Non

C’est un tout petit mot de rien du tout en apparence, un mot que j’ai longtemps refusé d’employer pour ne blesser personne. Mais à force il a commencé à prendre un poids fou.

Cela a commencé par des problèmes d’articulations je crois bien. En me levant le matin il me fallait un palan. Et puis les difficultés se seront accumulées peu à peu comme la poussière que l’on ne combat pas courageusement, la poussière s’accumule et au final on est souvent obligé d’employer les grands moyens pour retrouver des surfaces propres à l’intérieur de chez soi.

Aussi un matin, j’ai commencé timidement à essayer de dire non. Mais comme je n’étais pas habitué je ne savais pas employer le dosage correct, et puis je suis comme ça, passionné, quand je trouve un truc nouveau j’ai toujours tendance à en abuser pour mieux parvenir à l’ennui, pour y parvenir plus vite , pour mieux m’en libérer au final je crois bien. tout ce qui me titille les neurones au final se transforme en cage et je suis le loup à l’intérieur qui veut sortir.

Un matin j’ai dit non, je n ‘irais plus travailler dans cette boite. Ça m’a énormément surpris évidemment, je ne m’y attendais pas du tout. Et puis une fois propulsé dans l’air de la chambre ce refus a commencé à revêtir sa propre existence. C’était désormais un fait irréfutable, et je ne pouvais plus revenir en arrière.

Mon épouse au début a bien tenter de me raisonner un peu mais comme elle se heurtait à l’étrangeté de ce fait, elle aussi, elle a découvert une impuissance inattendue chez elle à pouvoir utiliser la logique pour me convaincre d’y retourner.

C’était extraordinaire en y repensant la puissance de ce non qui déclenche un court circuit dans la mécanique conjugale bien huilée de ces dernières années.

Nous ne nous y attendions pas. Ce n’était absolument pas prévu. Cependant qu’on ne savait pas du tout encore si cela allait être une bonne ou une mauvaise chose.

On s’est rapidement dirigé vers les conséquences comme toujours plutôt que de s’attarder sur la raison principale.

Qu’allions nous devenir focalisait bien plus que ce qui avait pu se passer.

Suite à ce premier non, j’ai du prendre de l’assurance, et j’ai osé en dire d’autres.

Non je n’ai pas envie d’aller déjeuner avec ta mère.

Non je n’ai pas envie de regarder cette série policière que j’ai déjà vue 5 fois

Non je n’ai pas envie de sortir pour rencontrer ces amis avec qui je n’éprouve aucune affinité.

Non non non… et petit à petit quelque chose que j’ignorais totalement de moi a finit par arriver en plein jour.

Je devenais peu à peu un personnage que je n’avais jamais vraiment apprécié. Ce qu’on appelle communément un « beauf ».

Envie de rien, toujours ronchon, s’opposant par le seul plaisir de s’opposer. Dire non dans une certaine mesure déclenchait quelque chose d’extrêmement libératoire et, en contrepartie, j’observais cette chose que je devenais peu à peu, cet espèce de monstruosité marchant sur deux pattes et dont je n’avais pas d’autre définition que celle immédiate de « pauvre type ».

En même temps ou parallèlement si l’on veut j’ai commencé à faire ce que j’aimais c’est à dire peindre et ce de plus en plus dans l’espoir que peut -être vendre des toiles serait une issue logique.

Et pour ne pas être dépendant, j’ai ouvert un cours de peinture, afin de ramener un peu d’argent chaque mois. Je ne pouvais pas bénéficier d’une quelconque pension puisque j’avais démissionné sur un coup de tête comme on dit généralement.

Au début quand je dispensais mes cours ce devait être effroyable pour les élèves car mon obsession du « non » s’était propagée jusque dans la peinture.

Non cela manque de contraste, non ce ne sont pas les bonnes harmonies de couleurs, non le format que tu utilises n’est pas adapté à ton sujet et systématiquement je convainquais chacun de tout détruire et de recommencer.

Néanmoins le nombre d’élèves s’accrut d’autant que je déployais des trésors de férocité. Allez savoir ce qui peut bien se passer dans la tête des gens ?

Cela a duré ainsi quelques années et mon affaire de cours de peinture devenait de plus en plus florissante. Au final j’ai du prendre un plus grand atelier pour recevoir les gens qui arrivaient de plus en plus nombreux.

Et puis ce que je considérais comme improbable parce que je refusais plus ou moins que ce soit une certitude, est arrivé.

Mon père est décédé.

Son décés a eut de multiples conséquences sur notre vie.

