L’aristocratie de l’enfance est toujours présente malgré toute la vilénie traversée.
Peut-être pour se vérifier en tant que telle, en tant qu’élément imputrescible de l’être, apte à résister aux intempéries de l’existence. Et sur laquelle les assauts des doutes ne peuvent pas grand chose.
Se créant même au besoin les humiliations comme autant d’obstacles que pour mieux s’éblouir de les surmonter. Se jetant dans la servitude comme dans une nuit, toujours certain d’y récupérer les étoiles.
La cruauté comme une écorce à peler pour atteindre à la blancheur de l’aubier et en même temps jouer l’étonnement de la retrouver, intacte.
Et puis à l’âge certain la certitude que le doute ne sert qu’à cette prise de conscience.
Celle d’être roi, de toutes façons, en son propre royaume.
Comprendre enfin qu’il en est de même pour tous et que la guerre, la tragédie comme toutes les bouffonneries, les grâces, ne servent que de monnaie d’échange pour offrir des frontières nettes à nos solitudes souveraines.
Le génie , la folie ne sont pas le fruit d’un lancer de dès. C’est simplement la conséquence d’un oubli plus ou moins volontaire dans l’établissement d’un tracé, un choix commis par l’autre lié au renoncement d’accepter l’identique.
Puis une urgence à vouloir renforcer un tel choix. Pour fabriquer la différence et le luxe en même temps.
Puis la nuit s’effiloche et le matin revient. Et l’on garde gravé une toute petite lueur au fin fond des prunelles
Et d’ailleurs on ouvre à nouveau les yeux pour s’aveugler encore.
“Bien sûr que si, que je suis réelle !” protesta Alice en se mettant à pleurer.
“Ce n’est pas en pleurant que vous vous rendrez plus réelle, fit remarquer Tweedledee ; et il n’y a pas là de quoi pleurer.”
“Si je n’étais pas réelle, dit Alice – en riant à demi à travers ses larmes, tant tout cela lui semblait ridicule –, je ne serais pas capable de pleurer.”
“J’espère que vous ne prenez pas ce qui coule de vos yeux pour de vraies larmes ?” demanda Tweedledum sur le ton du plus parfait mépris.
De l’autre côté du miroir, chapitre IV Lewis Carroll
—La tristesse comme la joie sont des pièges qui ne servent qu’à capturer l’attention de l’autre. Et c’est avec la plus grande froideur qu’il faut désormais considérer toutes ces fichues émotions, déclara tout à coup Charlie.
— Et le savez-vous, cher ami, dit-il en se retournant vers son cadet, savez-vous que la compassion obtenue ainsi par la ruse est un nectar, que sa robe est d’un rouge plus chatoyant que celle du sang ?
Puis, faisant encore mine de réfléchir un peu plus loin et comme pour lui-même : Tout bien peser la compassion possède aussi un bien meilleur gout que celui du sang. Quoique l’un n’aille vraisemblablement pas sans l’autre.
Le soleil descendait sur l’horizon et les champs de tournesols de chaque coté de la départementale avaient pris des tonalités couleur de rouille.
Les deux jeunes gens n’étaient pas seuls ils étaient accompagnés de leurs ombres qui cherchaient à s’abreuver en s’allongeant à leur cotés projetant leurs petites têtes dans l’ombre des fossés. La pluie avait cessé depuis quelques minutes et le clapotis de l’eau filant sa pente, seul, signalait sa présence avant de disparaitre tout en bas dans le vallon.
— Est-ce que c’est encore loin Charlie ? demanda le plus jeune à son ainé.
— Ne me dites pas que vous êtes déjà fatigué Louis, un peu de nerf ! C’est tout à fait le genre de question qu’il ne sert à rien de se poser . Puis, se reprenant. Nous arriverons avant la nuit je vous le promets, et cela devrait être suffisant pour ne plus vous inquiéter.
— Mais j’ai mal aux pieds et j’ai faim tenta à nouveau le plus jeune des deux garçons.
Mais cette fois l’ainé resta silencieux et sans même tourner le regard vers lui il accéléra le pas.
Ils étaient partis de la maison à peine une heure avant l’aube. Charlie avait noué les draps de leurs lits ensemble, puis il avait balancé cette corde de fortune par la fenêtre du 1er étage tout en prenant mille précautions en l’ouvrant pour ne pas la faire grincer et ne pas éveiller les autres habitants des lieux. Il avait soulevé son jeune frère par les aisselles pour l’aider à descendre le premier tout en le rassurant qu’il ne risquerait rien s’il voulait bien lui faire confiance.
Mais c’était une recommandation inutile. Louis était en admiration totale pour son grand frère.
