58. Notule 58

Visage, peinture à l’huile sur Papier format 46×55 Patrick Blanchon 2022

S’il faut parler de dette je ne sais plus très bien qui est le créancier ni le débiteur. Il y a ce sentiment d’être en dette depuis toujours et qui s’associe de façon confuse avec le sens du devoir. Quelle tambouille ! Mais qui entretient cette confusion à seule fin de s’aveugler pour tenter d’y voir plus clair ?

Et plus clair que quoi?

Comme si la clarté entrevue ne suffisait pas, ne suffisait jamais et que cet à peu près, cet un peu près, ce presque déjà beaucoup trop près, nous reléguait à l’appétit de la nuit

pour que l’opération se réalise encore et encore, que le blanc de l’œil se révulse à la naissance d’une étoile.

Le mouvement perpétuel qui s’établit ainsi : devoir rendre après avoir avalé.

Des milliers de couleuvres sur l’asphalte tentent de traverser la petite départementale devant les roues de mon véhicule que je ne peux ni veux stopper. Il y aura forcément des dégâts, mais le gros de la troupe atteint le talus inexorablement.

C’est à ce moment que l’on comprend qu’un événement n’est pas un singleton. Qu’une note est forcément reliée à toutes les autres, et qu’on ne peut être que le silence entre ces phénomènes.

Donc, à quel moment vraiment peut-on parler de dette vraiment ? Et comment imaginer rembourser quand on ne sait plus qui emprunte et qui donne ?

Cette liberté là existe depuis le début, elle se faufile à travers les jugements, les rejets, les exils,

vaille que vaille.

—C’est comme si tout t’est dû, me dit une voix de femme très tôt comme on rabâche une plainte

—Il faut gagner sa vie et rembourser toutes ses dettes continue t’elle encore.

— Rubis sur l’ongle tu entends, on dirait qu’elle se moque.

Et je comprends qu’elle aussi répète quelque chose d’ancien porté par Borée à travers la plaine.

64. Rose et réséda

A quoi pense t’on sous la torture ? A qui à quoi ? Certainement pas à rien. C’est impossible. Sinon la douleur vous anéantit. Sans le petit coussinet de la pensée, nous ne sommes rien. C’est ce que l’on croit.

Du coup je me suis souvenu de ce poème appris enfant. J’ai longtemps cru qu’il était de Lorca mais en fait non il est après vérification d’Aragon. Celui qui croyait au Ciel, celui qui n’y croyait pas. La rose et le réséda.

Se souvenir d’un poème sous la torture est-ce de la pensée vraiment ?

C’est plus un acte de célébration à tout bien considérer.

Donc on a le choix comme toujours, penser ou célébrer sous le joug.

Au 6 ème ongle que le bourreau aux yeux globuleux m’arrache, tout va mieux. Beaucoup mieux. Il peut continuer, je ne crie plus, ne hurle plus.

Je célèbre.

Je célèbre ce corps souffrant qui me porte jusqu’ à la célébration.

Je célèbre mon esprit tortueux qui m’apprend la pente et le sommet, le pic comme le gouffre, la sente et la garrigue.

Je peux faire tout ça puisque je suis hors de moi désormais, tranquille d’une certaine façon en plein centre de tout l’intranquille.

Je le regarde ce corps, sans en éprouver d’émotion particulière. Dans la célébration on ne pense plus trop à son nombril. Où alors on ne pense qu’à lui par des chemins si détournés qu’on ne s’en rend plus compte.

Car lui c’est Il, c’est Soi. C’est autre chose. Une altération de l’altérité. Et qui mène le 0 à sauter le premier pas vers le 1, enfin.

Recommencement incessant de ce saut comme continu le battement des cœurs.

Tambours de la douleur. voyage dans l’éperdu.

La tête tombe en avant sur la poitrine au 7ème ongle, plus rien du tout ne se passe. On peut enfin s’assoupir.

— Réveillez-le, il ne faut pas qu’il crève dit l’allemand qui visiblement veut en avoir pour son temps passé, son temps perdu.

Des gnomes surgissent du fond de la salle avec des seaux d’eau.

Asperger le corps d’eau glacée pour le réveiller. C’est mieux de dire cela à l’infinitif. L’impersonnel se pointant comme le Deus machina.

