Ils m’accompagnent depuis toujours. Parfois je les déteste et parfois je les aime, mais mon point de vue n’a pas beaucoup d’importance. Ils sont toujours là comme des amis ou des ennemis indéfectibles. Ils font partie de ce cheminement d’artiste et j’ai du mal à imaginer leur absence.
Ce sont des joueurs de tennis ou de ping pong suivant la rapidité avec laquelle ils se renvoient les émotions, les pensées qui me traversent. Parfois le rythme de ce jeu qu’ils m’imposent est éreintant, d’autres fois c’est un peu plus tranquille, je peux m’installer de plus longues périodes sur l’un ou sur l’autre et trouver un second souffle.
Le doute est tout de même plus fatiguant et plus fréquent que les certitudes mais ces dernières sont tout aussi accablantes, peut-être même plus car elles m’égarent avec une facilité déconcertante.
Le doute me fait m’interroger sur les actions dans lesquelles la certitude m’emporte.
Je me souviens que plus jeune, je trouvais ce va et vient insupportable et je me suis souvent demandé si je n’étais pas totalement cinglé, défaillant, inapte à vivre.
Surtout quand je regardais les autres tout autour qui semblaient balayer les doutes si facilement et s’accrocher à des certitudes solides. Je sentais que quelque chose clochait là dedans mais j’avais cette manie de toujours prendre les choses sur moi. Je me disais que j’étais ignorant, que je ne savais rien du monde et de la vie. Je me débattais dans une confusion totale.
Et puis avec le temps j’ai fini par comprendre que je n’avais pas le même genre de préoccupations que la plupart des gens que je rencontrais. Finalement ce qui peut tout changer dans une vie d’artiste ce sont les rencontres que l’on ose faire. J’ai peu osé.
Je me suis réfugié dans la solitude et j’ai placé ma timidité ou mon orgueil comme gardiens.
Mes parents m’avaient souvent enfermé dans la cave de la maison, c’était le lieu de l’expiation. Alors peut-être qu’inconsciemment je n’ai fait que reproduire les conditions d’une sorte d’expiation. Expiation d’être aussi naïf que je le découvrais régulièrement, ou expiation d’être aussi malin, plus que quiconque croyais je évidemment.
Le jeu de tennis ou de ping pong nécessite toujours deux joueurs au minimum qui ne cessent de se renvoyer la balle.
Mes parents se renvoyaient beaucoup la balle. Possible que j’ai interprété le monde comme il me le montraient, et que cette compréhension intuitive de leur relation soit devenue une sorte de modèle que j’ai fini par intégrer au plus profond de moi, dans les mots, dans les pensées que sont sensés évoquer les mots.
Mon père devait représenter la certitude et ma mère le doute. Leurs actions inlassablement provoquaient des étincelles, des flammes, et des cendres.
A 5 ans j’ai mis le feu au poulailler de la maison. Je m’en souviens très bien, c’était pour jouer que j’avais emprunté cette grosse boite d’allumettes. Au début je voulais juste faire un petit feu dans un coin du poulailler, je voulais bruler une poignée de paille et voir la réaction des poules que je détestais. Surtout la manière qu’elles avaient de me toiser en penchant la tête légèrement de coté pour me fixer de leur œil rond. Je ne saurais pas vraiment dire ce qui m’agaçait dans ce comportement bizarre qu’elles avaient à mon égard. Peut-être l’impression qu’elles pouvaient lire tout au fond de moi tout le mauvais qui s’y dissimulait, et leur œil rond représentait alors à la fois l’inquisition, la question et l’attente insistante d’un aveu.
Lorsque le feu a commencé à prendre toutes les poules se sont réfugiées au fond du poulailler. Certaines tentaient de grimper à un vieux bout d’échelle qui menait à l’étage où nul n’allait jamais. A la fin quand les flammes ont envahi tout le rez de chaussée, toutes les poules s’étaient réunies en haut et elles poussaient des criaillements terribles. C’est là que j’ai compris que je ne pouvais pas maitriser le feu qui commençait à s’attaquer aux parois du poulailler constitué en grande partie de bois de bardage.
Heureusement, ici dans le quartier de la Grave, tout le monde ne cesse de s’épier. Les pompiers sont vite arrivés. Mon père n’était pas là, toujours en déplacement, et ma mère devait être partie au village pour faire des commissions. Quand elle est arrivée les pompiers étaient en train d’asperger les dernières braises, toutes les poules vaquaient dans le jardin et se régalaient déjà des jeunes pousses d’oseille et de salades.
Je pris ce jour là une trempe mémorable et évidemment lorsque mon père revint en fin de semaine et qu’il apprit la catastrophe je me retrouvais à nouveau enfermé à la cave.
Il faisait très sombre dans cette cave et il fallait toujours un bon moment avant que mes yeux s’acclimatent à l’obscurité. Une faible lueur provenant d’un soupirail éclairait faiblement la pièce qui sentait le moisi, l’humidité avec un je ne sais quoi de sucré car on rangeait ici les bocaux de confiture sur quelques étagères branlantes ainsi que les pommes et les patates dans des cagettes de bois tapissées de vieux journaux.
Il y avait aussi les outils de jardinage, des pelles et des pioches, un ou deux râteaux et tout un tas de vieilleries qui avaient été remisées là car on ne savait plus vraiment quoi en faire.
C’est ce jour là peut-être que ma colère a atteint son paroxysme. J’ai longtemps cru qu’elle était adressée au monde entier mais dans le fond elle était surtout adressée à moi-même, contre cette folie qui s’emparait ainsi de moi comme d’une marionnette et me faisait faire n’importe quoi.
Tous les bocaux, les conserves comme les confitures furent en miettes rapidement.
Je ne me suis pas rendu compte tout de suite mais dans le fond il n’y avait guère que moi qui profitait de ces confitures généralement. Mon frère n’y avait pas droit et mes parents n’en prenaient jamais.
Des années plus tard en mettant en relation ce massacre des pots de confiture et cette interrogation sur l’objet de mes colères je crois que je n’ai plus vraiment à avoir de doute.
Cependant que la certitude de m’en vouloir à un tel point me fait grincer des dents encore.
Ces derniers jours je suis revenu à la mythologie grecque et notamment à l’histoire de ce héros qui m’avait tant séduit dans mon enfance. Hercule et ses douze travaux. J’avais complètement zappé ce passage de l’histoire où il devient fou et tue son épouse et ses enfants. C’est à partir du désespoir quand il se rend compte qu’il a commit l’irréparable qu’il se rend à Delphes voir la Pythie qui lui ordonnera de changer de nom et d’aller voir cet homme qu’autrefois Hercule méprisait, celui là même qui lui ordonne d’effectuer 12 travaux impossibles à réaliser pour le commun des mortels.
C’est ainsi que je peux passer du doute à la certitude en découvrant soudain au travers d’un archétype comment les dieux font ce qu’ils veulent de nous tandis que nous continuons à nous accrocher à cette illusion de libre arbitre.
Illustration Esprit Feu Huile sur toile, 2019
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.