Ils étaient ensuite arrivés au bout de l’allée de graviers au grand portail et c’est encore Charlie qui s’était occupé de l’ouvrir avec minutie puis qui l’avait soigneusement refermé derrière eux. L’éclairage public dans le quartier où ils vivaient était chiche, un lampadaire sur deux possédait encore son ampoule intacte.
— C’est par là dit Charlie à Louis n’ayez pas peur, vous n’avez qu’à attraper la sangle de mon sac-un petit sac tube dans lequel il avait rangé quelques victuailles chipées la veille à la cuisine pendant que les autres étaient affalés à moitié endormis devant la télévision.
Puis ils avaient gravi la pente en s’enfonçant de plus en plus dans l’obscurité. Après avoir marché un moment ils virent le soleil se lever doucement alors qu’ils parvenaient au sommet de la colline. Le spectacle était grandiose, des nappes de brumes montaient de la terre laissant distinguer entre leurs volutes d’autres collines plus lointaines et tout près d’eux quelques arbres à l’aspect fantomatiques.
Puis soudain la lumière avait jaillit pour repousser tous les doutes et les à priori. La merveilleuse campagne du pays Bourbonnais leur apparut. Cela leur avait donné du baume au cœur, ils avaient pris le temps de grignoter quelque chose que Charlie avait tiré de son sac tout en énonçant son plan d’action.
— Nous allons devoir marcher toute la journée probablement, c’est une épreuve qui demande du courage, de l’endurance Louis. Si vous ne vous sentez pas capable il est encore temps de rebrousser chemin. De plus une fois parvenus là-bas, le plus dur nous attendra encore. Je vous prie de bien vouloir réfléchir à tout cela avant de prendre définitivement votre décision.
— C’est bon Charlie, je vous suivrais en enfer s’il le faut ! avait répondu le jeune homme en essayant de mettre le plus de conviction possible dans cette réplique qui appartenait à l’un des protagonistes de l’une de ses bandes dessinées favorites. Blek le Rock. Tu as pris de l’eau , ajouta t’il en oubliant le vouvoiement.
— Vous avez pris de l’eau! Le repris son frère ainé. Et il extirpa du sac une gourde de plastique qu’il lui tendit avec une pointe de mépris.
— Le tutoiement c’est pour les faibles et les hypocrites cher ami, souvenez-vous en !
Louis regarda son frère attentivement, mais le regard qu’il trouva n’appelait pas le moindre doute, il ne plaisantait pas, il croyait vraiment à ce qu’il disait. Pour la première fois depuis qu’ils étaient partis il éprouva un léger frisson qui n’était pas du à la température.
La fin de l’été approchait et quelques instants auparavant il venait de s’éponger le front après avoir gravit la grande cote du Cluzeau à la sortie de Vallon en Sully.
Les parents des jeunes gens s’étaient levés comme à l’ordinaire. La femme avait préparé le café et en attendant qu’il coule, elle était allée allumer la télévision pour suivre une émission dans laquelle le couple de présentateurs présentait pèle mêle: une recette de cuisine, quelques conseils de jardinage, et bien sur les divers outils et ustensiles nécessaires pour réaliser toutes ces choses. Sans omettre d’indiquer le plus de facilités et de marches à suivre possibles pour les acquérir soit en magasin, par téléphone ou par correspondance.
Vers 10 h ne voyant aucun des deux enfants apparaitre la femme poussa la porte de leur chambre et resta bouche bée en apercevant les deux lits jumeaux vides et la fenêtre grande ouverte. Puis elle appela son mari.
— Claude je crois que nous avons un problème. Elle adorait cette expression sans doute parce qu’à chaque fois qu’elle la disait son mari lui répondait qu’il n’y avait jamais pas de problème mais que des solutions. Elle était assez curieuse de voir comment cette fois il allait trouver la solution.
— Mais c’est pas vrai dit l’homme, quels petits cons !
Puis il s’en retourna vers la cuisine et s’assit pour avaler son bol de café, le front barré de grosses rides qui signifiait ostensiblement l’inquiétude qui à cet instant même devait être en train de le ronger. La femme s’installa aussi et tout en beurrant les tartines ils commencèrent à échanger quelques hypothèses.
— tu y as été un peu fort avec Charly, tu n’aurais pas dû le frapper autant et avec ta ceinture en plus, ça laisse des traces. Et puis quand tu commences tu ne sais pas t’arrêter, ce n’est pas la première fois. Il a failli s’évanouir encore la dernière fois. On aurait l’air fin de devoir appeler le médecin.
