« Elle va et vient. M’emporte vers les sommets et me laisse retomber comme une crêpe pliée en deux pendant des jours parfois des semaines. »
C’est exactement comme ça qu’il me présente la chose sans ciller. En mode victime majeure, plains moi vite sinon je pleure. Ce sale petit enculé de Will avec sa larme à l’œil.
A un moment, pas longtemps après qu’il ait commencé sa litanie, j’ai envie de lui filer une mandale, ou un bon coup de boule, à la limite un coup de pied au cul métaphorique mais ça fait tellement d’années qu’on se connait que j’ai laissé tombé.
En général, je m’assoie et j’écoute sans vraiment écouter. Tu connais surement ça j’imagine. Tu sers de miroir, l’autre se mire un bon coup, puis tu passes la balayette, tu mets toutes les poussières sous la carpette et tu te barres ensuite en te disant que t’es le roi des cons.
Ce mec est un grand malade c’est clair. C’est aussi mon ami pour le pire et le meilleur. Parce qu’heureusement y a aussi du bon chez Will. Sinon je m’en foutrais totalement. J’aurais tiré une croix ferme et définitive, en le massacrant copieusement juste avant.
Will est mélancolique. Ça a l’air con comme ça de le dire. On pourrait penser quand on sait pas ce que c’est que c’est juste un truc pour gonzesse, genre vapeur tu vois le machin, mais pas du tout. Au fond c’est carrément flippant, presque autant que la zonzon quand tu démarres. D’ailleurs c’est à Fleury qu’on s’est connu Will et moi, à une période où la mélancolie lui fichait une paix royale. Fallait juste pas le faire chier sinon il t’en collait deux d’affilée pour t’apprendre le respect.
Des fois j’arrive pas à croire qu’il puisse tomber si bas. Je lui dis Will c’est pas toi bordel, réagis. Il me regarde avec ses yeux humides et son regard est vide sans aucune once de cruauté ni de sauvagerie… et là ça me fait drôle parce que j’ai l’impression d’avoir à faire avec un zombie.
Jamais j’aurais osé traiter Will de sale petit enculé avant. Je savais que ça aurait été risqué. Mais maintenant je dis ça parce que je suis en colère au fond. C’est insupportable de voir un mec comme ça sombrer systématiquement de la même façon tous les trois mois environ.
-T’as essayé l’électricité je lui ai dit et il m’a regardé comme si je lui parlais chinois. Oui l’électricité, comme dans vol au dessus d’un nid de coucous.
Parait que ça marche des fois pour te remettre les idées à l’endroit … Il te flanque des électrodes sur le crâne et ils balancent la purée, tu baves un peu et hop ça repart comme en 14.
-Euh je me souviens de la gueule de Nicholson après, il dit, c’est pas vraiment une amélioration…
Et on reste encore un moment, en silence cette fois en repensant à ce putain de film. On l’avait vu ensemble, qu’est ce qu’on s’est marré ce jour là je me souviens encore. L’infirmière chef était devenu un fantasme partagé. On se l’empoignait virtuellement chacun son tour cette salope. On n’a jamais sur vraiment pourquoi elle nous faisait un tel effet parce que c’était plutôt le genre remède contre l’amour.
Ça doit être un truc rapport à la mère avait dit une fois Will, j’ai réfléchi en repensant à ma mère et j’ai pas trouvé qu’elle pouvait jouer dans ce film. Et encore moins qu’on puisse la baiser Will et moi, même si des fois tout n’était pas rose, c’était quand même ma mère.
C’est à ce moment là que Will qu’est loin d’être con m’a dit, oui je sais tu n’oses pas avec ta mère c’est pour ça que tu transfères sur un autre objet et que ça empire.
Ce jour là je suis resté comme deux ronds de flanc. Je crois que je n’ai pas pu me branler durant au moins une semaine. Rien qu’à l’idée que je transférerais ma mère sur des bimbos de papier glacé ça me la coupait.
