77. Notule 77

Peinture au brou de noix et crayon

Reste l’enfant sauvage sur le seuil d’un âge adulte fantasmé .

L’âge à la voix de chèvre lui enjoint sur divers tons,

plutôt faux,

de franchir le pas.

Désir et peur renouvelés à chaque invite qu’il décline.

— résistance bête, ridicule, inutile, dit un vieux bouc en retrait.

Et le chou ? Que dit le chou ?

Il ne dit rien. Il pommelle au soleil, paresseusement le chou.

Un papillon écarte ses larges ailes sur une feuille de l’ampelopsis du grand mur.

On dirait une fleur là où normalement il ne devrait pas y en avoir.

C’est cette sauvagerie là qu’on doit oublier pour devenir triste et grand. Pour ne plus rien prendre au sérieux que la coquille vide, le noyau et l’os.

S’engager dans une maturité d’arbre sec.

pour entrer dans l’adieu à la viande, dans le Carnaval.

La violence lui tend un masque civilisé.

Qu’il repousse là-bas vers le soleil couchant

par delà l’horizon des promesses intenables.

73. Notule 73

Encre Alechinsky.

Commenter quoique ce soit sur les réseaux sociaux produit un double effet régulier que j’ai déjà évoqué. Il y a la spontanéité en premier lieu ou ce que l’on pense, imagine de cette spontanéité qui nous dédouane de tout calcul puis la réflexion s’en mêle, on remonte progressivement à la source de l’intention et on se dégoûte.

On ne peut pas être dupe tout à fait ou on ne le veut pas. Je crois surtout que l’on a peur que cette spontanéité soit ridicule, mal interprétée, qu’elle relève forcément du calcul malgré soi. Et on se charge alors de la démolir personnellement si je peux dire.

Certains y verront un esprit tordu à l’œuvre. Certains diront qu’on coupe les poils de cul en 8. Que tout ça n’est pas si compliqué, que la vie est bien plus simple que ça. Etc.

C’est surtout que la plupart ne se pose aucune question, ne remettent jamais en question cette fameuse spontanéité. Ils pensent ou n’y pensent pas plutôt qu’elle puisse être un outil. Que cet outil possède une fonction et que la fonction crée puis suit sa pente vers un but.

Il en résulte souvent quelque chose de l’ordre de l’obscène et il faut alors que je mobilise tout ce que je peux de la tolérance, de la bienveillance, pour résister à l’envie de gerber sur les pompes de cette spontanéité là.

Ce qui me place malignement à une altitude particulière qui est aussi un but recherché sans doute.

Le sachant on peut tout à faite être spontané comme tout à chacun mais sans pour autant s’aveugler grâce à une pseudo naïveté.

Au contraire remonter à la source de l’intention m’en apprend toujours plus sur l’utile et l’inutile. Comment je sépare toujours le monde en deux par le moyen de ces deux mots. Et comment je m,inventé aussi une place dans ce monde.

Ca passe le temps. Quand on s’ennuie ça passe le temps de s’interroger sur ce genre de chose. D’aucuns me disent que c’est du temps perdu. Comme si je possédais tellement de temps, comme on jouit d’un capital. Et aussi que je devrais plutôt passer ce temps à l’employer à peindre, à préparer mes cours, à réparer telle ou telle panne ou degradation dans la maison.

Ce qui est utile et inutile pour tout le monde et pour soi … ça ne s’accorde pas toujours, les définitions surtout ne s’accordent pas.

Cet écart concernant les définitions se creuse de plus en plus. C’est peut-être un danger plus grand pour l’humanité que le réchauffement climatique.

A moins que l’on veuille le considérer comme une poésie inédite. Que chacun ainsi soit un poète à déchiffrer pour autrui. Et que le temps de l’utile comme de l’inutile n’existent plus.

56. Notule 56

Courte échelle , Patrick Blanchon 2022

L’aristocratie de l’enfance est toujours présente malgré toute la vilénie traversée.

Peut-être pour se vérifier en tant que telle, en tant qu’élément imputrescible de l’être, apte à résister aux intempéries de l’existence. Et sur laquelle les assauts des doutes ne peuvent pas grand chose.

Se créant même au besoin les humiliations comme autant d’obstacles que pour mieux s’éblouir de les surmonter. Se jetant dans la servitude comme dans une nuit, toujours certain d’y récupérer les étoiles.

La cruauté comme une écorce à peler pour atteindre à la blancheur de l’aubier et en même temps jouer l’étonnement de la retrouver, intacte.

Et puis à l’âge certain la certitude que le doute ne sert qu’à cette prise de conscience.

Celle d’être roi, de toutes façons, en son propre royaume.

Comprendre enfin qu’il en est de même pour tous et que la guerre, la tragédie comme toutes les bouffonneries, les grâces, ne servent que de monnaie d’échange pour offrir des frontières nettes à nos solitudes souveraines.