— Il m’agace tellement que c’est plus fort que moi. Et quand il me tient tête ça me rend carrément dingue.
— Ce n’est qu’un gamin voyons Claude, tente de temporiser la femme. Il ne comprend pas, il ne comprend rien. tu ne peux pas lui demander autant, il n’a pas vécu ce que tu as vécu à son âge. Les temps ont changé les enfants ne sont plus les mêmes.
— Je vais prendre la voiture pour aller voir au canal s’ils n’y sont pas dit l’homme en allumant une cigarette et exhalant lentement une première bouffée.
— tu crois qu’ils sont partis pécher ?
L’homme ne répond pas il hausse les épaules.
— Il faut qu’ils choisissent spécialement le week-end pour m’emmerder dit il d’un ton fatigué. Puis il enchaina avec un « on ne va tout de même pas appeler la gendarmerie » … comme s’il se parlait à lui-même cette fois.
Le père avait refermé le portail et rejoint son véhicule garé devant la maison. Une Ami 8 flambant neuve, une voiture de service que lui prêtait la société dans laquelle il travaillait. L’odeur de cuir et de plastique neuf le rassura un peu, puis il démarra pour se rendre dans la direction du canal.
Avec un peu de chance ils seraient là se disait-il tout en n’y croyant pas beaucoup. Il avait prit le temps de regarder le hangar où était rangé le matériel de pèche et visiblement personne n’y avait pénétré depuis plusieurs jours.
Néanmoins il rejoint le pont puis tourna vers l’Allée des soupirs et gara son véhicule pour se rendre à l’endroit favori des deux enfants lorsqu’ils allaient pécher. Bien sur il ne vit personne. Et il poussa un nouveau juron.
Puis il prit encore un petit moment avant de tourner la clef de contact de l’Ami 8, il alluma une cigarette pour faire le point.
Qu’allait il pouvoir dire aux gendarmes pour expliquer cette fugue car c’était désormais une évidence il s’agissait de ça ni plus ni moins. Il s’en voulait de tout un tas de choses soudainement, ce genre de choses auxquelles on ne pense guère mais qui reviennent par la bande en certaines occasions désagréables. Comme le fait d’être colérique et impulsif par exemple. Comme le fait de ne pas savoir s’arrêter lorsqu’il commençait à frapper Charlie.
Il n’y avait personne à l’accueil lorsque l’homme fit irruption dans le poste de gendarmerie. Au loin il lui sembla entendre des voix en train de discuter dans un bureau et il s’engagea aussitôt dans le couloir qui menait vers celui-ci.
Deux hommes en uniforme étaient attablés en train de boire un café et ils furent surpris de le voir pénétrer dans la pièce.
—Je veux parler au responsable dit Claude avec un ton bourru. Il avait pris cette habitude de toujours vouloir s’adresser au responsable. Que ce soit dans un magasin, dans une société où il se rendait pour prospecter de nouveau clients pour son travail, au centre des impôts, à la banque, il ne semblait pas pouvoir supporter de s’adresser à qui que ce soit d’autre. Comme s’il désirait adresser convenablement son effort que ce soit celui de placer ses produits ou de se déverser sa colère à la bonne personne.
Et la plupart du temps ça fonctionnait plutôt assez bien. D’ailleurs pouvait il y avoir quelqu’un d’autre que la personne responsable qui pouvait réellement agir, prendre la moindre décision, dans une situation une configuration donnée ? C’était pour lui d’une logique élémentaire.
— Il n’est pas là c’est le week-end lui répondit-on tout en l’enjoignant de rejoindre l’accueil ou l’un des brigadier reprit son poste derrière le comptoir puis lui demanda quel était son problème.
— Quel est vôtre problème Monsieur. Et c’était dit avec un ton tellement méprisant eut il l’impression qu’il sentit la colère s’emparer de lui immédiatement.
— Comment ça il n’y a pas de responsable ? vous devez avoir un numéro de téléphone où le joindre oui ou non ? appelez le. Lança t’il excédé.
— Et bien c’est sa journée de congés répliqua l’autre qui visiblement faisait un effort de patience. Mais si vous voulez bien m’énoncer les faits…
— Ecoutez c’est moi qui vous paie oui ou merde ? je ne vous demande jamais rien en général mais là je ne veux m’adresser qu’à votre responsable
— Calmez vous s’il vous plait je comprends que vous ayez un problème monsieur ce n’est pas nécessaire d’être impoli pour autant et je vous garantis que je peux tout à fait m’en occuper aussi bien que le responsable, nous sommes là pour ça.
