Les femmes et l’inspiration

Je peux bien te l’avouer désormais, je n’ai rien compris au film. J’étais mal placé dans la salle, je suis arrivé à l’avance pourtant et j’ai crû que les meilleurs places étaient au premier rang. Et là j’en ai pris plein les yeux, j’ai eut un de ces mal de crâne à me cogner la tête contre les murs. J’ai failli partir plusieurs fois. Mais j’ai choisi de me lever et de me rendre au fond de la grande salle de cinéma, là il y avait moins de monde, mon voisin dormait et deux amoureux se bécotaient. Je me suis senti mieux je voyais tout l’écran et les spectateurs disséminés, leurs silhouettes se découpant dans la pénombre. Je me suis assoupi moi aussi plusieurs fois. J’ai loupé pas mal de truc. Un jour il faudra que je revienne pour boucher les trous, comprendre un peu mieux cette histoire. Ne pas rester sur cet échec.

Pourtant la vraie raison pour laquelle je n’ai pas pu suivre le film dans son entièreté c’est que mon attention s’est attaché à la silhouette de cette femme qui comme moi était au premier rang et qui m’a rejoint un peu plus tard au dernier rang.

Je me souviens encore du choc que j’ai éprouvé en devinant sa beauté alors que je l’ai vue se lever et emprunter le couloir latéral. Des formes parfaites, une élégance à tomber, et puis la lumière de l’écran qui révélait juste ce qu’il fallait pour que je puisse la fantasmer à ma guise, tout cela était terriblement excitant.

Quand elle est venue s’asseoir à coté de moi j’ai senti son parfum discret et sous ce parfum l’odeur suave de sa peau. J »étais troublé mais je ne peux pas me départir de veiller au danger qui comme tu le sais peut toujours surgir de n’importe où.

J’ai tout de suite pensé que c’était une prostituée du quartier qui venait là faisant preuve d’originalité. C’était l’hiver et il caillait dehors. Dans ces cas là, je veux dire avec le désir comme la peur on trouve toujours des raisons à l’étonnant. Des raisons raisonnables évidemment.

De temps à autre j’examinais son profil en douce. J’étais si près que je pouvais deviner les pulsations de son sang battant sur la carotide. Elle avait un joli port de tête et ses cheveux qu’elle devait avoir assez longs étaient réunis en un chignon désinvolte.

A l’époque je tentais d’écrire un roman. Je n’y arrivais pas du tout. Pourtant je bossais comme un nègre, c’est comme ça que l’on disait en ce temps là. Réveil aux aurores et hop au boulot. 2500 mots pas moins par matin. Mais je sentais qu’il me manquait quelque chose pour être honnête, rien n’allait, quand je me relisais c’était affreux, une sorte de logorrhée imbitable.

J’ai d’abord mis ça sur le dos de mon manque de connaissance en matière d’écriture. Alors je me suis ressaisi. J’ai été étudié une quantité de livres sur la manière d’écrire des romans. je prenais des notes à n’en plus finir. Des cahiers entiers. Souvent du plagiat, car je ne savais pas prendre de notes vraiment quand j’y repense.

J’avais tout misé sur le travail acharné parce que je ne voulais pas entendre parler d’inspiration. Je crois que cette histoire d’inspiration me flanquait la trouille vraiment.

Je voyais des têtes aux yeux exorbitées, des mecs ou des nanas sous absinthe, sous opium, sou lsd, bref des gens qui devaient dépenser des sommes dingues pour obtenir leur schnouf. L’inspiration m’effrayait parce qu’elle coutait un prix dingue c’était surtout cela ma croyance. Je ne pensais pas du tout qu’elle puisse être gratuite. J’étais à mille lieux du daimon de Socrate.

En fait lorsque j’y repense je n’en savais pas plus sur l’inspiration que sur les femmes réellement je veux dire. C’est à dire des « on dit » et rien de plus.

D’ailleurs toutes mes histoires sentimentales finissaient toujours comme mes romans. En bouillie merdique.

Je me faisais tellement d’idée sur l’écriture, sur les romans, sur les femmes et sur l’inspiration que ça me fait froid dans le dos quand j’y repense.

-Vous m’êtes sympathique me dit elle à la fin da la séance en me toisant les yeux dans les yeux. A croire qu’elle avait pu lire dans mes pensées.

J’hésitais, mal à l’aise à répliquer quoi que ce soit et je ne pu que sourire tristement.

Dans mon for intérieur je comprenais que c’était une racoleuse qui me prenait pour un micheton.

