Merci Calvino !

Pour revenir au hasard dans la peinture, qui aura été pendant ces dernières années finalement mon thème majeur, il me faut passer à nouveau par la littérature.

Revenir par exemple à André Breton et à son amour fou, à Kundéra dont le premier roman que j’ai lu était la plaisanterie, et à Italo Calvino pour apporter une touche de fun à cette perplexité continuelle que j’éprouve entre les mots « cause » et « fondement ».

Ce choix est tout à fait arbitraire dans la mesure où ces trois noms me viennent spontanément à l’esprit et qu’ils ne sont issus que de mon ignorance envers tous les autres romans qui traitent de cette même notion de hasard.

Je pourrais bien sur effectuer une recherche plus approfondie vis à vis de la modernité, mais quelque chose me dit que ça ne m’apporterait pas grand chose de plus pour servir mon propos.

Car le dilemme aussi bien en peinture qu’en littérature ne se résume qu’à cette opposition en moi entre le sujet, l’intrigue, l’histoire, le thème, le plan et la notion d’incertitude quant à suivre tout ce que l’on peut envisager de réfléchit, de prévu, de logique.

C’est d’une certaine façon l’incertitude elle même l’héroïne de toutes mes toiles comme je la retrouve dans les œuvres des écrivains que j’ai cités plus haut.

Et plus les incertitudes se multiplient, plus l’improbable croit comme une plante, un arbre, une jungle plus j’ai la sensation d’être au contact de l’essence même de ce que signifie pour moi le mot créer.

J’ai longtemps cru que ce pouvait être un symptôme alarmant d’idiotie chronique que d’effectuer des plans et de ne jamais pouvoir les suivre.

J’ai crû à la propagation de certains effets pervers dus à des traumatismes enfantins

J’ai aussi crû que j’avais un poil dans la main, que j’étais trop paresseux, fainéant, tout à fait capable de me satisfaire de l’idée seule sans avoir besoin de la réaliser car trop ennuyeux souvent.

J’ai crû évidemment tout un tas de choses puisque il faut à chaque fois trouver des raisons à la raison.

Et puis je me suis rappelé un voyage en Allemagne il y a désormais bien longtemps.

J’étais parti là bas, près de Munich pour aider un ami à construire sa maison.

Mon allemand était alors tout à fait approximatif mais malgré cela un mot m’avait interrogé de nombreuses fois qu’on employait là bas à tout bout de champs.

Der Grund.

 » Das ist der Grund für meinen Besuch. « 

« C’est pour ça que je suis venu ici. »

En regardant dans un dico je me suis posé la question : d’où venait cette bifurcation étymologique avec notre ratio, reason ragione c’est la raison pour laquelle etc ….

Les allemands emploient le terme Der Grund pour dire tout un tas de choses invoquant la cause. Mais la cause, la raison, en allemand n’est pas perçue que par l’œilleton de la raison et de la logique. Cette cause, le fameux c’est pour ça provient bien plus d’une sorte de fondement, une sorte d’état latent des choses que l’on pourrait tout aussi bien appeler le destin, le hasard, Dieu, ou l’inconscient.

c’est d’ailleurs très étonnant de voir à l’oeuvre le pragmatisme allemand qui, je le suppose n’existe que pour faire face à la racine de l’improbable, de l’incertain qui est le fondement si je puis dire de l’esprit germanique. Possible aussi que ce pragmatisme ait entraîné une croissance économique après guerre aussi puissante que la contrition pouvait le proposer à un gamin qui se repent de ses erreurs. Peut-être un mélange de tout cela finalement.. Bref Der Grund…

Dans les divers ouvrages des auteurs cités il ne saurait être question, une fois la distraction dépassée proposée par les personnages que de cette interrogation sur la causalité des événements, et des décisions que prennent les personnages eux-mêmes. Une interrogation sur la notion de choix, sur l’incertitude de tout résultat escompté en amont étant donné que l’improbable surgit toujours dans leurs récits pour tout bousculer.

Ce faisant c’est aussi dans cette bousculade que se produit l’oeuvre et qu’elle nous touche profondément.

Il en aura été de même pour mes tableaux. C’est comme si j’avais désiré plus que tout être physiquement au contact de cette incertitude, de cet improbabilité et au final que j’ai traversé d’innombrables bousculades mineures pour parvenir à percevoir au delà, la possibilité d’un cœur, le cœur de l’être.