Le génie , la folie ne sont pas le fruit d’un lancer de dès. C’est simplement la conséquence d’un oubli plus ou moins volontaire dans l’établissement d’un tracé, un choix commis par l’autre lié au renoncement d’accepter l’identique.

Puis une urgence à vouloir renforcer un tel choix. Pour fabriquer la différence et le luxe en même temps.

Puis la nuit s’effiloche et le matin revient. Et l’on garde gravé une toute petite lueur au fin fond des prunelles

Et d’ailleurs on ouvre à nouveau les yeux pour s’aveugler encore.

Doucement

« Le masque des cœurs » Peinture de Thierry Lambert

Doucement, l’automne se perd dans l’écho des étés

pour ne pas glisser trop rapidement dans l’hiver

et je pense à mon ami là-bas attaché à son labeur,

à sa table, à ses pastels,

et le froid peu à peu arrive, le froid n’est jamais si loin.

Cette année il ne s’approche pas comme un ennemi

cependant qu’il m’indique le danger des chaleurs

et doucement je décide alors de l’éprouver, de le sentir,

ma bulle contre sa bulle, contact plan entre le froid et la brûlure

perpétuelle qui ne cesse de me fondre et me confondre.

Le froid comme une stabilité, un recours possible.

Le messager apaisant qui ne dit mot mais est présent.

Entre le froid et mon ami j’établis des passerelles doucement.

Deux solitudes à l’oeuvre, deux galaxies qui tournent dans le vide obscur aveuglées par la lumière qui se recrée à chaque instant.

Alchimie et chamanisme réunis comme toujours.

Cette présence de l’absence encore mais douce et complice

Deux cailloux sur le chemin qui vivent leur existence de caillou

et rien de plus ni rien de moins.

Le projet est de fabriquer un livre commun

Une étincelle

Doucement en chacun j’imagine

comme une origine et une fin qui se saluent

Tu sais

toucher le fer glacé réveille le feu

Rappelle la douceur cruelle

que le froid et le feu entretiennent savamment

pour nous emporter dans ce songe des différences et des nuances.

Cette errance qui constitue le deux et tous les nombres ensuite

En partant de l’un

tout doucement que l’on oublie.

Tout porte à croire.

Tout porte à croire

Mais rien n’est sur,

M’aimeras tu encore demain

Comme je t’aime, aujourd’hui ?

Cet entre deux pour être Un

Sans toi ni moi

Est ce une présence

Ou une absence ?

Laissons la question en suspens

Et profitons de ces instants

Ou toi et moi

C’est entre nous

plongeons dans ce naufrage

prévu de l’île.

Tout porte à croire

Mais rien n’est sûr,

Et nos absences respectives

rempliront nos regards

redonnant à la présence

De nos 20 ans

L’amer secret

des espérances

Nabuchodonosor

Naissance d’Uruck Peinture Patrick Blanchon

Je ne sais ce qui peut inviter des parents à nommer leur rejeton pareillement, et sans doute au temps des jardins suspendus cela avait il un sens, le fait est que lorsque l’homme accoudé au bar m’apprit qu’il s’appelait ainsi je restais dubitatif.

C’était un genre de compromis entre le clochard céleste  à la Kerouac  et un valet de pied dessiné à grands traits de hache  par un Conan Doyle sur le retour.

Enfin je n’avais rien d’autre à faire et nous devînmes camarades de comptoir.

Je logeais à une distance raisonnable du bar dans un petit hôtel charmant tenu par un Rugbyman à l’œil ultra mobile et inquisiteur.

J’avais déposé mon sac dans cette jolie banlieue toute proche de la Défense, encore en construction ou quasiment finie, je ne me souviens plus.

Une période faste s’achevait encore pour moi. Je m’étais égaré encore à un carrefour n’ayant pas établit de plan suffisamment détaillé il se peut bien que j’eusse à nouveau perdu le Nord.

6 mois au Portugal passés à écrire mes préoccupations nombrilistes m’avait désargenté méchamment, et c’est assez penaud que j’acceptais de suivre M. une relation charmante et explosive qui m’avait déjà pardonné nombre d’incartades et qui finalement était venue me chercher dans le bistrot du petit village lusitanien un matin.

Cependant que malgré tous les efforts déployés de part et d’autre nous finîmes par nous séparer à nouveau et c’est ainsi que j’arrivais au lieu de mon récit

Ma minuscule chambre donnait sur une cour proprette où poussait un jeune cerisier japonais, quelques pensées chétives et des herbes aromatiques. L’hôtel faisait aussi  restaurant.