Au moment où elle posa sa main sur la mienne en faisant presque mine de trébuchet pour se retenir à l »accoudoir, je sursautais et était déjà prêt à m’indigner en me carapatant. Mais le contact de sa main sur la mienne me fit un tel effet que je capitulais. Une vague inouïe de chaleur humaine, je n’avais pas vécu cela depuis tellement de temps… la chair est faible tu sais bien.

je restais comme ça quelques secondes indécis totalement et toujours un sourire un peu bête sur les levres quand elle me dit :

On va boire un coup ?

Le ton familier qu’elle employa dissipa soudain mon malaise sans que je ne comprenne rien à cette magie. Elle avait une voix si juste, je veux dire que tout à ce moment là me sembla juste. Et c’est comme ça, à cause de cette note si précise, si juste qu’elle m’offrit par le timbre de sa voix que je la suivie.

Nous marchons dans les rues qui mènent au cœur de la ville, j’emploie le présent car c’est exactement ce mode qui convient lorsque le souvenir me revient.

Nous marchons lentement en parlant de tout et de rien comme deux amis qui se connaissent depuis toujours. De temps en temps nous nous regardons et nous nous sourions, pour rien.

Finalement c’est à Saint Germain des près que je l’attire dans l’un de mes cafés préférés. Nous restons encore là des heures entières jusqu’à la nuit.

Et puis tout à coup j’en viens à lui dire que j’écris des romans. Elle me regarde encore. Ses yeux verts pales pénètrent tout au fond de moi.

Alors vous croyez dans l’inspiration me demande t’elle ?

J’ai cherché dans mes poches les quelques pièces de monnaie qui me restaient et je me suis levé pour aller payer au comptoir. Je ne voulais pas avoir l’air con avec toute cette ferraille.

Puis je suis revenu vers elle. Je ne me suis pas rassis. J’ai juste dit : il est tard je dois rentrer et je ne l’ai jamais plus revue.

Mais parfois lorsque je marche dans les rues j’ai le sentiment qu’elle n’est pas loin, quelque part, tout près d’ici. Je sens encore son parfum et l’odeur de sa peau si suave, la chaleur de sa main, la tendresse de son regard. J’accélère le pas même si je ne sais pas où je vais vraiment.

Lassitude

sirenes sur poterie grecque

Je regarde le fil d’actualité et comprends soudain mes vieux élans solidaires, ceux là mêmes qui m’abandonnent au creux de l’hiver.

Je les regarde avec un peu de nostalgie, car dans un sens il insufflaient une illusion de vigueur à certaines croyances. Se fédérer contre ou pour, comme si cela allait remplacer ce vide qui ne cesse de progresser comme le froid.

J’avoue que j’ai du mal en ce moment, j’irais parfois même à trouver tout ça tellement ridicule, enfantin, puéril, débile, pléthore de qualificatifs pour cacher mon désarroi sans doute.

Ce qui est con si j’y pense c’est cette lassitude régulière qui m’évacue à distance et qui somme toute est tellement semblable à ce que tout à chacun produit : cette distance face à un événement depuis laquelle on se permet, on s’octroie, je ne sais quel droit.

Comme si cette lassitude encore tentait de retrouver une force en agrippant la comparaison, le jugement, la critique, comme béquille.

Pourquoi ne pas me dire simplement je suis fatigué sans raison, sans responsabilité, sans culpabilité non plus.

Pourquoi ne pas me dire je suis fatigué et quelle image encore d’héroïsme débile désirerais je préserver ?

Celui de mon père qui m’a apprit à serrer les dents durant ses dérouillées

si tu pleures tu en reçois le double

Celui de mon grand père prisonnier des allemands qui renâcla à la fin à revenir chez lui

celui de cet autre grand père russe qui avec 29 autres seulement survécu à la bataille des glaces dans les troupes de Kornilov

D’où me vient ce personnage de capitaine courage

Et de ces séries aussi

en fin de compte de cette putain de grèce antique

Je me suis toujours plus ou moins pris pour la réincarnation d’Ulysse

Et au bout du bout quand les sirènes repartent

je comprends bien que malgrés toutes les attaches tous les liens

l’incohérence de leur chant a fini par m’égarer

et qu’à force d’errance j’ai découvert le point névralgique, en son centre même

qui se nomme aujourd’hui « lassitude. »

Quand Dali faisait de la pub pour le chocolat Lanvin

J’étais encore gamin quand je voyais surgir le visage arborant de longues et fines moustaches soignées du peintre Dali pour me vanter la folie que lui procurait la marque de chocolat Lanvin , je n’étais pas plus agé d’ailleurs quand Fernandel Don Camillo vantait une célèbre marque de nouilles et que d’ailleurs ma mère ne manquait pas d’acheter. Et j’arrivais au bord de l’age adulte lorsque le chanteur Serge Gainsbourg, enfilant son personnage de Gainsbarre brûla devant les yeux ahuris des Français un bifton de 500 francs pour expliquer ce qu’il gagnait une fois que le fisc avait prélevé son « dû ».