Dans le fond la question que je me pose ce n’est pas pourquoi j’ai fait tout cela , ni ce qui m’a poussé à le faire. Ce serait bien plus Pourquoi moi ?

Dans ce pourquoi moi réside encore une énigme que j’espère avoir résolue au fur et à mesure de toutes ces pages rédigées et qui pourrait se résumer par Das ist Der Grund ou bien c’est le fondement de ce que je suis et rien de plus.

Quand je repense à tout ça il n’y avait rien de plus improbable que je sois ce que je suis, et je remercie Calvino comme prévu au début de ce texte en souvenir de son « baron perché ».

Pêcher par la peinture

Cette cruauté enfantine que nous portons naturellement en nous , avant la perception du « bien et du mal » et qu’on appelle « l’innocence » tant convoitée par les vieilles et vieux salauds nostalgiques et fachos . C’est celle ci qui m’accompagnait durant mes longues journées de pèche.


Ce n’était rien alors de retirer l’hameçon de la mâchoire d’un poisson, de couper un ver de terre en deux, ou de voler des bonbons à l’étalage de l’épicière du coin.
Un jour tout cela s’est transmuté en « péché » sous la pression d’une morale collective. J’ai mis longtemps à me sortir de cette immense confusion. Ce n’est pas tous les jours rigolos de devenir poisson après avoir été pécheur. Ça m’a largement arraché la gueule et déchiré en deux.


Et puis il y a eut la peinture, et elle m’a permis ou plutôt je me suis autorisé au début et grâce à celle ci à revenir au chaos primordial. Devenir un pécheur dans le chaos en quelque sorte


Le chaos c’est ce lieu ou tout se mélange naturellement, ou tout est mélangé par nature, c’est l’indéterminé magistral. Le chaos c’est l’égout de l’univers, notre ignorance en somme.

Alors la nécessité de sens advient soudain et au travers de celle-ci une façon personnelle de ranger, d’ordonner par importance les lignes, les masses, les couleurs, symboles de mes pensées contradictoires, de mes rêves et de mes cauchemars.


Il y a plusieurs étages dans la découverte de la conscience. Et on saute de l’un à l’autre comme un magasinier fêlé qui chercherait à vérifier tout le temps en recomptant s’il ne s’est pas trompé dans son inventaire.


Alors le hasard et l’étrange entre en jeu.

Ce que l’on appelle désormais les synchronicités, mais il faut bien faire attention de ne pas transformer cela en martingale. Vouloir être maître des choses en matière de hasard, est bien hasardeux.

Mais c’est un chemin et tous les chemins mènent par hasard, par fatigue, par maladie, et parfois aussi par chance, au lâcher prise. C’est à dire non pas à une sinécure, une villégiature pépère, mais à un effondrement total et à une mise à jour carabinée. Le grand manitou, le grand soi, te remet sur tes rails que tu le veuilles ou pas. C’est plus douloureux pour rien si tu résistes voilà tout. Sinon c’est du travail c’est aussi simple que ça.

Il y a un rapport et celui ci est forcément sexuel pendant que nous y sommes entre la peinture et la pêche. Vouloir attraper un sein, une chatte, un cul, une bite ou anus comme un nuage, ou un reflet dans l’eau tout cela purs produits de notre conscience en chemin avec sa maladresse toute boueuse, encombrée de tous les dépôts les sédiments que le petit moi dépose dans son lit.

Un fois la maman putain dézinguée et l’ogre papa zigouillé quand les deux sont bien brûlés et leurs cendres enterrées, on y voit un peu plus clair. C’est à dire cette solitude pas inébranlable car il arrive que la masturbation prenne encore le pas sur l’ouvert. Se branler dans les concepts finit par tuer le désir. Mais c’est voulu encore, c’est un désir faux il y en a encore d’autres derrière, poupées russes…

Enfin quand on n’a plus rien d’autre que soi à abattre on finit par découvrir ce qui est putrescible et ce qui ne peut jamais l’être.



Des systèmes, du hasard et des voitures rouges.