Fraicheur qui rallume la douleur.

Je reviens dans le corps illico presto.

— Lequel d’entre eux Shanti ? dans quel sarcophage ? L’homme en uniforme grimace.

Je pourrais le dire désormais. Tout m’est revenu en mémoire encore une fois. Je suis cet autre corps aussi, un corps relais crée par le corps source. Mais de lui en dépend des dizaines d’autres comme moi. Je ne peux pas livrer les autres. Je ne peux que livrer cette individualité seule à sa destinée. Celle choisie depuis longtemps déjà.

Rameaux et branches s’expliquent enfin comme le pollen et les abeilles. Quelle importance la perte d’un pour un peu si facile à penser. Mais tout est important, tout est unique, c’est de cette unicité que jaillit l’abondance, comme le 2, puis le 3 et l’innombrable qui les suit.

Et cette acceptation de la finitude par nécessité de l’infini. Autrement dit par conscience.

On peut me tuer, l’impersonnel, l’infinitif, peu importe, une fois la décision prise, une fois la foi retrouvée, et le but du silence redessiné.

—Il ne parlera pas dit une voix de femme. Tout ce que vous arriverez à faire c’est de le renforcer encore plus dans son délire voilà tout, vous n’êtes qu’un abruti Herman, il me semble vous l’avoir déjà dit.

J’entrouvre un œil, je connais cette voix. Mais je me sens tellement faible que je n’arrive plus à faire le moindre effort. En fait quelle importance ? Seul le poème surnage au dessus de tout ce merdier

Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas… la rose, le réséda, fondu au noir et puis l’oubli.


Clignancourt septembre 1989.

Il me faut de l’argent. Vite. Je ne veux surtout pas moisir ici, à Paris. Je n’aime plus la ville, elle ne m’inspire plus que tristesse et dégout. Tellement d’échecs, de désespoir, tout ce déjà vu fait remonter presque aussitôt le dégout.

Repartir dans le Nord du Portugal le plus vite possible. Aller marcher dans les collines, s’enivrer du parfum des eucalyptus, quitte à crever la faim autant que ce soit en paix. S’éteindre doucement sans acrimonie, sans regret ni remords. En écrivant.

La maison délabrée que l’on m’a confiée dans la forêt ne me coute presque rien, mais presque rien n’est pas rien. Sans électricité, sans confort, j’ai passé là des journées radieuses, assez proches finalement que celles en chambre d’hôtel. Jouir de son temps, luxe ultime. J’ai toujours tout sacrifié pour ça je crois. Les jours où je me lève du pied gauche la honte m’accable régulièrement. Comment peut-on vivre aussi égoïstement ? Je les entends tous me le répéter inlassablement.

Comme s’il fallait rembourser des dettes, la cohorte de tous les créanciers de l’existence ici bas.

Donc, il a fallu faire marche arrière, reprendre la micheline vers Porto puis le train pour Paris. Comment se présente la ville quand vous êtes accablé et démuni, quand vous l’atteignez en train.

Par la banlieue, ses façades noires et grises, ses murs lépreux et la gueule de travers des riverains.

Ca ne met pas de baume au cœur c’est sur, ça ne fait que renforcer un peu plus la hargne. Cette hargne nécessaire pour courir sus au flouze, à la thune, au pognon. Ce qui est tout à fait naturel étant donné l’absurdité d’avoir à gagner ce que l’on possède déjà, sa propre vie.

Heureusement qu’il y a ce havre de paix malgré tout dans le 15ème. La maison de Lara. Un peu comme la maison bleue de la chanson. Sauf qu’elle n’est pas bleue. C’est une masure au fond d’un jardin dans une impasse. Sans beaucoup de confort non plus. Mais ça n’a pas d’importance. La chaleur humaine y réside, c’est amplement suffisant.

Quelques jours après mon arrivée, je rencontre un ami qui me dit qu’il peut me trouver un job. Une photographe qui a besoin de quelqu’un pour tirer ses photographies. Elle ne fait que du noir et blanc et elle a des sous il me dit.

Voilà comment je me retrouve ce matin à Clignancourt devant ce portail que j’entrouvre sur une jolie allée encadrée d’ateliers d’artistes.