Ces images je les ai conservées soigneusement dans un recoin de ma cervelle et puis plus tard quand j’ai appris par Shakespeare que l’existence n’était qu’un théâtre j’ai trouvé l’idée intéressante mais je n’étais pas encore en mesure d’effectuer des liens avec mes souvenirs télévisuels.

Pour que la connaissance parvienne à maturité le savoir ne sert à rien contre l’expérience de la réalité.

Comme je l’ai probablement dit déjà j’ai été, pendant longtemps, contre l’usage des réseaux sociaux n’en comprenant guère l’intérêt, trouvant même cela superficiel et vain jusqu’à ce que je me retrouve avec un stock imposant de toiles dans le fond de mon atelier et que je me décide à les sortir pour les montrer et pour si possible me désencombrer.

Etre peintre aujourd’hui nécessite, si toutefois on veut vivre de sa peinture, de la montrer le plus largement possible. C’est donc un peu à contre cœur que je me suis décidé à ouvrir un compte Facebook, mais comme on dit « nécessité fait foi ».

La première chose qu’on m’a demandé de remplir fut mon « profil ».

Et lorsque je réfléchis à ce terme si particulier, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi les créateurs du site ont décidé de nommer cette présentation de soi ainsi.

Ce n’est pas une image de face qu’on nous réclame mais un « profil »

Apparaître sous un profil c’est la plupart du temps vouloir qu’il soit le meilleur possible suivant les intentions qui dirigent nos actions.

J’avoue ne pas avoir tout de suite pensé à cela en remplissant sans oublier de maugréer un peu ce fameux profil.

Depuis je me suis pris sérieusement au jeu et je ne cesse de brouiller les pistes par les divers contenus que je propose quotidiennement. Il y a 3 pôles sur lesquelles je travaille : la peinture bien sur, la narration d’événements réels ou imaginaires, et quelques avis sur la politique et la philosophie.

Ce qui est intéressant finalement c’est de me rendre compte à nouveau de ma volonté farouche de rester dans l’éclectisme apparent aussi bien en peinture, dans l’écriture, et dans mes inspirations philosophiques parfois colorées de bouddhisme, de soufisme quand ce n’est pas de mécanique quantique.

Dans le fond peu importe qui est vraiment Patrick Blanchon ce qui compte c’est seulement sous quel profil il va apparaître

Dali dans ses exagérations se prenait pour Dieu, et je peux comprendre qu’a force de se tripoter le génie on puisse se déclencher mécaniquement un orgasme mystique …

Mais hélas je sais aussi désormais que l’impression de toute puissance n’est là que pour masquer une impuissance profonde ou un « je m’en foutisme fondamental ».

Peut être qu’entre la pub pour le chocolat, les nouilles et la provocation Gainsbourienne il existe quantité de personnages encore à créer afin de faire comprendre à soi et aux autres que « je » subis les règles de la fiction , comme tout le monde, celles que l’on me propose et celles que je veux bien accepter.

Identification d’un peintre

Patrick Blanchon 2018 huile sur toile

Ce besoin d’identifier les choses et les êtres , de les nommer pour apaiser les turbulences premières que ceux-ci produisent en soi ou hors de soi, cette volonté de conserver stable le point de vue ainsi élaboré, voici comment est constituée ce que nous nommons la réalité.

Ainsi cette réalité si l’on en convient, et parfois on s’en convainc à plusieurs, à moins qu’on nous l’impose, n’est qu’une fiction choisie ou subie.

A l’horizon des villes s’étend la campagne et mon esprit vaste comme ses plaines, élevé comme ses monts, sombre comme ses gouffres.

Les premiers contacts réciproques ne furent pas une sinécure. L’ennui des paysages m’est tombé dessus comme une chape de plomb dès l’adolescence. Et je revenais vers la ville alors en tremblant d’impuissance de n’avoir pu supporter notre non sens mutuel.

Puis j’ai connu ce qui restait des bordels, des ports et des tavernes, cherchant à étancher ma soif à l’illusion de toutes mes agitations. Celles ci avaient de beaux seins lourds et l’œil fardé troublé du reflet de mes désirs innommables. S’enfoncer dans le tunnel infini sans espoir de trouver la lumière, lâchant prise à cette quête soudain n’y tenant plus de cet excès nauséabond de trop d’espérances, d’inventions.

Et c’est à ce moment là que j’ai ouvert les mains et que je t’ai trouvée, blanche et muette, offerte, prête à recommencer tous les voyages, afin de me distraire de l’inquiétude de la répétition.

Peu importe que l’on ne puisse m’identifier comme peintre, les fruits que nous avons conçus sont la trace de nos ébats, rejetons de mes vices, enfants de tes vertus.