8. Notule 8

Peinture blanche sur fond noir 40x50cm

Frotter du blanc sur du noir, créer des formes plus ou moins distinctes ainsi que des valeurs, un contraste, voir déjà une profondeur.

J’explore ainsi un commencement sans avoir d’idée.

Je ne pense pas au résultat.

Agir, laisser aller les choses comme elles veulent se retirer sans s’attacher à une pensée à un jugement. Arrêter sitôt la première idée séduisante qui s’impose.

Passer à un autre tableau en laissant celui-ci suffisamment silencieux quelque part dans l’atelier, l’oublier quelques jours.

C’est un travail à la fois très rapide et très lent.

Elle aime qu’on la batte

Manara l’art de la fessée.

D’un seul coup on sonna à la porte de l’atelier et tout du décorum fut chamboulé. Elle n’était plus elle et je n’étais pas encore moi. Engoncé dans mon malaise permanent à vouloir ménager à la fois la chèvre et le choux en les voyant envahir peu à peu l’espace et ce malgré la vastitude de celui-ci, un instant je fus décontenancé.

Puis je remis de l’ordre rapidement par automatisme. Après tout n’étais je pas ce beau jeune homme à l’air arrogant autant qu’idiot ? Je tentais de me figer dans un entre deux sans mot dire, choisissant une chaise simple pour leur laisser tout loisir de s’affaler sur les beaux fauteuils, le canapé de cuir moelleux.

Ce fut la petite brune qui démarra les observations comme on déclare la guerre.

« Et bien dis donc tu es bien accompagné » dit elle en minaudant à mon hôtesse et maîtresse depuis peu qui se contenta d’un sourire entendu, ce qui me surprit un peu mais comme j’avais l’impression d’être une sorte de fantôme assistant à la scène, je serrais seulement mon poing dans la poche et attendit la suite.

Il fut question du peintre qui devenait de plus en plus vicelard dans le choix de ses modèles, de sa dernière exposition catastrophique, de quelques anecdotes qu’elles échangèrent en avalant par petites gorgées leur verre de Jack Daniel que j’étais chargé de remplir.

La grande blonde à l’air triste avait de magnifiques yeux bleus embués de larmes ce qui me la rendait extrêmement attirante. Elle n’avait encore presque rien dit quand la petite brune se ficha d’elle au détour de la conversation.

« Si tu voyais le minet qu’elle vient de se dégoter, genre 20 ans de moins… »

Là c’était quand même difficile de ne pas voir le sarcasme adressé par ricochet mais mon hôtesse encaissa sans broncher et m’invita à l’aider pour faire les assiettes d’amuse gueule à la cuisine.

Ce qu’elle adore c’est se faire battre, me confia t’elle sur la grande blonde. Elle prend des jeunots qui la cognent et elle prend son pied comme ça. Et de rajouter une petite couche de psychologie de comptoir  » elle a un fils qui s’est suicidé elle se sent coupable ».

J’ai du commencer à écarter les jambes vers ce moment là, le whisky aidant, et aussi le parfum capiteux de ces trois femmes se mélangeant dans la pièce.

Il n’y avait que peu de temps que j’avais fait connaissance de mon hôtesse et soudain en quelques minutes j’en apercevais une version encore inédite qui à la fois me mettait intérieurement en fureur, mais en même temps me procurait un soulagement infini.

Je me mis à lorgner les corps de ces trois femmes, les jaugeant, les comparant, les assemblant de diverses manières comme un chirurgien fêlé.

Plus la bouteille de whisky descendait plus le fantasme d’une orgie possible s’accentuait.

Enfin, presque arrivé au paroxysme de l’excitation, au moment même où je ne pourrais plus cacher l’émoi dans laquelle celle ci me plongeait, les deux femmes prirent congés.

J’eus droit à une étreinte de la part de chacune, une bise un peu plus mouillée et appuyée de la part de la brune qui colla sa jambe à l’intérieur des miennes. Dernière œillade des yeux embués de la blonde et elles disparurent. Nous entendîmes leurs rires tout en bas dans la cour et mon hôtesse m’enlaça tendrement dans l’attente d’un je ne sais quoi que j’étais absolument incapable de fournir.

J’aurais pu la culbuter copieusement à cet instant c’était éminemment propice, peut-être trop justement. Je me resservis un verre, allumait une cigarette et demandais

« où veux tu que nous allions dîner ? »

Je vis passer dans son regard vert une belle tornade de rage pour la première fois depuis notre rencontre et je me mis à sourire bêtement comme n’importe quel jeune de mon age aurait pu le faire dans mon esprit.

Rencontres Chamaniques.

Rencontres chamaniques Huile sur toile format 20×20 cm + intervention numérique Patrick Blanchon 2019

C’est durant l’incendie de la forêt amazonienne que le hasard fit que nous nous rencontrâmes une fois encore.

Cette fois j’avais emporté mon appareil photographique et nous nous mimes au travail derechef.

Le grand chaman je l’observe, penché sur son smartphone dans la pénombre de l’entrée, il vient de dérouler pour moi le grand rouleau long de 7 mètres de sa dernière oeuvre traitant du drame.

