Abandonner

Ce verbe ne cesse en ce moment d’être obsédant. Toute la pensée tourne autour de cet œuf, de son mutisme. Abandonner, tout quitter, déserter, lâcher prise, un mot qui se détache de l’arbre et voltige au ralenti dans l’air d’octobre. Il me semble qu’il ne reste que peu de temps toujours pour résoudre en poudre les questions qu’il fait naître. Une urgence.

Bientôt ce sera fini. Il rejoindra le sol et se mêlera à jamais à tous les autres mots vidés de leur substance. Une décomposition inéluctable emportera tous les secrets du mouvement qu’il aura déclenché depuis l’origine de la vie toute entière.

Lorsque Patrick Robbe Grillet surgit sur mon écran entre deux diapositives ou deux phrases inscrites sur l’abandon en peinture, je fixe son visage, son regard et fais abstraction du tract qu’il peut ressentir en réalisant ses vidéos. Je me demande de quoi il est en train de parler lorsqu’il me parle d’abandon.

Est ce qu’il quitte quelque chose ou est ce qu’au contraire par l’abandon il tente de rejoindre quelque chose ?

Et d’ailleurs pourquoi ces vidéos pourquoi ce besoin de vouloir expliquer sa démarche ainsi au monde entier ? ce sont les mêmes questions que je me pose évidemment et la raison même de mon silence sur ma chaine Youtube en ce moment.

Quelque chose est en suspens en ce moment dans la peinture comme dans mon existence toute entière lié à ce terme d’abandon.

Est ce que j’abandonne pour fuir ?

Est ce que j’abandonne pour me rapprocher ?

tout le problème semble résider dans la notion de distance entre présence et absence de ce qui est abandonné et celui qui abandonne.

Ce n’est pas tant l’acte d’abandonner le plus important mais tout ce qui semble le provoquer en amont et aussi le but, l’objectif qu’on s’imagine atteindre ce faisant.

Un tableau.

Quelque chose cloche sans que je ne puisse vraiment savoir quoi exactement et sans doute que ce flou est la source même de mon obsession du moment.

A mon sens on ne peut pas abandonner pour obtenir quoi que ce soit. Ce serait une sorte de martingale, une tentative de contrôler le hasard d’expérience vouée à l’échec.

Cet échec n’empêche pas l’obtention d’un tableau digne de ce nom. Et c’est même là la perversité du mécanisme. On pourrait très bien s’arrêter ainsi. Se satisfaire du résultat premier de l’abandon comme d’une finalité.

A mon sens la présence du tableau alors devient comme l’ombre d’une absence. Cette absence qui surgit directement de l’écart produit par un abandon chargé d’une telle intention.

Et, au bout du compte l’abandon ainsi utilisé risque de n’être qu’un truc, un outil rituel n’ayant pas moins d’intérêt ni plus que de s’accrocher à un thème, à une idée pour réaliser une œuvre.

Je me demande si je ne confonds pas l’abandon avec cette sorte d’audace que possèdent les timides. Admettons qu’il ne s’agisse alors que de cette confusion de sens. Nous n’oserions pas peindre dans notre entièreté. Il faudrait que nous imaginions avoir à nous débarrasser d’une part encombrante, gênante, pour obtenir l’immédiateté.

Il faudrait nous débarrasser de tout ce qui en chacun de nous fabrique le temps dans l’espoir de retrouver l’éternité.

Quelle part de mensonge contient encore cette proposition ? Quelle part de vanité et d’orgueil ? Quelle part de folie ?

Et cependant nous en avons bel et bien une intuition.

Nous avons l’intuition que quelque chose en nous freine l’acte de peindre et qu’il s’associe à la pensée et au temps crée par celle ci dans l’écoulement incessant des jugements.

Peut-être alors que c’est seulement mon coté extrémiste qui me fait tournoyer autour de certains mots ainsi comme s’il s’agissait toujours de vie et de mort. Comme si un mot était capable en épuisant toutes ses définitions possibles de mener à la vision la plus juste de la sensation qu’il dissimule.

Et qu’une fois celle ci atteinte on ne puisse justement plus en parler du tout. Qu’une telle exploration au bout du compte ne puisse mener qu’au silence.

Ce silence, le même exactement dans lequel tout s’engouffre et qui m’indique qu’une toile touche à sa fin.