Je cherche le nom sur les boites aux lettres, je le trouve, j’ouvre une nouvelle porte et gravis un escalier de bois pour parvenir à l’étage. La seule porte moderne de celui-ci. Une porte neuve, blanche, immaculée.

Je toque. J’entends une voix de l’autre coté de la porte. Elle s’ouvre : la voici donc c’est elle.

L’indépendance financière

Imagine que tu n’aies plus besoin de te lever le matin pour te rendre à un boulot qui ne te convient plus. Imagine que tu crées ta propre activité et qu’elle te permette de travailler depuis chez toi tout en gagnant ta vie correctement, est ce que tu n’éprouverais pas une sensation de fierté et une meilleure estime de toi-même ?

Tu n’aurais plus à prendre ta bagnole, le train, le métro par tous les temps. Tu n’aurais plus à subir l’humeur de tes subalternes ou de tes chefs. Tu pourrais te consacrer tout entier à ta passion si celle-ci te permet de la monnayer et de payer tes factures et pourquoi pas partir en vacances de temps en temps.

Il ne s’agit peut-être pas d’être focalisé sur l’argent mais sur le terme d’indépendance.

L’indépendance c’est la liberté de faire ce que tu veux, quand tu le veux où tu le veux avec qui tu le désires.

Des tas de personnes parlent de liberté et d’indépendance. Peut-être que toi aussi tu en parles, ou tu y penses. Et à ces moments là tu te dis que vraiment vraiment ce serait chouette de travailler depuis chez toi et d’avoir vraiment une meilleure qualité de vie.

C’est avec ce genre d’accroche que les vendeurs de formations appâtent les gens. C’est un peu leur fond de commerce.

Au début j’y ai cru, ensuite je n’y ai plus cru et aujourd’hui je me dis entre les deux mon cœur balance. Pourquoi pas ?

C’est facile de dire qu’une chose ne marche pas tant qu’on n’a pas essayé vraiment, tant qu’on n’a pas trouvé la bonne méthode. Je veux dire celle que l’on se crée soi-même.

Mais alors que dans ce cas il faudrait tout mettre à plat, faire un bilan de toutes les actions à vraiment réaliser pour atteindre ce but : être indépendant financièrement et donc être libre.

En réalité être libre demande de prendre sur soi pas mal de responsabilités, des responsabilités qui ne sont pas la préoccupation d’un salarié.

Etre libre cela demande de réfléchir et de ne pas se mentir.

Ce dernier point est extrêmement important si tu ne veux pas tomber dans la déprime totale.

Parce que créer sa propre activité, c’est se retrouver confronté soudain avec un tas de difficultés que l’on n’a pas l’habitude de rencontrer dans une vie de salarié. La principale est de faire la part des choses entre le rêve et la réalité.

Je vais passer le préambule administratif si tu veux bien. Tu trouveras sur le net le détail de chaque statut et c’est assez simple d’en choisir un à ta convenance.

Mais peut-être qu’en amont même de cette première démarche, tu devrais t’asseoir quelques instants et prendre un peu de papier et un stylo. Personnellement, cela m’aide énormément à réfléchir, peut-être que tu es comme moi, alors n’hésite pas.

Qu’as tu à proposer au gens ?

Est ce que tu peux leur fournir une solution, plusieurs, pour résoudre leurs problèmes ?

As tu quelque chose d’utile vraiment à partager ?

Moi par exemple lorsque j’ai quitté l’entreprise où je bossais depuis plus d’une dizaine d’années, je me suis dit que je pouvais donner des cours de dessin et de peinture parce que ce sont des passions depuis l’enfance, plus jeune j’avais opté pour des études d’art.

C’était une façon pour moi de renouer aussi avec qui je suis vraiment. Et c’est vrai que les derniers temps en entreprise j’avais la sensation de m’être éloigné de moi-même complètement. Je me demandais presque tous les jours ce que je fichais là. Il y avait donc une certaine urgence.

Peut-être que tu n’en es pas encore arrivé là et dans ce cas tu n’es pas dans ce type d’urgence. Tu as encore le temps de réfléchir. A condition bien sur que tu en aies assez d’être employé par quelqu’un, que tu désires obtenir ton indépendance. Il y a des gens qui n’imaginent même pas quitter le salariat.

