
Il y a cette contradiction, comme cette évidence que l’on ne veut pas voir et qui consiste à toujours vouloir se mettre en danger et de se plaindre d’un manque de sécurité. Ce qui provoque l’inertie. Et une attente du prochain coup de chien à venir pour remettre une pendule à l’heure.
Cela peut surgir de n’importe où et n’importe comment. Et c’est sans doute ce désir là précisément qu’il faut pointer du doigt.
Repousser le paiement d’une facture jusqu’à voir surgir un huissier et finalement payer bien plus cher que ce qui était dû. C’est totalement illogique et sans doute est-ce cette illogisme qui me plait comme une sorte de luxe unique que je pourrais m’offrir dans un monde où tout est cerné par cette logique justement.
C’est complètement idiot, c’est effrayant, cela peut même s’étendre jusqu’au monstrueux, au criminel, et cette peur se confond soudain avec le désir, jusqu’à l’épouser totalement.
Puis une fois la sanction essuyée comme un crachat, se remettre d’aplomb et durant un laps de temps souvent bref, prendre le taureau par les cornes, prendre des résolutions, tenter d’appliquer des règles qui ne tiennent jamais trop longtemps. Comme pour mieux se convaincre qu’elles ne tiennent pas ces règles, qu’elles ne sont que des placébos. Que le mal est au final incurable. Jouissance assurée, octroyée par ce verdict.
Le plaisir dingue de se faire mal ainsi. De transmuter le mal en bien pour faire la nique au commun, pour s’élever à la hauteur de je ne sais quelle divinité, à moins que la hauteur s’inverse à ce moment là précisément, pour devenir profondeur dans laquelle on finit par se paumer, avalé par un démon des gouffres. Explorer encore un enfer neuf …
Le plaisir de se perdre également. La joie féroce, sauvage de se lâcher, de s’abandonner au sort.
On ne peut pas savoir aujourd’hui où le chamanisme peut se loger. Certainement pas dans les lieux dont on parle désormais avec ce petit air entendu . Pas chez les amérindiens, pas en Mongolie. Le chamanisme dont je parle prend sa source à Barbes Rochechouart, ou entre la porte Saint-Denis et la fontaine des Innocents à Paris. C’est ainsi que j’ai commencé l’initiation certainement.
Et mon maître ne fut que le hasard.
Ce fut la seule façon de donner du sens au double-bind, à cette double contrainte, danger-sécurité que de marcher dans l’entre-deux. De me laisser bringuebaler entre les deux.
Des années de vertige, de répétitions jusqu’à pouvoir prendre conscience enfin du rythme. En s’égarant dans l’idée que celui-ci soit personnel puis de s’égarer encore plus loin en s’imaginant une connexion à l’ensemble du cosmos.
Et puis enfin voir l’effet du temps qui a passé, le constater dans la glace le matin. La peau des paupières qui tombent, un éclat moins vif dans le blanc de l’œil, l’effroi de la vieillesse et cette vulnérabilité soudaine.
Le renouveau des peurs comme le renouveau des astuces pour les dépasser.
Naviguer ainsi est aussi artistique que de réaliser un tableau. Et comme toujours, peu importe le résultat visible. Seul le mouvement parait réel, jusqu’à le devenir. Seule la relation entre la réalité et l’illusion est réelle. Tout le reste appartient à la catégorie du résidu.
Ou, pour me tirer une balle dans le pied, à la littérature.
Et si dans le fond je ne me trompais que de vocabulaire. Si au lieu de « danger » et « sécurité » j’utilisais les mots « attirance » et « répulsion », ou « inspiration » et « expiration »… ?
Alors tout ça finirait probablement par pénétrer dans une logique enfin universelle.
Et je serais comme tout à chacun enfin, consolé d’être réduit à une série de battements cardiaques, à une respiration du monde.
Ce serait la réduction ultime, autrement dit encore : être réduit à la merci.
Ou à la gratitude pour utiliser un mot à la mode.
Et là bien sur je ris.
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