Admettons que vous ayez crée un système avec un certain nombre de règles que ceux qui participent à ce système doivent accepter et ne pas (trop) remettre en question. Vous aurez tôt ou tard une lassitude à affronter. Celle notamment des participants à ce système et la votre bien sur. Car la vie ne supporte pas la monotonie et le vide. Ce qui pourrait paraitre pour un pléonasme si l’on y réfléchit bien. Pour appuyer cette observation  il suffit de vivre à Paris, et d’avoir au dessus de la tête, dans une des nombreuses chambres de bonnes mal isolées, un apprenti musicien qui appuie toute la journée sur la même série de notes de son piano. Cela vous agacerait bien sur et vous tempêteriez ou bien vous iriez à la pharmacie la plus proche pour acheter des boules Quiess. Voici donc la réaction classique face à l’ennui : l’agacement et la surdité.

Ainsi pour faire face à cette production de tout système qui est le fruit de sa régularité mécanique, les créateurs s’intéressent-ils désormais au hasard, et tentent d’en établir des lois afin de créer parfois dans la régularité une anomalie, une insécurité, un danger dont ils se serviront pas la suite pour renforcer les principes premiers de leur construction.

« Vous avez vu pourquoi il faut des fenêtres ? Pour éviter les courants d’air et les fermer en cas de coup de vent. »

On évitera soigneusement de vous rappeler que la fenêtre permet d’aérer, ou bien d’éclairer la pièce. Votre attention sera alors dirigée comme votre raisonnement à venir sur des principes tarés qu’à force de répétition vous finirez par accepter comme authentiques et à ne pas remettre en question le bien fondé de ceux-ci.

Ainsi le système, aidé par la science  plus ou moins bien maîtrisée des hasards, finit il par  créer tout seul ses propres contrepoids pour se maintenir.

Détourner l’attention serait il désormais  un art consommé de la systémique. J’ai plusieurs fois vécu dans ma vie cette expérience amusante de vouloir acheter quelque chose mué par un désir fortuit en apparence. Je prends l’exemple de cette voiture rouge d’une certaine marque dont le besoin aussi soudain que loufoque m’est devenu soudain comme une nécessité incontournable. Jamais auparavant je n’en voyais. Avant ce désir intempestif je ne voyais qu’un flux ininterrompu de véhicules de tout acabit et mon regard ne discernait rien de particulier qui me fasse saliver.

Et soudain je ne vis plus que cette voiture rouge partout. J’en fus très étonné car cela chamboula quelque peu ma vision habituelle  du choix.  Pourquoi d’un seul coup me concentrais je plus sur cette marque, ce modèle, cette couleur ? Il fallu bien accepter l’inacceptable, je n’étais pas maître de mes choix comme je l’avais cru. Quelqu’un ou un concours de circonstances, que l’on nomme généralement le hasard, avait insufflé en moi le désir de possession de ce véhicule et j’allais ne pas m’en rendre compte et passer à l’acte quand soudain l’impression d’étrangeté m’arrêta tout nette.

Cette impression d’étrangeté désormais ne me quitte plus. Elle ressemble un peu à celle qu’on éprouve durant les rêves et qu’on aperçoit soudain un illogisme dans un univers bien huilé. En général c’est cette impression qui me conduit à l’éveil et à cette sensation bizarre qui rend floue tous les contours de tout système comme de toute réalité. C’est ainsi que j’ai découvert la notion de contrepoids savantissime, pour lutter contre les contrepoids prévus et ciblés.

Pour m’extraire alors de cette impression de malaise j’ai trouvé une parade : je fais n’importe quoi selon ce que mon intuition me dicte. Cela peut être de me rendre à la boulangerie pour acheter 4 pains au chocolat que je vais dévorer dans la foulée, ou bien prendre ma voiture pour me rendre dans coin inconnu de campagne et marcher une heure ou deux, ou bien encore écrire un texte comme celui-ci qui exorcisera peut-être cette sale impression d’être un cobaye, un pauvre rat de laboratoire.

Fermer les yeux


« Only gold does not disappear  » Huile sur toile, 2019 Patrick Blanchon

Comme tout ce qu’il regardait était vu au travers d’un prisme déformant, il le sentait très clairement désormais, il décida de fermer les yeux et de laisser l’autorité à la main pour diriger le pinceau.

Il avait couvert de gesso noir plusieurs toiles et, sur sa palette, avait déposé juste une noix de blanc qu’il avait écrasée préalablement au couteau diluée avec quelques gouttes de solvant.