Ils disent que c’est pénible, ils disent que s’ils le pouvaient ils se tireraient ailleurs, mais s’ils restent c’est que ça leur convient malgré tout. Bien sur on peut invoquer tout un tas d’excuses. Tu sais le fameux  » ce n’est pas le moment » par exemple. La vérité c’est qu’ils ne veulent pas ou qu’ils ne peuvent pas quitter leur emploi pour faire autre chose. Ils disent « je n’ai pas le choix ».

C’est faux on a toujours le choix. Par contre ça demande un peu de jugeotte.

Il faut se demander ce que l’on veut vraiment ou ce que l’on ne veut plus du tout.

Moi je ne voulais plus m’ennuyer par exemple. Je connaissais le boulot par cœur, j’avais crée un tas d’astuce pour gagner en efficacité tout en déployant un minimum d’efforts, ce qui n’est absolument pas bien vu du tout dans une entreprise quand on y pense.

Bref, on ne peut pas dépasser certaines limites, être indépendant au sein d’une entreprise sinon on devient une sorte d’infection, toutes les alarmes se mettent à clignoter . Comme dans le sang les globules blancs entourent la partie malade tu vois. Je me souviens, c’était des globules en col blanc qui m’entouraient en me regardant avec un regard de plus en plus menaçant. D’abord amusé, puis curieux, et à la fin des fins suspect et menaçant.

Tout le monde ne peut ni ne veut être indépendant c’est une réalité. Pour beaucoup de personnes encore avoir un travail nécessite de le demander à quelqu’un d’autre.

Cependant il est possible de créer son propre emploi, à partir d’une passion ou parce que la priorité est de ne pas avoir à subir tout ce qu’il faut toujours subir dans une entreprise où d’autres vont toujours décider pour toi de ton présent comme de ton avenir.

Dans le fond ma priorité fut à un moment de ma vie de ne plus avoir à subir ce genre d’ambiance. J’allais au boulot à reculons et si je n’étais pas parti il y a gros à parier que je serais tombé malade.

Ca ne veut pas dire qu’il faut refuser totalement le salariat non plus. Peut-être ménager parfois la chèvre et le chou.

En ce moment où j’écris ce texte je suis prof dans deux MJC, je suis à nouveau salarié dans deux établissements. Oh je ne fais pas beaucoup d’heures et c’est largement suffisant pour me rappeler tout ce que je ne supporte pas dans une entreprise, ou une association. Le train train et être tenu à l’écart des décisions qui concernent mon activité. Même là je sens encore parfois la moutarde qui me monte au nez.

Il y a quelque chose que j’ai compris avec la notion de temps je crois. Quand tu travaille pour quelqu’un tu lui donnes du temps à un certain prix et c’est rarement le bon. comment estimer une heure de ton temps ? Quel prix lui attribue tu ? Quand on y pense il y a quelque chose d’énorme, de scandaleux lorsque tu découvre le tarif horaire de certains salariés.

15 euros de l’heure, 20 euros de l’heure, dans notre pays c’est une misère. Imagine que tu puisses employer ce temps pour ta propre activité, en créant par exemple un cours en ligne sur n’importe quel domaine que ce soit. Il te faudrait peut être deux heures pour la créer et ensuite une fois en ligne tu pourrais la vendre de nombreuses fois à 100 euros par exemple.

Imagine deux heures pour 100 euros à chaque fois que quelqu’un est intéressé par ta formation et l’achete. En plus ça peut durer des mois, tu peux gagner ta vie ainsi même en dormant, même en étant en vacances. Pour 2 heures de travail dans l’absolu.

Cela a l’air simple vu comme ça. Evidemment il y aura beaucoup de choses à faire encore pour que ça marche. Te créer un site internet, te créer des comptes sur les réseaux sociaux pour te faire connaitre. Trouver des astuces pour avoir de l’audience. Te créer une liste de prospects, une newsletter, etc … autant de domaines dans lesquels tu devrais mettre les mains dans le cambouis parce qu’à priori tu démarres de 0 et que tu n’as aucune compétence dans ces domaines.

Il te faudra donc te former et c’est quasiment ton premier investissement important ou tout du moins sérieux.