— Vous êtes vraiment une bande de branquignoles lâcha l’homme soudainement. Puis il se souvint de la raison pour laquelle il avait poussé la porte de la gendarmerie. Il allait s’en aller en claquant la porte lorsque tout à coup il s’en souvint.
Peu avant 15 heures le temps se mit à changer brutalement. Les deux enfants avaient trouvé un coin paisible au bord de l’Aumance à la hauteur d’Hérisson pour déjeuner. Ils eurent à peine le temps de se réfugier sous le pont que de grosses gouttes se mirent à tomber.
— On ne peut pas rester bloqué ici trop longtemps dit Charlie, il faut qu’on y aille, et il fit un clin d’œil à Louis en extirpant du fond de son sac deux Kway roulés en boules compactes. Toujours se renseigner sur la météo ajouta t’il en tendant le vêtement à Louis.
Et ils repartirent sous la pluie
— On a encore combien de kilomètres à faire demanda Louis
— Une bonne vingtaine encore il faut pas trainer et puis si on marche à une bonne cadence si on se concentre sur la marche vous verrez qu’on ne sentira bientôt plus la pluie. Il ne faut pas se laisser impressionner par les émotions pas plus que par les intempéries.
Vers 22 heures le véhicule de la gendarmerie se gara devant l’Amy 8. La mère était à la fenêtre derrière les rideaux, c’était presque la fin du film sur la une. Son regard alternait entre le poste de télévision et ce qui était en train de se passer dehors. Elle vit les hommes en uniforme ouvrir les portes pour faire sortir les deux enfants en même temps que John Wayne embrassait enfin Maureen O’Hara. Et elle poussa un soupir de soulagement. Puis secoua le bras de son époux assoupi sur le canapé.
—Réveille toi on les a retrouvés.
— C’est une dame de Saint-Bonnet qui nous a téléphoné en les voyant errer dans le bourg dit l’un gendarmes dont la moustache pensa t’elle ressemblait à celle d’Errol Flynn.
Il y eut des remerciements de la part des parents mais l’un des deux gendarmes ajouta qu’il y aurait une suite, que forcément une enquête serait ouverte, car ce n’était pas normal que des enfants si jeunes commencent à fuguer.
— Vous vous rendez compte 8 et 6 ans… c’est complètement absurde ajouta le gendarme qui avait l’âge du père.
Ils se regardèrent un instant en silence puis les flics saluèrent les parents et retournèrent à leur véhicule.
Les deux enfants étaient là au milieu du salon devant la télé.
— Charlie que tu fasses des conneries … mais qu’en plus tu entraines ton frère, ce n’est pas possible dit le père en dégrafant sa ceinture.
Puis il agrippa le gamin et comme d’habitude il ne connut plus aucune limite.
Mais Charlie tint bon. Il serra les dents aussi fort aussi longtemps qu’il put.
—La tristesse comme la joie, et toute la cohorte des émotions ne sont que des pièges pour capturer l’attention se répéta t’il encore une fois avant de s’évanouir encore une fois, de ne plus rien sentir du tout
Au delà de l’art et du mensonge que nous inventons sans cesse pour approcher sa présence silencieuse, c’est tout l’être qui se tient immobile dans une attente angélique. Angélique, c’est à dire avec un sourire, les mains dans les poches, dans une sorte de désabusement inouï, entre les démons et les gentils qui s’empoignent sans relâche dans leur soif immense de reconnaissance.
Au delà de l’art, c’est sans doute ici que je me sens le mieux dans le fond, à fumer avec l’ange et à faire des ronds de fumée.
Au delà de l’art, tout ce brouhaha s’évanouit lentement mais surement et alors tinte la clochette de la rosée sur la feuille de catalpa, comme augmentée par tous les dièses et les bémols effondrés.
C’est sans doute là que la paix réside, ici et là tout en même temps.
C’est cette intuition qui remonte à loin et qui de temps en temps dans une sorte de grâce parfumée me monte au nez.
Au delà de l’art il n’y a plus d’urgence, plus de temporalité, un dessin d’enfant vaut tout autant que celui des plus grands maîtres incontestés.
Au delà de l’art n’est ce pas ici et là le paradis finalement ?
Je suis peintre et mon travail est donc de peindre des tableaux pour vivre. Je suis en mesure de réaliser aussi bien des portraits, des paysages, des natures mortes, que des jolis tableaux abstraits, et même s’il le faut des tableaux décoratifs que les gens mettront dans leur chambre, dans leur salon, enfin là où ils leur plaira cela ne me regarde plus une fois la vente effectuée.
Je ne roule pas sur l’or mais j’ai suffisamment pour vivre et dans le fond je n’ai pas à me plaindre de mon sort.