Bien sur nous avons soudain pu bénéficier d’une somme conséquente et inespérée dans la situation matérielle dans laquelle nous vivions. Nous étions locataire à cette époque et le loyer était vraiment une folie et mon épouse à son tour venait de démissionner d’un job qu’elle occupait depuis plus de 25 années.

Bien que les cours rapportent assez d’argent l’amputation de nos ressources par le paiement du loyer mensuel nous préoccupait, il y avait ce risque perpétuel de ne plus parvenir à pouvoir honorer nos dettes.

alors nous avons décidé d’utiliser l’argent hérité de la vente de la maison paternelle pour acheter une maison en Isère.

Nous n’aurions jamais plus à payer de loyer, nous aurions un chez nous véritable enfin. Nous pourrions être un peu soulagé ou rassuré sur notre vieillesse à venir.

J’ai réouvert un nouveau cours de peinture dans cette nouvelle ville. J’ai continué à peindre et peu à peu j’ai commencé à exposer de plus en plus.

Peindre avait toujours été pour moi une sorte d’exutoire, et je peignais ce qui me passait par la tête, sans rechercher une cohérence, ou établir de « collections ». C’était une façon de respirer surtout.

Quand il a fallu commencer à penser à vendre je me suis interrogé sur la façon dont il fallait s’y prendre. Je me doutais bien qu’il ne suffisait pas d’aller montrer des tableaux pour trouver par miracle des clients.

J’ai par mégarde comme on reprend une cigarette après des années de sevrage, réutiliser le oui .

tu veux exposer dans un café associatif ? Oui

tu veux exposer dans le trou du cul du monde ? oui

tu veux exposer dans une mairie et boire des verres de mauvais blanc avec des gros cons qui rigolent en reluquant tes toiles ? oui

Tu veux participer à ceci ? oui

Et à cela tu as essayé qu’en dis tu ? ben oui

j’ai ainsi dit oui tellement de fois au cours de ces 24 derniers mois que ça a finit par me donner le tournis.

et puis j’ai pris des engagements à longs termes en plus pour enfoncer le clou bien proprement.

Dans un an mais oui

Dans deux ans mais pas de poblème

Et là d’un seul coup je viens de me reveiller ce matin et la première chose qui me vient à l’esprit c’est ce petit mot de 3 lettres

C’est sorti d’un coup j’ai regardé mon épouse et j’ai dit Non je n’irais pas à cette énième expo et voilà tout.

Elle n’a rien dit elle a juste osé un préviens les quand même...

Et j’ai haussé les épaules en allant dans l’atelier pour allumer une nouvelle cigarette.

L’impuissance

Photo Yaman Ibrahim.

Il y a dans l’impuissance une sorte de soulagement à laisser tomber tout effort qui ne servirait qu’à nous illusionner encore un peu. Dans une certaine mesure accepter notre impuissance serait la clef qui ouvrirait la porte non plus à la survie mais à la vie réelle et ce quoiqu’on puisse placer sur ce mot.

Ainsi il se souvenait de tous ces moments où lâchement il avait décidé de dire « oui » tout simplement parce qu’il avait eut peur de ce que le « non » pourrait provoquer. Et de quoi donc avait t’il eut peur vraiment sinon d’apparaître aux yeux du monde tel qu’il était, c’est à dire cet être dur, sans cœur, narcissique, egocentré. Un être solitaire, banal, au bout du compte.

Il avait pourtant tout fait pour accepter cette solitude. Il s’était enfermé des mois, des années pour n’avoir que le moins de contacts possibles avec le monde. Et au bout du compte la solitude lui avait ouvert les portes d’un monde intérieur étonnant qu’il eut eu parfois par faiblesse, ou pour valider qu’il ne fut pas soudain devenu complètement cinglé, envie de partager.

Il ne songeait pas à le partager avec le plus grand nombre cependant; Quelques intimes éventuellement, juste pour vérifier qu’il n’allait pas droit dans le mur.

Mais la plupart étaient restés polis. Ils lui avaient dit seulement ça te passera. Alors, il avait au moins pu mesurer à quel point même les personnes que l’on imagine proches se trouvent à des années lumières de nous.

Dans sa jeunesse cette impuissance avait provoqué bien des déboires, des colères, des rages, des ruptures.

Et puis le temps avait passé, il avait fini par s’y habitué. Il n’entretenait plus guère que des relations superficielles. La seule véritable relation qu’il jugeait intéressante d’entretenir était celle avec lui-même et cela lui donnait déjà bien du fil à retordre.