C’est vraiment une sacrée merde cette mélancolie. Parce que j’ai l’impression que ça t’emporte vers des sommets d’ineptie ou de lucidité sur les choses basiques de la vie que tu ne peux pas t’en remettre après.
C’est pour ça que je reste pote avec Will au final, il est frappé d’une sorte de génie en même temps que par une malédiction. Dans le fond des choses peut-être aussi que je transfère un putain de truc sur lui en restant à ses cotés depuis des années. ça me permet de me dire que moi , je suis un gars normal sans trop de soucis, un truc comme ça.
Je suis l’indien qui arrache les lavabos et lui c’est le décérébré, on est un couple de potes comme un autre si on regarde les choses bien en face non ?
J’ai mis du temps, des dizaines d’années à poser un mot sur le vide extraordinaire qui me constitue.Cette mélancolie à laquelle comme deux naufragés elle et moi nous nous sommes accrochés désespérément parce que toute idée de plein, de satiété nous la trouvions menaçante, dangereuse, mortelle en quelque sorte.
La mélancolie m’a ouvert des horizons insoupçonnés par la plupart des personnes que j’ai croisées.
La mélancolie n’est pas faite pour entretenir les amitiés, la mélancolie détruit autant qu’elle renforce toujours le même reflet dans le même miroir en filtrant la vie toute entière, le monde par son filtre, ses lunettes noires de soleil.
La mélancolie de loin semble, je l’imagine pour ce que l’on m’en rapporte régulièrement, comme une île que nul ne peut atteindre comme nul ne peut atteindre le cœur de l’autre vraiment, on s’effleure à peine sur un ou deux points de contact puis on revient à la solitude essentielle.
La mélancolie est un jugement et il arrive même que ce jugement soit médical ce qui en général me fait sourire intérieurement quand ça ne me révolte pas tout bonnement.
Cette obsession du classement toujours, de la catégorie et de la boite pour échapper à l’indicible, au je ne sais quoi au presque rien seul langage du mélancolique dans le fond des choses.
La mélancolie j’ai longtemps cru qu’elle me venait par la mère, par la femme comme une impossible ouverture comme un accouchement qui n’en finit jamais, comme un sein, une hanche, une joue qui ne cesse de se dérober sous la main au fur et à mesure qu’on les caresse.
La mélancolie n’est pas une tare non plus, elle peut rendre idiot si l’on ne considère que son versant noir et luisant comme une pente savonneuse. Elle m’a emporté vers des coïts cérébraux merveilleux et sans elle que saurais je de l’humour, après avoir traversé les terres arides de l’ironie.
La mélancolie fut un chemin sur lequel j’ai voulu rester parce que c’était mon lot, mes cartes et j’ai fait avec elle ce que j’ai pu comme j’ai pu. Comme font les vieux couples qui s’aiment jusqu’au bout quoiqu’il puisse advenir plutôt que de se retrouver seul.
Ce n’est pas dans le café « A Brasileira » dans le Chiado, à Lisbonne que je le rencontrai la première fois. Peut-être était-ce dans une ruelle de Martyres ou dans le fond d’une salle enfumée de Sacramentos .. la vérité vraie est que je ne m’en souviens plus. Un ami c’est finalement comme ça, on le rencontre et il fait tellement partie de notre vie que l’on a du mal à retrouver l’origine de cette amitié dans la géographie des lieux surtout, enfin chez moi c’est souvent comme cela que ça se produit, comme si les lieux se confondaient tous . Il en va de même du temps car franchement avions nous 2O ans, 30 , 40 ? aucun souvenir non plus : Fernando me semble avoir toujours été là et moi avec lui tout du long de mon périple d’écrivaillon romantique et mélancolique.
Je garde de Lisbonne un souvenir agréable de pentes et de jasmin associé à celui du vin blanc aigrelet. Des longues promenades que nous fîmes en silence hormis l’essentiel questionnement des liqueurs et des bistrots à décider quand nous échouions dans l’ombre pour fuir la lumière trop vive, la chaleur trop accablante.
