’elle est : la pulsion enfantine, naïve et cruelle qu’on ne sait pas canaliser vers quelque chose de constructif, d’utile, d’ordonné ?

La confusion en peinture et dans le reste

Photos troubles Patrick blanchon

J’ai longtemps été confus dans tous les domaines de ma vie a croire parfois que je mettais un point d’honneur à ne pas être clair, si toutefois la clarté est le contraire véritable de la confusion.

Quelque chose en moi projetait comme la sèche, la pieuvre, le calamar,un nuage d’encre afin de me dissimuler certainement en cas de danger. Pour tromper l’adversaire, à l’extérieur ou à l’intérieur de moi. Et cet adversaire maintenant que j’y réfléchis pourrait être à la fois l’évidence comme la certitude et le sommeil que provoquent toujours chez moi ces deux mots.

Car « moi je » voulais aller plus loin, je voulais être le meilleur en quelque chose sans savoir vraiment bien quoi. Il le fallait cela m’était consubstantiel pensais-je. Du moins c’était là le mot d’ordre servant d’excuse à une certaine forme d’arrogance, de mépris envers le reste de l’humanité qui n’était pas sur la même fréquence: lanterne éteintes et lanterne allumées.

Dés les bancs de l’école je m’étais aperçu que seuls deux ou trois de mes camarades revêtaient une importance pour moi , seule forme de réalité tandis que la grande partie des autres, disparaissait dans un amas de contours incertains. Ceux que je ne choisissais pas de regarder n’avaient alors pas accès à l’existence.

Il y en allait ainsi de tout, du choix que j’opérais quand au degré d’importance que j’attribuais.

j’ai ainsi donné de l’importance à certains arbres particulièrement les cerisiers et j’ai un peu aimé les hêtres, les bouleaux, et les chênes. Éventuellement le sureau qui me donnait de quoi fumer. tout le reste de l’immense forêt m’est parfaitement inconnu. Et souvent je me suis juré qu’un jour j’achèterais un manuel pour combler mes lacunes, cependant ce serment n’a jamais été tenu.

Dans cette notion d’importance donnée aux choses, aux êtres, le moteur, la motivation qui me poussait était souvent la curiosité. alors que je n’étais en fait curieux que d’une seule chose : explorer une version de moi-même encore inédite et ce peu importe que ce fusse en amitié, en amour, la traversée du miroir m’était inconnue.

Pourtant je le savais, intellectuellement, je maîtrisais cette notion d’ego, de projection, de transfert, de rejet également, et voilà ce qui sans doute m’a retardé le plus longtemps. Cette impression, cette fabrication mentale s’appuyant à la fois sur l’instinct, l’analogie et le livre mais assez peu sur le corps, sur le ressenti ni sur le cœur.

D’ailleurs très longtemps j’ai pensé être dépourvu de cet organe. Ne me le disait on pas à longueur de temps, « tu n’as pas de cœur, mets y du cœur », je n’avais pas de cœur à avoir du cœur et voilà tout.

Moi c’était plutôt la tête en premier et assez rapidement les jambes que je prenais à mon cou quand on me crachait en pleine figure les vertus cardiaques

C’est que du fin fond de ma confusion je comprenais bien toutes les mailles, la toile entière parfois que tissait ce prétendu « cœur à l’ouvrage » et qui me paraissait m’empêtrer dans plus de confusion encore à chaque tentative de m’en échapper.

Il doit en être de tous les mots ainsi je le crains. Nous les utilisons comme des ombres s’emparant d’armes tranchantes, argentées et luisantes dans la nuit de notre ignorance. Nous croyons savoir ce que veut dire aimer, nous croyons savoir ce que veut dire haïr, nous nous formons des images mentales associées à ces mots et bornées par celles ci nous traçons des voies labyrinthiques que nous appelons alors , simplicité, évidence, clarté.

En peinture je n’ai jamais cessé de savoir ces bornes et j’ai souvent compris qu’il fallait commencer par la confusion comme dans la vie. Laisser aller sa pente naturelle à désordonner le monde ou la toile ce n’est pas quand même tout à fait semblable.

Les harmonies, les lumières équilibrées d’avec les ombres que je n’ai pu trouver en peinture, j’ai pu les recouvrir et reprendre par dessus de nouvelles toiles, cependant que les défaites, les guerres, les prétendues victoires obtenues au travers les ombres et les lumières de ma vie passée je les ai laissées disparaître à jamais dans la nuit de mon oubli.

« A jamais dans la nuit de mon oubli » vous voyez on y croirait !

Bien sur que non, rien n’est oublié vraiment elles me hantent souvent la nuit et même en pleine lumière désormais.