Lorsque je dis je ne suis rien je ne suis pas encore rien.

« Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. »

Ces quelques lignes du « bureau de tabac » de Fernando Pessoa procurent l’impulsion à ce nouveau texte.

Certainement liées à quelques bribes de vidéo à moitié vues à moitié écoutés, durant ma sieste d’hier.

La plupart de ces extraits proviennent de la chaîne d’un Youtubeur qui a l’habitude de traduire en français des conférences d’Eckart Tolle cet auteur sur lequel je n’ai pas encore d’avis vraiment mais dont chaque apparition à l’écran me ravit.

Une sorte de mister Willoughby croisé avec un je ne sais quoi de Snoopy qui parle d’une voix tellement paisible de la difficulté d’être au monde.

Dans ce merveilleux état second que procure la sieste j’ai du faire confusément toute une série d’analogies.

Entre mes préoccupations du moment, qui sont essentiellement basées sur la peinture puis le sujet de ces vidéos qui avaient pour thème la réalité de l’ego, en passant par le fait que nous allions garder nos petits enfants durant une période indéterminée, mon épouse et moi, en n’oubliant pas évidemment la fin du monde probable, et, je ne pouvais bien sur pas les oublier quelques doutes habituels sur la façon plus ou moins élégante de finir la fin du mois.

Ensuite je crois que j’ai voulu charger une application fournie par une grande surface car l’idée lumineuse d’être livré m’a traversé l’esprit.

Dans cette ivresse que procure la panique générale me voici soudain transformé et me découvrant non sans un peu de honte une sorte de fierté bizarre.

j’allais contourner tous les problèmes de queue aux caisses en passant par la livraison ou le drive…

Et puis je me suis endormi.

Quelques minutes plus tard ce mélange détonant a du être filtré par la moulinette onirique car je me sentais d’attaque parfaitement.

Encore qu’une sensation bizarre continuait de façon lancinante à s’attacher au moindre de mes pas au moindre de mes mouvements.

J’étais à la fois moi-même comme d’habitude mais avec un tout petit décalage de rien du tout.

Comme si le contour était devenu un peu flou.

J’adore évidemment ce genre de sensation qui propose de douter un peu de tout, en général cela me procure juste la bonne dose d’adrénaline pour me mettre au travail et peindre.

Mais là quelque chose de différent m’invitait plutôt à réfléchir.

En allant me servir un café et tout en allumant ma cigarette je me suis dit que « je » n’était vraiment rien.

et j’ai repensé à Fernando Pessoa, et à toutes les périodes de ma vie passées dans de minuscules chambres d’hôtel à vouloir devenir un écrivain.

C’était comme un film à l’accéléré et le personnage était « moi ».

« Moi » qui poursuivait son rôle à la fois burlesque, tragique, comique, parce qu’il voulait absolument devenir quelque chose de particulier.

Et alors j’ai pensé évidemment que tout cela, toute cette vie nous poursuivons des buts plus ou moins illusoires au sein même d’un rêve.

Nous rêvons des rêves dans un grand rêve en ignorant totalement que ce que nous appelons « nous » n’existe même pas.

Nous sommes à la fois l’écran, le projectionniste et sans doute tous les films diffusés dans cette immense salle de cinéma qui n’a pas non plus d’existence propre.

Nous croyons à une idée d’importance, nous croyons que nous sommes importants, mais nous ne nous rendons à peine compte que nous dérivons d’un but important à l’autre tout à fait comme dans une dynamique de rêve.

Et le plus drôle ou le pire est lorsque nous disons soudain « je ne suis rien » en espérant dans le fond être tout.

Il est dit que notre inconscient ne comprendrait pas les formulations négatives, qu’il ne fait aucune différence entre « je veux » et « je ne veux pas. »

On dit aussi qu’il n’a pas d’humour.

J’en suis moins sur.

Cet humour qui ne cesse de revenir en permanence du plus profond de mon être ne peut pas venir que de moi. Je ne puis m’accorder d’être seul cette source intarissable.

Alors peut être que l’inconscient n’a pas d’humour mais par contre l’Univers, le Cosmos je n’en doute pas un seul instant.

Ensuite je me suis demandé « que faire » de toutes ces belles pensées qui évidemment n’avaient produit que du vent.

Je me suis retrouvé assis sur mon tabouret, le jour commençait à baisser et j’ai regardé ma toile blanche, comme si elle était ma vie.

Juste un potentiel en attente dont on s’écarte souvent par la masturbation, la crainte, les rêveries.

Et puis finalement je me suis dit « je ne suis pas encore rien » et j’ai éclaté d’un grand rire.

Pour ce texte j’ai envie de mettre ce petit tableau de 20×20 cm réalisé à l’huile.

Il n’y a pas grand chose dessus mais ce n’est pas rien quand même.