Fernando aristocrate aux coudes râpés au chapeau sombre à la moustache fine sous ses lunettes cerclées bon marché après plusieurs naufrages, occupait un emploi modeste de traduction pour différents transitaires du port. C’est en fin d’après-midi que, ses obligations achevées, nous nous retrouvions . Je vois toujours sa silhouette sombre arriver doucement à pas mesurés et le très léger sourire à peine perceptible dans son regard. Cette gravité magistrale me paraissait tellement exagérée que j’avais parfois envie d’éclater de rire en le voyant mais ..la pudeur reprenait le dessus et nous allions alors nous enivrer silencieusement en regardant la vie s’agiter fébrilement tout autour de nous.
Parfois il lui arrivait d’évoquer en quelques mots sibyllins des villes pour moi inconnues et je compris ainsi qu’il avait passé sans doute son enfance à Durban en Afrique du Sud et que c’était la raison pour laquelle il parlait un anglais impeccable.
Taciturne serait le bon mot s’il ne s’agissait d’un euphémisme le concernant. Le regard derrière les carreaux de ses lunettes semblait voilé au delà d’une ébriété quasi permanente, par une épaisse mélancolie. Cependant qu’il semblait tout à fait normal toujours discret, toujours élégant et mesuré en toutes choses.
Il écrivait évidemment autrement quel intérêt lui aurais je trouvé ? Le mystère a ses limites malgré tout. Et lorsque nous étions faits comme des rats, pleins comme des œufs il me lisait d’abord en portugais pour que j’entende la musique , puis mi en français et mi en anglais il me traduisait.
Bien que je ne parla pas bien sa langue, il était indéniable que la musicalité des consonnes sèches se mêlant à l’humidité des voyelles tout cela prononcé sans emphase aucune, d’une voix presque glacée m’impressionnait beaucoup.
Encore aujourd’hui j’entends sa voix murmurer longtemps après dans un français hésitant:
« Naviguer est précieux, vivre n’est pas précieux »
Mélancolie huile sur toile 30×40 cm Patrick Blanchon 2013
On ne sait d’où elle vient mais on est certain qu’elle
est là, elle s’empare de tout notre être et rien ne peut y faire : l’état de
siège s’annonce long et austère. Les anciens attribuaient à la bile noire sa
raison d’être, réglant ainsi le problème par une production d’humeur anormale.
Ils accompagnaient leurs observations quant au phénomène en indiquant que les
personnes frappées de mélancolie n’étaient pas épargnées non plus par le génie.
Les premiers accès remontent à loin, durant les vacances sans doute, l’été
certainement, alors que rien ne m’y préparait. Soudain elle arriva presque en
même temps que moi dans le hameau du Bourbonnais où je venais rejoindre mes grands
parents paternels. J’aurais juré percevoir sa présence et ce des les premiers
pas sur le quai de la petite gare où grand-père venait me chercher dans son
éternelle cotte de coton noire et sale. Même si j’avais voulu les surprendre et
venir sans prévenir, alors j’aurais bien sur emprunté la route menant vers leur
maison, il n’y aurait rien eut à faire, elle m’aurait devancé. Ce sentiment
inouï d’ennui mêlé de solitude et d’à quoi bon, à peine poivré d’un sentiment
mortel d’infini qui rend à la fois maussade, lucide et bon à rien.
Même la pêche que j’adorais ne pouvait m’en distraire
totalement. Bien sur le soleil perçant au travers les brumes de l’aurore sur la
terre meuble me charmait, bien sur le vent dans les arbres, leur longue
respiration de feuille, bien sur le bouchon que l’on guette et qui soudain
s’enfonce, bien sur l’éclat d’argent du poisson ferré.. bien sur que la
distraction fleurissait à proportion que ce poison terrassait mon corps, mon
cœur, ma tête.Et même mon âme semblait inquiète, menacée de désastre comme le
reste, la sournoiserie alors venait à la rescousse comme pour m’extraire du
bourbier à grande secousses d’adrénaline.