Lorsque j’ai commencé mon activité de prof de dessin et de peinture, à vrai dire je n’avais pas d’expertise dans le domaine. Je n’ai pas passé de diplôme spécifique pour enseigner. Il a donc fallu que je construise ma propre pédagogie sur la méthode « échecs succès ».

Et comme je voulais me faire plaisir, entrainer les élèves vers l’abstraction me semblait être la meilleure voie possible.

J’ai du réfléchir en me demandant si je n’allais pas perdre un grand nombre de personnes plutôt attirées vers la peinture figurative. Et nul doute que j’en ai perdu beaucoup. Mais les gens qui sont restés sont souvent devenus des amis. Je peux passer deux ou trois heures avec eux dans la bonne humeur et ils obtiennent des résultats qui répondent à leurs attentes je crois.

On ne peut pas plaire à tout le monde lorsqu’on crée sa propre activité, c’est exactement comme partout.

Si j’avais seulement voulu gagner de l’argent je me serais plié à cette idée d’une cours de peinture dit « normal » dans lequel on dessine des pots, des bustes, où l’on effectue des copies d’après des photographies même pas pris par soi-même. Et pas de doute au bout d’un moment je me serais retrouvé à peu de choses près dans la même configuration qui est celle d’une entreprise qui doit faire du « profit ». J’aurais peut-être même perdu le gout de peindre.

Combien ai je vu de profs aigris ? Des dizaines qui reprennent leurs cours de l’année passée invariablement sans même changer la moindre virgule à leur propos.

L’indépendance financière c’est donc une belle expression, une expression séduisante, mais il faut à mon avis prendre le temps de bien réfléchir sur ses vraies motivations et aussi imaginer son activité sur un long terme.

Bien sur on peut se tromper surtout si on est jeune et que l’on peut tout recommencer plusieurs fois. Passer d’une idée à l’autre. Mais, passé un certain âge, c’est beaucoup plus difficile d’imaginer que l’on puisse changer d’activité comme ça. On n’a plus la même énergie, on se connait bien, on connait ses limites on connait aussi les gens et ce qu’ils veulent. C’est toujours un choix à faire entre soi et l’autre, un choix de trouver les bonnes passerelles pour bien communiquer, pour partager sans pour cela avoir la sensation d’être l’éternel perdant.

Comment faire pratiquement est la bonne question aussi à se poser. Tu n’es peut-être pas obligé de traverser une crise existentielle comme je l’ai fait pour démarrer une activité. Je ne le crois pas. Il faut juste avoir l’envie de le faire, l’envie de partager quelque chose que tu aimes, que tu connais avec les gens. Et ensuite te demander ce que toi tu peux apporter d’autre que ce qui existe déjà dans ce domaine.

En ce qui me concerne et je crois que c’est du à mon activité principalement j’ai du mal à considérer un élève comme un « client ». Dans ma propre éthique ça ne fonctionne pas parce que la notion de « client » que je connais est proche d’une sorte de victime.

Quand je vendais des véhicules dans une concession automobile, je devais frapper à de nombreuses portes dans des cités pour présenter mes produits et convaincre les gens d’acheter. J’étais bon pour ça sauf que j’étais naïf, je ne me rendais pas compte au début de la puissance de la pub, et plus spécifiquement ce que représente une voiture dans chaque foyer. En même temps j’étais doué pour aiguiser l’imagination des personnes à se voir déjà au volant. A imaginer la tête de leurs proches, de leurs amis. a imaginer l’absence de problème désormais pour partir en vacances. A imaginer le risque qu’ils encouraient de le faire avec leurs véhicules anciens et qui risquaient de tomber en rade à tout bout de champs. Je leur créais de toute pièce une idée de confort presque de luxe dans laquelle, une fois qu’ils s’y installaient je n’avais plus qu’à sortir mon bon de commande.

Quand j’y repense ça me fait froid dans le dos.

Or tous les lundi le directeur commercial de la concession faisait irruption dans la pièce ou sagement toute notre équipe de vendeurs l’attendaient en disant :

 » alors les petits loups combien en avez vous planté la semaine passée ? »

La sensation d’être un escroc se renforçait en moi un peu plus chaque lundi exactement ainsi. Et bien évidemment les plantés étaient les clients.