L’impuissance à se maintenir dans le superficiel trop longtemps avait par contrecoup crée une sorte de pouvoir étrange propice à l’analyse et à l’introspection.

Un pouvoir contrebalance un abandon s’était t’il dit.

Aussi s’était il hâté d’abandonner la majeure partie de ce que tout le monde considère comme vital, important, nécessaire pour s’enfoncer peu à peu en lui-même et dans la pauvreté matérielle qui l’accompagnait dans sa chute ou sa rédemption selon le point de vue adopté.

Peu à peu il avait vu arriver dans sa bouche de nombreux « je ne sais pas », accompagnés de refus catégoriques. De temps en temps il rechutait malgré tout. la vie le tentait mais il laissait tomber assez rapidement, se reprenait, esquivait, se libérait de tous les engagements pris par pure faiblesse.

Les femmes lui avaient toujours parlé de cet impuissance. Non pas qu’au lit il resta complètement inerte, non, mais une fois l’acte consommé en général et ce avec une sorte de contrôle continu qui l’horrifiait, une fois les corps se dénouant donc, il ne pouvait plus croire à la moindre idée de fusion. Il était un singleton perpétuel un electron lié à son atome personnel par la gravité que ne cessait d’imposer sa mémoire.

Il ne pouvait entrer dans le moindre événement, si insolite en apparence fut il sans s’empêcher de revenir sans cesse à ses souvenirs, à un déjà vu.

La peau à l’odeur épicée de celle ci lui rappelait par sa présence soudaine toutes les peaux contre lesquelles il s’était frotté et qui avaient une odeur fade, un parfum bon marché, ou un parfum coûteux mille fois reniflé ce qui revenait au même.

L’impuissance qui l’accablait dans le fond était cette impossibilité chronique à vivre la nouveauté sans qu’elle ne fusse relié à la digestion lente des nouveautés successives et désormais achevées, mortes qu’il avait du achever.

Il pensait de manière récurrente qu’il était une sorte d’assassin et, à bout de course, il avait lui même érigé les fondements d’un tribunal perpétuel, avec son juge son procureur ses avocats et son jury. Cependant que ce procès devenait interminable, perpétuellement ajourné. La sanction à venir lui faisait penser à une épée de Damoclès qui se confondait avec une idée de cancer.

Quand il était au plus mal il se disait qu’il devait avoir un cancer. Quelque chose qui le rongeait lentement mais surement et c’était là sa punition de n’avoir pas pu prendre le dessus sur cette impuissance, de s’être laissé envahir par celle ci.

Comme dans les vieilles histoires de « sélection naturelle » seuls les plus forts restent en bonne santé, seuls les plus forts peuvent déchirer la chair rouge de leurs dents blanches et s’en repaître et s’en réjouir.

Il n’avait plus revu de dentiste depuis des lustres, depuis qu’une grande partie de sa dentition se soit faite la malle et qu’il s’était progressivement mis à la purée.

La viande , sa vue comme son gout l’écœurait et s’il lui arrivait encore d’aller chez le boucher finalement il finissait pas détourner le regard de toute cette bidoche étalée et comme pour s’excuser faisait alors l’emplette d’un plat cuisiné, lasagne ou brocolis, et détalais la rage et la honte entremêlées au creux de l’épigastre.

Quand il se rappelait comme on le considérait « bon vivant » capable d’avaler à lui seul une cote de bœuf sans vergogne, et de boire des litres d’alcool pour accompagner ses festins dominicaux entouré de bons copains, il était pensif. Il était cependant obligé de constater que ce personnage qu’il avait crée de toutes pièces n’était pas lui.

Il se découvrait non sans une sorte de rictus d’effroi bien plus en Saint Ignace de Loyola désormais qu’en Rabelais. Sauf qu’il n’avait rien de saint, probablement comme ce jésuite roué instigateur de l’Inquisition.

L’impuissance provenait d’une forme améliorée de l’ennui qu’il croyait jadis avoir dépassé et qui revenait à la charge. C’était le résultat de toute une vie. Et pour la première fois il n’eut pas envie de lui résister.

L’impuissance et la vieillesse comme deux compagnes fidèles lui proposaient soudain un véritable havre de paix, semblable aux pages baudelairiennes qui jusque là lui étaient toujours, même s’il les avait trouvées belles, restées hermétiques.

« Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C’est l’Ennui ! — l’œil chargé d’un pleur involontaire,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! »

Charles Baudelaire « au lecteur » Les fleurs du Mal.