Ce fut là, à cet instant précisément que l’amour
choisit d’arriver.Un jour que le gros Paula et moi fumions de vieilles lianes
sur les marches de la petite maison abandonnée, il devait être aux alentours de
17 heures les ombres s’allongeaient et les voitures sur la route départementale
se raréfiaient de plus en plus, il y eut un petit ploc et un petit gravier
toucha mon camarade à la têtePuis un rire léger stria l’air et Babette surgit
de derrière une haie de prunelliers. C’était une petite noiraude à l’air
effronté, vêtue d’une jolie robe légère, ce devait être la première fois que
j’apercevais la présence d’une fille dans le hameau que je me targuais pourtant
bien connaitre.Paula devint rouge comme une pivoine et je compris qu’il était
amoureux rapidement, au fur et à mesure ou la Babette avançait vers nous. Il
bégaya des paroles de bienvenue exagérée avec son fort accent de la campagne,
celui là même que je m’étais bien acharné à perdre lorsque nous avions dû
déménager et aller vivre en région parisienne.Paula c’était un peu moi si
j’étais resté là bas, si je n’avais jamais connu la ville, la rouerie des
gamins des cités, la méchanceté crasse des filles, si j’étais resté simple et
innocent à gober les mouches et à croire aux bondieuseries.Paula lui était
encore intact, une terre vierge prête à être piétinée. Babette arrivant je
comprenais confusément qu’elle n’allait pas se gêner.
La première rencontre nous emporta à la frontière de
la nuit, nous bavardâmes tous les trois, je restais le plus silencieux
cependant me sentant étranger plus que jamais dans ce pays qui avait été mien
et dont l’éloignement m’avait banni à tout jamais. Chaque été je revenais
espérant retrouver quelque chose que je pensais avoir perdu , et des le début
j’éprouvais l’ inéluctable, la présence d’une absence que je ne retrouverai
jamais plus.Ce soir là je retournais chez mes grands parents encore plus triste
que jamais. tout paraissait encore plus présent que jamais: le tic tac de la
vieille horloge, l’odeur d’encaustique, celle de sueur et de tabac mêlé de
grand-père, comme si l’instant dilatait ses parois pour que mon mal être et
moi-même puissions y tenir plus à l’aise.
Mes grand parents regardaient la météo, guettant l’accident éventuel de la pluie, l’espérant sans doute , il avait vraiment fait très chaud cette année là.Je grignotais un reste d’omelette que grand-mère m’avait laissé, à même la poêle et j’allais me coucher avant que grand-père ne me rejoigne. Il m’eut été impossible de m’endormir avec l’odeur de cigarette se consumant dans le cendrier Cinzano qui trônait sur la table de chevet.Le lendemain était si semblable à la veille, à peine les quelques minutes d’espoir accompagné de tartines beurrées et trempées dans le grand bol de café au lait se terminaient-elles que je retrouvais cet instant incommensurable et le »ne pas savoir quoi faire ».Grand mère s’inquiétait souvent me voyant ainsi .Elle me parlait d’ennui tentant de s’infiltrer mais je déclinais vite son invitation à discuter en allant prendre ma douche, m’habiller et je m’évadais une bonne partie de la matinée par les chemins qui m’éloignaient de la ferme, du hameau, et me conduisaient vers plus de plus profondes solitudes encore.Aussi ces moments de camaraderie avec Paula le fils du facteur et plus tard avec le fils du couvreur m’étaient ils chers et j’aimais les retrouver en fin d’après midi sur les marches de la petite maison prés de la mare.
Dans mon for intérieur je les imaginais frappés du
même mal que moi d’une façon plus trouble, plus confuse, et leurs taquineries,
leurs jeux de brutes n’étaient que pales tentatives pour masquer notre plaie
commune cet ennui de l’adolescence.
Enfin la pluie surgit et nous nous réfugiâmes tous dans la grange en face ce
jour là. J’avais apporté ma guitare et nous chantions assis dans le foin. La
Babette m’adressait des œillades appuyées que je prenais grand soin de ne pas
soutenir eut égard envers Paula.