La zone frontale juste au dessus du nez, proéminente, vue de l’angle où je me trouve, les cheveux ébouriffés lui confèrent un air de hibou sage. Il raconte ainsi sur papier Lokta, ce papier issu d’une écorce d’arbre népalais, la geste de ses symboles et signes préférés, la femme papillon incandescente, le chaman brûlant de colère, la main cramoisie, le poumon remplit de cendres , la végétation en flamme, les animaux éperdus.

Enfin il se lève et part dans une pièce pour aller quérir un grand carton format raisin bourré de trésors que nous installons dans le salon à même le plancher juste devant la fenêtre.

Il feuillette tranquillement, extirpant une à une les œuvres colorées qui représentent les figures emblématiques de son oeuvre monumentale. Il calcule le nombre d’années passées à voix haute, évoque la régularité disciplinaire de son ouvrage, chaque matin depuis 30 ans, il s’est assit et s’est resserré progressivement sur quelques symboles seulement qu’il a déclinés à l’infini.

Je photographie debout penché sur chaque oeuvre qu’il fait défiler. Il ne lui faut guère de temps pour se repérer au bruit du déclencheur et nous adoptons de mieux en mieux un rythme de shoot. Chaque image entrevue l’espace d’un instant dans mon viseur me procure un shoot effectivement, un shoot d’adrénaline, et chose exceptionnelle, je puis ainsi assister à toute l’évolution du travail de cet homme qui s’est dévoué totalement à son art.

Il m’indique les premières recherches sur la femme papillon, gracile mais déjà tellement tellurique, les premiers chamans qui n’avaient pas encore sur eux le costume qu’ils emprunteront plus tard aux samouraïs.

Je suis émerveillé car j’assiste en direct et à rebours à la genèse de son oeuvre.

Nous ferons ce jour là plus de 300 photographies et c’est éreintés que nous finirons par nous asseoir dans la cuisine devant un bol de thé et quelques gâteaux pour échanger quelques mots aimables.

Sur la route du retour, empruntant le plus petites routes pour rejoindre mon atelier tranquillement je mesurais le cadeau que le grand chaman m’avait offert ce jour là.

Sur la banquette passager je jetais de temps à autre un coup d’œil à l’appareil photo posé et je réfléchissais au contenu précieux de la carte mémoire logée à l’intérieur.

« Et encore tu n’as rien vu » m’avait il précisé lorsque je le quittais sur le seuil de sa demeure.

Je me posais bien sur la question du but, pourquoi proposer ainsi mes services pour photographier son oeuvre ? pourquoi tout ce temps passé à venir le rencontrer ?

Dans mon esprit il était le chaman qui avait plutôt bien tourné , qui avait su nourrir son esprit de la bonne manière et ce dernier avait produit du fruit grâce entre autre à une humilité formidable et à la redoutable ténacité de son détenteur.

Quant à moi j’étais le chaman vagabond, butineur, éparpillé et je sentais confusément que le destin, la chance, l’avait placé sur mon chemin afin de m’apprendre encore quelques fameuses leçons.

Le tout était de savoir si j’allais en tenir compte ou bien si, comme d’habitude, j’allais me débarrasser tranquillement de tout cela, gratuitement pour ainsi dire, à seule fin de satisfaire à ma curiosité et aussi apaiser une nouvelle fois mon appétit féroce de liberté.

un jour

Portrait de Bram Van Velde ce merveilleux peintre que je ne serai jamais.

Fatigué de faire moine un jour je me fais clown, et dans une glissade auguste, je dévale la grande pente.
arrivé là sur le plancher des vaches voici que j’ai gauchement droit à toutes les vacheries, les maigres ne sont pas les moindres.
Mais garde à vous nom de Dieu, une fleur entre les dents ramassée par hasard je serre avec application les mâchoires,

c’est à dire pas trop comme une chatte emmène son petit
ça fait tellement bien rire, c’est comme un attentat

Explosés les gens se fatiguent comme la viande de boucherie

et en gros tout ça finit dans un sourire.


c’est tout de suite après que je m’a décidé à faire le peintre

pour restituer tout ça dans de jolies couleurs.
Peut être qu’un jour je ne dirai plus rien je ne ferai plus rien.

je me taira enfin.

le peintre et son tableau

656 La voie étroite André Beuchat

D’un côté ce petit bonhomme qui tremble de colère et de trouille et de l’autre cette surface blanche qui attend un signe. C’est la mort qui veut cela. C’est elle le grand révélateur de mouvement ou d’inertie. Si tu ne sais pas encore que tu vas crever tu ne peux pas atteindre cette folie, cette transe qui met l’acte créatif en branle. On m’a parlé d’amour, c’est une sublimation. La vérité vient de la trouille et de l’obsession. C’est le constat du jour, demain cela changera peut-être, j’aurai oublié parce qu’on ne peut pas vivre tous les jours tétanisé par cette hantise de disparaître quand même.