Dans le fond je ne devais pas être si dur à cuir que ça. L’idée d’escroquer des gens qui allaient se faire suer à payer leurs traites durant des années acheva totalement de me dégouter du job dans lequel pour mon âge je gagnais confortablement ma vie.

J’ai tout lâché un beau matin et après des semaines d’angoisse à me demander comment j’allais me sentir à cet instant où je claquerais la porte de la concession ma fois j’ai été étonné de ne ressentir qu’un bon vieux soulagement.

Et puis évidemment se représenta encore une fois la question de l’indépendance, de l’autonomie, de gagner ma vie après ce formidable coup d’éclat.

J’avais 25 ans et je ne savais pas faire grand chose de mes dix doigts. A l’époque internet n’existait pas la seule expérience professionnelle que je possédais était pour résumer de savoir escroquer les gens.

C’est à ce moment là que j’ai commencé vraiment à réfléchir sur ma vie. A ce que je voulais faire et à vrai dire je n’en savais fichtre rien.

Quelques semaines plus tard j’ai trouvé un job dans un cabinet d’architectes comme archiviste et j’ai commencé à me rendre à la bibliothèque assidument. Ma priorité à l’époque était de devenir moins con que je pensais l’être. J’ai du réfléchir pour trouver une méthode facile et efficace afin de classer tous les dossiers qui jonchaient le sol des archives avant mon arrivée et puis comme j’avais pas mal de temps une fois le boulot achevé j’ai commencé à m’instruire sur ce qui m’intéressait vraiment.

J’avais retrouvé un job avec un salaire bien moins élevé que le précédent mais qui ne me demandait pas autant d’investissement, pas autant de compromission et grâce auquel en plus je pouvais lire tout mon saoul. C’était déjà un premier pas vers une certaine forme d’indépendance véritable à mes yeux et tant pis si les finances ne suivaient pas vraiment.

En lisant ainsi chaque jour je me suis constitué un bagage de savoir dans de nombreux domaines. Je n’ai jamais vraiment voulu être un expert en quoi que ce soit et c’est ma curiosité seulement qui m’orientait vers tel ou tel ouvrage.

En même temps cette diversité m’a étonné de multiples fois. Je me demandais pourquoi j’avais cet appétit de lire des ouvrages dans tant de domaines différents. Parfois je me disais qu’il y avait une cohérence qui devait m’échapper et je ne voyais qu’incohérence en ajoutant les jours de déprime que la lecture était pour moi une fuite hors du réel.

C’était sans doute vrai aussi. La vie et surtout les relations avec les gens me paraissaient tellement complexes et mon estime de moi n’était pas au beau fixe lorsque je me comparais avec mes camarades qui continuaient leur petit bonhomme de chemin, trouvaient des compagnes, avaient des enfants , la vraie vie quoi.

Et puis un jour je suis parti de ce cabinet d’architecture pour vivre d’autres aventures plus ou moins reluisantes. Je n’ai pas pu continuer à être payé pour lire des bouquins c’était dommage, mais il fallait que je m’y fasse.

Mais j’avais découvert mon intérêt pour la lecture et ma curiosité dans un tas de domaines et ma pensée peu à peu se constituait. Une pensée indépendante que je ne maitrisais évidemment pas du tout et qui me renvoyait souvent au 36 eme dessous tellement elle était décalée d’avec tout ce dont on pouvait parler autour de moi.

J’ai cru être timbré, après avoir pensé que j’étais bête. Et au bout du compte je crois que j’ai commencé à devenir rétif à tout un tas de choses qui m’ennuyaient sans que je ne m’en aperçoive auparavant. Les conversations usuelles des gens m’ennuyaient car elles me renvoyaient à l’impossibilité pour moi d’y participer gentiment, naïvement. Je comprenais au final que la plupart des conversations ne sont que des monologues et ces monologues une suite de mots d’ordre que l’on adresse aux autres et à soi-même.

Gagner son indépendance financière est un mot d’ordre de cet acabit ni plus ni moins.

Tout simplement parce que les gens gomment ou ne voient pas le mot « indépendance » mais sont obnubilés par « financière ».

Il n’y a pas que l’argent dans la vie c’est que je voulais te dire pour que tu ne fonces pas une fois de plus tête baissée dans le premier miroir aux alouettes venu.