C’est à cet instant, agrandit, éternisé, que Nadine la sœur aînée de Babette
apparut toute de blanc vêtue avec ses cheveux blonds et longs et ses yeux de
biche moqueurs. Le Coup de foudre fut immédiat pour cette grande de 5 ans mon aînée.L’amour
m’extirpa de ma mélancolie, de mon ennui et probablement si tant est que j’en
eut jamais de mon génie, je devins parfaitement idiot et passais le reste de
ces vacances dans un état d’apesanteur et de grâce jamais vu. Les deux sœurs
habitaient en face de la petite maison de la mare et, le soir j’avais pris
l’habitude d’attendre Nadine elle aussi en plus de mes trois camarades. Lorsque
je la voyais arriver de l’autre coté de la barrière, l’attente alors si
douloureuse laissait place à une sensation d’apaisement merveilleux. Je la
dévorais du regard qu’elle soutenait de façon timide et effrontée tout en même
temps.Pour être un peu plus seuls, nous avions convenu Nadine et moi de nous
retrouver au même endroit après l’heure du dîner sans Babette Paula et Pierre.
Alors mes grand parents riaient ils de bon coeur de me
voir quitter la table et de repartir dans le soir, ils me comprenaient heureux
et ça les rendait heureux je crois.Jamais je n’ai été capable après cela
d’attendre aussi longtemps une fille. Parfois elle surgissait en pleine nuit et
je la devinais à la clarté de la lune, parfois je croyais l’entendre arriver,
je croyais respirer l’odeur de camomille de ses cheveux, sa peau parfumée de
savon de lait d’amande, mais il n’y avait que l’obscurité et je devais encore
patienter avant d’entendre enfin le petit portail de bois grincer sur ses vieux
gonds.Elle me faisait attendre, elle se faisait attendre, je n’y avais jamais
pris garde mais c’est bien elle qui avait le dessus.
Enfin réunis, nous évoquions un vague but de promenade
et nous nous élancions dans la nuit sombre seulement guidés par la clarté du
sable des chemins. Sa hanche frôlant ma main , ma main frôlant ses fesses mais
jamais de contact évident, juste une avancée de retenue en retenue en bavardant
de tout de rien. A la vérité je ne savais rien du tout de ce que les filles
pouvaient vouloir d’un garçon et à fortiori une fille plus âgée. Peut-être
confusément attendais je qu’elle fisse le premier pas et en même temps cette
idée me terrorisait comme elle me désolait.
Que de chemins avons nous ainsi empruntés pour
explorer la nuit de nos désirs barricadés de pudeur et de crainte que tout ne
s’effondre, d’un accord tacite cet état de fait continua jusqu’à la fin des
vacances.
Le dernier jour nous échangeâmes nos adresses, je lui
donnais celle de la pension ou j’étais déjà depuis une année. Et puis nous nous
séparâmes en nous faisant la bise …
Je ne pensais pas qu’elle m’écrirait jamais. Après
tout bien que de 5 ans mon aînée Nadine était une fille de la campagne, avait
des buts arrêtés dans la vie, elle voulait devenir infirmière et préparait sa
rentrée à l’école de Montluçon. Franchement me disais-je elle va vite m’oublier.
La rentrée fut maussade autant qu’elle pouvait l’être. Je retrouvais toutes les
tètes connues et quelques nouvelles qui venaient agrandir la cohorte de mes
camarades de classe. Les premières semaines passèrent et la rectitude des
horaires et des rituels , ou les habitudes retrouvées, m’éloignèrent peu à peu
de ces fabuleux souvenirs de l’été.
Nous étions les pieds dans la Viosne, un camarade et
moi en train d’attraper un orvet quand le garçon préposé au courrier me héla de
loin en brandissant une enveloppe. Comme nul ne m’écrivait jamais il supposait
que cela valait le coup d’appuyer un peu plus l’événement et il alla jusqu’à
nous rejoindre en courant pour me donner la lettre.Je ne connaissais pas
l’écriture sur l’enveloppe et soudain je pensais à elle , à Nadine en
découvrant le tampon de la poste de Vallon en Sully.Je la mettais dans ma poche
pour ne pas la lire devant mes camarades et repartait à la recherche des
serpents et des épinoches, seules occupations à peu prés intéressantes durant
les interclasses.