Pourtant depuis quelques jours je ressens comme une sorte de résistance de la main droite à obéir aux injonctions de mes pensées et de mon regard.
Au début ce fut à peine remarquable, un léger tremblement dans la réalisation d’un trait que j’aurais voulu droit, mais désormais c’est évident : que quoique je veuille peindre cela finit en gribouillis informe.
Je suis allé consulté le médecin et après tous les examens le constat est que j’ai rien de particulier, pas de Parkinson en tous cas. Un léger début de cataracte détecté n’explique en rien cette étrange autonomie de la main et mon généraliste m’oriente alors vers un psy.
Assis sur un joli fauteuil de cuir j’ai, une fois par semaine laissé libre cours à ma voix pour énoncer des flots de paroles en éprouvant des émotions intenses puis je me suis rendu compte que j’employais des trésors de ruses qui n’étaient destinées qu’à séduire ou du moins attirer l’attention du psy sur moi. Je m’en suis ouvert à elle, une belle brune quinquagénaire qui en croisant les jambes m’a proposé de m’allonger sur son divan.
C’est là que j’ai vu ma voix changer. Ce fut une voix d’enfant, une voix de petit garçon qui revenait assez souvent. J’ai eu peur et j’ai arrêté brutalement les séances .
Cette défaite , j’ai passé des mois à la digérer. Je me suis rendu compte de ma lâcheté et aussi combien mon identité était d’une fragilité inouïe.
Pendant des mois je n’ai peint que des merdes boueuses en laissant la main de l’enfant s’emparer de la mienne c’était un premier pas.
Et puis ce matin je ne sais pourquoi j’ai éprouvé une tendresse débordante pour ce petit gamin et quelque chose s’est rompu encore plus profondément en moi.
Je me rends à l’atelier, la toile est là sur le chevalet recouverte d’un tissu blanc que je me hâte de retirer.
Le tableau est là est j’y vois ma vie entière s’y déployer avec ses ombres et ses lumières , ses lignes droites et sinueuses, ses couleurs chaudes et froides.
Quelque part tout au fond de moi un enfant silencieux me fait un petit signe de la main auquel je réponds tout aussi silencieusement.
Patrick Blanchon Peintures enfantines, photo DKret
Un jour que j’en avais par dessus la tête, que je piétinais, que je faisais des bonds, que je m’allongeais des heures sur mon lit à écouter ma respiration, un jour donc je me suis levé et je me suis dit : » bon ça va merde je reviens en enfance ! »
Alors j’ai virer toute la paperasse qui traînait sur la table ronde de la chambre, j’ai tout enfoncer d’un grand coup de talon dans un carton.
J’ai scotché, plutôt 5 fois qu’une pour être bien sûr.
Et je me suis étiré en baillant un bon coup.
C’est à ce moment là que je me suis mis à dessiner et à peindre comme un enfant
A la gouache sur de petites feuilles de papier bon marché.
Ce fut une révélation vraiment, toutes ces lignes maladroites, ces erreurs, ces pâtés quelle jouissance ! C’était juste pour moi, pour m’amuser comme un enfant.
Chaque fois que je terminais une de ces petites peintures je les déposais sur le rebord de la cheminée de ma chambre d’hôtel et je m’asseyais devant pour les regarder.
Je me souviens que j’avais pris comme idée de départ le joueur de flûte de Hamelin .. allez savoir pourquoi.. en tous cas ça a fonctionné
j’ai tenté plusieurs techniques différentes gouache, aquarelle, acrylique, toujours comme un gamin jusqu’à peindre même avec les doigts. Des dizaines de petits tableaux en quelques journées.
C’était juste à un moment où l’écriture m’avait tellement terrassé que je n’en pouvais plus de voir le monde au travers de son filtre.
Le retour à l’enfance par la peinture m’a lavé de quelque chose de mortifère , peut être d’une adolescence qui n’en finissait pas se s’achever.
Evidemment j’ai tout égaré de ces dessins et peinture dans mes multiples déménagement, on avance à condition de rester léger.
Une chose me stupéfie encore quand j’y repense : pourquoi avoir choisi ce thème du joueur de flûte de Hamelin …? Je n’en sais toujours fichtre rien et au fond peu importe.
Et vous savez quoi ? en voulant retrouver le livre je vais sur google et je ne trouve pas meme pas en vente chez Amazone.. bizarre non ?
Patrick Blanchon Peintures enfantines 1985 Photo DKret
PS: Peu après le publication de ce petit article j’ai reçu dans ma boite mail un ensemble de photographies envoyé par un ami qui, par chance avait conservé celles de cette époque. Un grand merci à D. !
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