Tu sais, mon père disait : ta tête est comme ta chambre, c’est le même bordel exactement. A l’époque, j’étais gamin je ne comprenais pas vraiment. Comment ma tête pouvait être décorée avec un papier peint à fleurs aussi merdique ? Comment ma tête pouvait avoir une fenêtre qui s’ouvrait sur des champs à perte de vue et des collines ennuyeuses à force de les regarder ? Comment ma tête pouvait-elle être aussi triste que ça ? C’était une drôle de blague. Et même si je rangeais les vêtements posés sur la chaise sur des étagères dans un placard, même si je faisais une jolie pile de mes cahiers et de mes livres dispersés au quatre coins de la chambre et que je les alignais eux aussi convenablement sur le bureau, ça ne changerait pas l’aspect général de cette chambre. Elle serait pour moi aussi triste pas de doute là dessus.
En fait il n’avait peut-être pas totalement tort et je n’avais pas totalement raison. C’est plutôt un mixte des deux, un entre deux encore une fois.
Si mes relations avaient été moins difficiles à l’époque peut-être que tout ce que je regardais n’aurait pas été si ennuyeux et triste, désespérant. Peut-être que le besoin de désordre que j’éprouvais tout le temps n’eut pas été un refuge contre un ordre établi insupportable pour le gamin que j’étais.
Peut-être aurais je été moins humilié, moins battu aurais je été plus doux, plus sage, plus tendre. Mais à la vérité j’avais la dent dure tout comme mon père. Ma révolte se manifestait ainsi par un désordre permanent. Un reflet que j’opposais à son image et qui possédait l’avantage de déclencher le même type toujours de réaction. Dans le fond mon désordre me permettait malgré tout d’entretenir un mode de communication avec mes parents. Sinon j’aurais sombré tout entier dans l’atonisme, le silence, le mutisme total. Ou alors je me serais tué direct.
Mais pour revenir à cette idée de ranger une pièce et à la croyance que cela impact notre esprit de façon positive je me souviens de certains mots dis par un vieux sage bouddhiste.
En gros ça disait que ça ne servait à rien de vouloir sauver le monde si on ne balayait pas déjà chez soi.
C’est étonnant comment suivant les sources et l’état d’esprit dans lesquels on les entend les mots peuvent avoir un impact fort différent.
Du coup j’ai voulu refaire le point sur la notion de rangement.
Mon atelier de peintre n’est jamais rangé vraiment. Les tubes, les palettes, les pinceaux sont dotés d’une sorte d’autonomie qui les fait se placer où ils veulent par mon entremise ou par celle des élèves. Ce n’est pas sale. Je balaie, et même je fais la poussière de temps en temps. C’est plutôt désordonné.
J’ai essayé plein de fois de ranger. Mettre les tubes dans des boites, mettre les pinceaux dans des pots, les palettes en pile sur une étagère. J’ai même fait l’emplette de belles étagères en fer pour ça.
Mais il y a une sorte de malédiction.
Tout est rangé et quelques jours à peine passent que le désordre revient.
Etonnant !
Si cela ne se produisait qu’une seule fois, ce mécanisme d’ordre et de désordre, je me dirais bon… ça arrive, pas grave Mais c’est tellement tellement toujours le même mécanisme que j’en rigole pour ne pas pleurer au bout du compte.
Une malédiction.
Du coup ranger ça veut dire quoi pour moi ? ça veut dire quoi pour toi ?
Si c’est pour donner l’apparence de l’ordre c’est assez facile. On peut même planquer les saletés sous les tapis, elles ne se verront pas.
Non l’honnêteté ou la justesse exige bien autre chose qu’une simple apparence.
Comment ranger sans se sentir mal finalement ce serait ça le propos.
Car je ne sais pas pour toi mais moi il semble que ce soit la culpabilité la plupart du temps qui me fait ranger mon atelier comme prendre de « bonnes résolutions ».
A un moment je me sens tellement merdique, tellement honteux, tellement dans un malaise, dans une confusion que la seule trouvaille est de faire du rangement.
Et, une fois que tout est rangé je me sens bizarre. Tu connais peut-être ça si une fois dans ta vie tu as pris la porte de chez toi ou d’un lieu de travail. Si un jour tu as dit vous me faites suer je me tire.
Alors tu te retrouves dans la rue et tu as cette sensation d’être complètement à poil.
Une fois que j’ai tout rangé dans mon atelier voilà ce qui me trouble beaucoup, j’ai l’impression de ne plus être chez moi, d’être dans une rue à poil.
Du coup peut-être que si le désordre revient, un peu comme la marée c’est qu’il est nécessaire qu’il revienne pour que je puisse me retrouver. Retrouver le malaise qui est mon univers habituel et dont l’idée d’en sortir me terrifie au plus haut point sans même que je ne le sache.
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