Ce fut le soir venu, après le dîner et la chapelle, lorsque je me retrouvais dans la chambre à l’abri des regards de mes camarades partis à la douche que je décachetais la lettre et découvrais pour la première fois l’écriture fine et resserrée de Nadine. La première lecture fut brouillée par la recherche de mots précis que je n’y découvrais pas. A la seconde je comprenais qu’il devait sans doute y avoir la même pudeur se cachant derrière la banalité des mots que je lisais et relisais.. un vrai bégaiement de lecture . Il n’y avait là que des nouvelles de sa vie, toutes simples et rien d’affectif ne semblait percer sinon un je t’embrasse en bas de page.Mais ce n’était pas grave, j’avais une lettre de Nadine et la pension toute entière se transforma en un établissement de luxe estival dans les profondeurs de l’automne cette année là .
Je crois que je répondis une première fois à Nadine en
tentant de placer un peu plus de chaleur qu’elle dans mes mots sans pour autant
parler de sentiment. Finalement l’ambiguïté me paraissait être le garde fou
nécessaire à cet échange épistolaire. Je lui racontais mes journées, mes
déboires, mes réussites, mes rêves d’adolescent , avec de temps à autre une
référence discrète au souvenir de nos promenades. Et à la fin j’avais écrit une
lettre par jour à Nadine, il était temps de revenir chez mes grand parents pour
un nouvel été..
Mon cœur battait la chamade j’avais la tête en feu alors que je gravissais la cote après les 8 km à pied que j’avais déjà effectués ma valise à la main. Je n’avais prévenu personne du jour de mon arrivée. Je voulais tout savourer dans le menu, que nul ne vienne déranger ma joie, mon bonheur.C’est en fin d’après midi que j’arrivais au hameau, les coucous se répondaient dans le lointain et un parfum d’herbe coupée flottait dans l’air.La maison des deux sœurs était sur mon chemin j’en profitais pour faire un saut , peut être apercevrais je Nadine enfin? Effectivement elle était là, je mis un moment à comprendre ce que je regardais, un gros gaillard vêtu de cuir chevauchant une moto dans la cour était en train de l’embrasser . Elle était pendue à son cou.. et soudain elle me vit, se détacha à peine et me fit un petit signe de loin. Un sourire arriva je ne sais comment sur mes lèvres et sans un mot je tournais les talons pour rejoindre la ferme de mes grand parents.
J’ai gardé longtemps toutes les lettres que m’avait
envoyées Nadine, je me souviens aussi avoir regretté de n’avoir pas conservé de
doubles de celles que je lui avais adressées.
C’est bien plus tard prés de la trentaine, que j’ai décidé de les brûler. Un nouvel amour arrivait comme une page vierge il fallait faire du vide.
Il y a ainsi des histoires, des récits plus ou moins inscrits à mi chemin de la réalité et du rêve comme désormais des tableaux rangés au fond de mon atelier qui n’attendent que le bon moment, le juste regard peut-être aussi pour atteindre à l’importance qu’ils méritent. Qui décide de la valeur de cette importance..? Moi bien sur car j’ai bien peur qu’il n’y aurait personne au final si de temps à autre je ne partageais pas ces objets enfouis comme des secrets.
Un bon ami à moi à coutume de dire : » Qu’est ce qu’un homme ? et il rajoute c’est tout ce qu’il ne montre pas, tout ce qu’il cache. » J’ai longtemps caché, dissimulé jugeant tout cela autant impudique qu’insignifiant, banal, mais mon chemin m’amène à rencontrer des gens qui, dans la confusion qui hier était mienne, peuvent entendre parfois comme un écho de leur préoccupations, de leurs entraves en accompagnant les miennes dans leur lecture. Et juste pour ça, pour établir des ponts entre les êtres le partage et le don sont importants.