Détachement

Tentative d’évasion. Acrylique sur toile 2010 Patrick Blanchon

Parce que c’était l’époque, parce que sa vie lui semblait tellement confuse, parce qu’il se blessait sans relâche dans toutes les relations qu’il tentait de tisser, parce que il fallait absolument qu’il y ait un parce que, il décida un beau matin que cela suffisait.

Il se rendit au bureau de tabac du coin et acheta un nouveau paquet de Winfield rouges, et un nouveau carnet à spirales.

L’établissement venait d’ouvrir son rideau de fer et la carotte rouge répercutait ses reflets sanglants sur les vitrines alentour et sur la chaussée luisante. Il avait du pleuvoir toute la nuit.

Il était le premier client de la journée et lorsqu’il sortit son gros billet le marchand le regarda avec un petit air contrit en lui demandant s’il n’avait pas plus petit. Sans un mot il récupéra le billet et sortit sa carte bancaire qu’il passa rapidement sur le boitier pour faire jouer l’option « sans fil ».

Il n’y avait qu’un seul bar potable dans le bourg et il se dirigea vers lui. Il avait envie d’entendre un peu de bruit, de voir un peu de vie, et il alla s’installer au fond de la salle en saluant la patronne, une jeune femme tout droit sortie d’un tableau de Ingres avec des formes généreuses une chevelure noire et luisante et des faux cils bon marché qui la reliait tout de même un peu au présent.

 » Et le jeune homme il veut un café » lui lança t’elle avec un sourire complice. Il avait du venir une ou deux fois ici et cela semblait suffisant par ces temps de crise pour devenir un « habitué ».

C’était jour de marché il s’en souvint quand il vit arriver les gars en cotte, et les femmes chaussées de bottes fourrées. Il tendit l’oreille car il adorait écouter les dialogues au comptoir. Souvent les gens déclamaient une poésie qu’ils semblaient ignorer totalement.

Dans une langue simple souvent, avec une économie de moyens étonnante, et des silences flamboyants qui laissaient parfaitement résonner les phrases.

Peut-être pensa t’il était il temps de se remettre à écrire sur tout cela songea t’il et il caressa la tranche du carnet qu’il avait déposé devant lui, mais sans conviction véritable.

Il préféra plonger dans cet instant totalement comme dans une scène « mythique » abolissant à la fois le temps et l’espace.

Une sorte d’oasis qui soudain aurait surgit d’on ne savait où. Alors l’humanité serait née dans ce bistrot, et elle aurait été à la fois divine et triviale et ce tout en même temps puisque de toutes façons le temps serait aboli, que l’éternité serait cet instant.

Il en profita pour poser ses lèvres sur le bord de la tasse afin de mesurer la chaleur de ce café intemporel lui aussi. Il était encore chaud.

Et puis soudain il y eut un bruit un peu plus fort que les autres, un bruit différent, un bruit qui n’aurait absolument rien eu à faire ici.

Un son de trompette et sans savoir pourquoi il su que ce ne pouvait être que le son des trompettes de Jéricho qui lui revenaient.

Il se trouva d’un coup en lévitation, et dans un mouvement d’ascension lente et progressive, par palier, il atteignit bientôt le plafond.

Il n’était pas si étonné et il s’en étonna un peu.

Il voyait la scène désormais de haut avec une belle altitude. Et puis il vit son reflet sur le grand miroir. le reflet du vieux assis à la table du fond, c’était lui. Il eut un peu de mal à se reconnaître mais quelque chose de familier quand même lui rappela que c’était bien lui.

Il toucha le plafond de l’index dans cet état d’apesanteur qu’il avait vu à la télé dans l’univers des séries B peuplé de cosmonautes. Son doigt s’enfonça dans la matière comme dans du beurre.

Il décida de passer la tête et puis pour finir le corps tout entier. Il se retrouva à l’étage dans un appartement qui avait conservé le décor des années 60, l’époque de sa naissance.

Dans la cuisine une jeune femme s’affairait à éplucher des légumes et près d’elle assis à la table de la cuisine revêtu d’une nappe vichy, un petit garçon potelé s’appliquait à faire un beau dessin.

Il allait se rendre compte, il le sentit soudain que c’était lui enfant quand la panique surgit à se moment là. L’idée qu’il était mort subitement en buvant un café dans un bar anonyme comme un vieux con sembla l’électriser.

Il eut cette envie de frapper du poing quelque part sur quelque chose mais il ne rencontra rien de vraiment solide et le monde commença à se dissoudre doucement comme la buée sur le pare brise quand, une fois la nationale dépassée, il rejoignait l’autoroute au volant de son vieux Kangoo jaune qu’il e pouvait d’ailleurs plus utiliser suite à un contrôle technique refusé.