Son postulat était que la main devait retrouver son chemin sans les yeux afin de restituer une réalité au delà de l’imaginaire habituel .

Il y a quelques temps de cela il avait surpris le vol effréné d’un petite chauve souris dans son atelier et avait compris combien la peur qui animait le petit être avait su perturber tout son système de navigation. La peur de rater un tableau finalement ne le rendait il pas semblable à l’animal effrayé ?

Alors il commença par un bord du tableau avec un pinceau suffisamment chargé et laissa aller celui ci en écoutant ce que lui dictait son intuition pour peser sur celui ci ou au contraire alléger la pression exercée. C’était la sensation peut-être, ce qu’elle proposait, qu’il lui fallait suivre.

Il stria ainsi la toile de lignes plus ou moins marquées ,plus ou moins continues, plus ou moins épaisses. Et enfin, jugeant que cela suffisait, il ouvrit les yeux.

Il n’ajouta pas de couleur sur la palette. Il frotta sans utiliser trop de peinture pour créer ainsi une gamme de gris qui de surfaces en surfaces, renforçait une lumière ou une ombre et obtint ainsi quelques données supplémentaires.

Lorsqu’il s’écarta à nouveau de la toile, celle ci avait changé , elle offrait désormais plus de nuances, un support plus aisé à « projeter une image » se surprit il à penser.

Lorsqu’il comprit qu’il faisait une fois de plus fausse route il tenta de retrouver dans sa propre expérience, une situation où il avait déjà rencontré ce mécanisme.

Alors il se revit un soir d’été attablé à une terrasse avec cet ami qu’il avait perdu de vue depuis.

Cela avait été une journée agréable en tous points. Et puis à un moment quelque chose avait brusquement basculé, il s’était pris pour une sorte de chaman dans le but sans doute d’aider son ami qui n’avait pas le moral, à moins que plus probablement, ce ne fusse pour faire le clown une fois de plus ayant trouvé un auditoire et désirant tester un nouveau numéro.

« Ecoute, le bruit là bas, ce volet qui vient de se refermer, écoute le papier de bonbon que ce gamin dépiaute rapidement pour vite le fourrer dans sa bouche, tu peux sentir le gout sucré de ce bonbon ? oui ? écoute le vent dans la cime des platanes, tu peux éprouver la sensation de la feuille qui s’agite caressée par celui ci, écoute la femme qui parle tout là bas et l’homme qui se tait. Et maintenant regarde la symphonie se mettre en place, tous ces gens qui se croisent, qui s’effleurent du regard, tout ces gens qui martèlent le sol en marchant, élève toi au dessus de la rue, oui c’est cela encore un peu jusqu’à ce qu’ils deviennent des petits points presque insignifiants, et maintenant observe toutes les trajectoires en même temps. Le temps vient de ralentir regarde bien nous sommes dans un organisme vivant, tu viens de prendre un microscope et tu as déposé une plaquette de verre avec une goutte d’eau, ne vois tu pas que c’est exactement la même chose ? Peut-être que s’il on arrive à s’élever vraiment au dessus de tout cela on peut toucher au sublime, comme à l’abondance. »

Et à ce moment là comme il ouvrait la paume de la main pour manifester l’ouverture et cet accueil qu’il faisait à l’abondance, un billet de 100 francs atterri dans celle ci à leur stupéfaction à tous deux.

Au début il cru à une farce du hasard, ou de quelque chose d’autre. C’est vrai qu’ils étaient tous les deux dans une situation matériel si peu reluisante depuis plusieurs mois. L’arrivée de ce billet était à la fois un présent et une offense. Alors c’était aussi simple que cela ? juste imaginer l’abondance pour pouvoir l’obtenir sans autre ?

Il décidèrent tout de même de partir le plus vite possible du café et s’écartèrent même carrément du quartier.

Pourquoi avait il des doutes ?

Alors il ferma les yeux pour écouter la nuit, les craquements du bois dans les charpentes, le trottement d’une souris sur le plancher à l’étage, la respiration régulière de la chatte dormant sur la banquette : tous les petits bruits que recèle d’ordinaire le vrai silence celui qui est à la fois doux et familier.

Il s’empara du chiffon et effaça tout ce qu’il avait fait puis se remit au travail.