Pourtant on peut imaginer que l’oeuvre sauve du néant, qu’elle survivra si ça peut arranger un peu les choses, les enrober pour faire passer le gout amer de cette certitude. On peut même croire à un certain stade qu’on a fait suffisamment, que c’est enfin accompli, et qu’il n’y a plus qu’a attendre le coup de grâce comme une délivrance. Çà aussi ne dure qu’un temps, on se leurre si bien, on ne fait d’ailleurs que cela.

Vaincre la mort, c’est à dire se réduire à néant avant qu’elle ne le fasse, j’ai essayé. Mais la vie est si forte, qu’elle resurgit comme une eau vive farouchement, et pire sans y penser. Il n’y a qu’à sentir sa queue se lever a l’ abord de printemps, cette sève remonter de je ne sais où des entrailles profondes et noires et on se remet à espérer bêtement. On n’y peut rien, c’est un fait que la vie s’accroche férocement et tendrement en même temps.

L’acceptation tient lieu d’antichambre à l’état d’homme et balaie bon nombre d’illusions d’un coup. C’est sans pitié qu’on se regarde un temps avant de s’agripper à la compassion pour soi, c’est le chas d’une aiguille que le fil ténu de vivre doit traverser alors pour continuer plus calme. Je n’en voulais pas de ce calme, destructeur de forces imaginais je, je n’en voulais pas de cette docilité aux choses non plus, même après plusieurs vies de couple, érodé par les passions et la quotidienneté. J’ai renâclé, triché, menti, volé,trahi, me suis enfui au loin, et puis ça vous rattrape, inexorablement. Il faut traverser le chas. Pas d’autre solution, ou se flinguer alors, c’est peu crédible quand on dépasse l’age de James Dean, c’est surtout si romantique que c’est à pleurer ou à rire, à pleurer de rire.

Et pourtant derrière la porte, la cloison on entend la joie piaffer allez savoir pourquoi ?

Comme une jument en chaleur les flancs tremblants de désir elle n’attend que cela, que la paroi s’efface et que le cavalier la prenne enfin pour un voyage dans la steppe sous le ciel bleu de ce presque été.

 » Pour ces hommes qui se pressent dans la nuit entre deux murs de pierre, la voie est étroite, semblable à une longue fente dans la terre, une diagonale qui traverse en longueur le paysage. La vision est limitée, on a le sentiment d’une fuite en avant, sans en connaître la cause, sans objectif bien défini et surtout sans retour.  » André Beuchat 656 la voie étroite

https://andrebeuchat.com/fr/opere/detail/656-gravure-originale-de-andre-beuchat

Personne ne sait

Deux Galets. Photo Patrick Blanchon

Où les choix mènent-ils vraiment ? Il se posait la question en récapitulant tous les choix effectués durant ces dernières semaines et pouvait apprécier le chemin parcouru. Il constata qu’il s’était débarrassé de plusieurs couches de peau anciennes, et, sa chair désormais à vif éprouvait douloureusement la moindre brise. Même le chant d’un oiseau, pourtant si aimable soit-il lui eut transpercé le cœur. Heureusement qu’il avait une oreille bouchée, songea t’il, le supplice était au moins divisé par deux.

Comme un apnéiste, il s’était enfoncé au fil des jours vers les profondeurs, et avait pu apercevoir, très loin encore, tout au fond, quelque chose qui ressemblait à un paysage familier. L’avait il rêvé ? Ce paysage existait-il ? Il allait une nouvelle fois se mettre à douter quand il commença à suffoquer. C’était le signe qu’il lui fallait remonter à la surface des choses, reprendre une bouffée de légèreté, qu’il avait encore trop tendance à estimer comme de la superficialité.

Il avait éprouvé un dégoût profond, une envie quotidienne de vomir en se souvenant de tout ce qu’il fallait encore traverser en fonction des choix passés, des engagements pris. En fait, tous les projets qu’il avait dans le temps mis en place, finissaient par arriver, par flots sombres comme la marée souillée par un supertanker éventré.

Et pourtant, malgré tout, il tenait debout. Une force inconnue le maintenait qui n’avait pas grand chose à voir avec la volonté. C’est qu’au travers de la douleur, son unique tympan se familiarisait à nouveau avec une voix enfouie au plus profond de lui. Il retrouvait la beauté profonde du silence.

Il eut alors envie de s’emparer d’une toile et de vite attraper ses pinceaux pour tenter de capter par la couleur, par le mouvement, par les formes tout ce que ce silence lui inspirait car soudain il s’était aperçu que le silence était abondance, le silence était intarissable, le silence était le lit d’un fleuve dans lequel son esprit et son corps semblait s’épanouir et croître.

Il eut un dernier doute cependant, n’était ce pas encore son imagination qui lui jouait un tour. Et c’est juste à cet instant que le bourdon pénétra dans l’atelier. Il suivit sa trajectoire effrénée et le vit se heurter aux poutres, aux parois de plusieurs murs avant d’aller buter obstinément sur les parois vitrées qui donnaient sur la cour. Il se hâta d’aller ouvrir la porte et après encore plusieurs chocs contre les vitres, l’insecte trouva la béance de l’extérieur et disparut.

Le peintre referma la porte derrière lui. Et soudain il comprit. Alors il remercia la vie et le silence en esquissant un sourire un peu triste encore. Puis il se mit au travail.