Afin d’employer mon temps et payer cette piaule je me  louais en échange d’ un salaire insignifiant à une compagnie d’assurances , dont les locaux se tenaient  quelques pâtés de maisons plus loin. Au volant d’un J7 je suivais un itinéraire hasardeux dans Paris suivant les différentes périodes de la journée pour livrer des cartons de paperasses dans diverses annexes.Cela aurait presque été la belle vie, si je n’avais été victime de mes velléités littéraires et d’un caractère indépendant et je dois l’avouer d’une passion soudaine pour la bouteille.

Cette absurdité de vouloir écrire m’avait entraîné dans un paysage physique et mental complètement décalé du monde dit réel. Ce que je nommais non sans fierté voire arrogance « la lucidité » n’était qu’un pansement sur une jambe de bois que représentait alors mon immaturité crasse.

Mais je ne la répudie pas non plus cette immaturité finalement, elle m’a autorisé  à questionner le monde par le menu, le détail, l’insignifiant comme une compagne de maquis dans l’âpreté de bien des quotidiens.

En fait qu’en je repense à cette époque l’existence toute entière était à mon chevet et me prodiguait tous les soins nécessaires non seulement à la survie mais aussi à préparer plus tard la gratitude envers les leçons qu’elle me donna tout le temps.

Mais moi, à cette époque je m’en fichais de la gratitude à venir je préférais aller boire avec Nabucho.

Je crois que les premières phrases que nous avons échangées ensemble, c’était aux environ de l’heure du whisky, juste après le pastis et avant la poire Williams. Peut être même avait il pris un peu d’avance pour tuer le temps, attendant un comparse, une oreille qui l’écoute avec quelques bières blondes , de celles qui soulagent largement la vessie quand on les pisse à potron-minet.

Nos fronts presque à s’entrechoquer comme deux taurillons nous invoquames Fernando Pessoa.

Je ne sais plus lequel sorti la fameuse phrase « Navigar e precisu, viver nao e precisu.. » ( naviguer est précieux , vivre ne l’est pas ) mais c’était parti pour la grande orgie poétique d’avant midi. Et globalement ce fut ainsi pendant quelques mois sans trop de changement, sans trop de dérangement.

Ensuite l’après midi on se séparait un peu, Nabucho avait femme et enfants. Il rentrait chez lui déjeuner. Moi dans mon hôtel les jours d’inactivité, allongé de longues heures sur le dos rideaux fermés dans l’obscurité.

Ce doit être un matin d’hiver que le boxeur fit sa première apparition au bar.C’était un nantais bien balancé qui depuis quelques temps offrait ses services de façadier dans la grand rue. Ce type, une force de la nature, réalisait des travaux impeccables en deux temps trois mouvements par tous les temps. Il s’amena par la suite avec des liasses de billet dans les poches ce qui nous inclina à rendre hommage aux paradoxes car s’il gagnait confortablement sa vie il était con comme un balai.

Du coup ça nous donnait du grain à moudre en tant que poètes bistrotiers.

La vie et tout, navigar et precisu.. etc

(à suivre)

abandons

traitement numérique d'une partie de tableau du peintre Patrick Blanchon

D’aussi loin l’abandon éprouvé serra le cœur si fort que pour survivre je l’ôtais de ma poitrine.

un long temps de statue

de marbre

et un jour ou une nuit

l’abandon fut reflux

dans une grande foire à l’encan

j’abandonnais encore

jusqu’à mes dents

mes reins mes nerfs

j’allais cul nu

par les chemins

les champs

offrir encore le regard

un œil après l’autre

aux belles vesses de loup et aux mousserons tout blancs.

Les nouveaux guerriers

Tableau réalisé par Thierry Lambert poète, peintre et guerrier de lumière.

Dans le grand chambardement actuel, l’ennemi sera toujours la guerre et cependant ne pas la mésestimer car celle ci a fait progresser de vies en vies. La Suisse pays pacifique et neutre sait qu’il faut s’armer fortement pour conserver ces deux avantages. Cependant que toutes ces années sans conflit n’a produit que de belles horloges garanties à vie.

La guerre fut, est, sera, elle est logée en nous comme un second cœur jumeau du premier.

Mais devrons nous toujours adopter les mêmes réactions face à ses injonctions ?

Les nouveaux guerriers ne sont pas si nouveaux en fait. Ils existent depuis la nuit des temps et ils proposent une autre forme d’interprétation à cette incessante bagarre.

Ce sont les guerriers de l’art et du cœur, et ce ne sont pas des naïfs et des nigauds comme à première vue tu pourrais le penser.

Repeindre la vie en couleurs vives, convertir le drame, la mélancolie, la tristesse dans l’athanor de leurs peintures vibrantes c’est cela leur combat et ce n’est pas le moindre.

Après l’horreur des tranchées naît la couleur vive sur les tableaux et ce n’est pas pour rien. Ceux qui décident ainsi d’ orienter tranché ont connu les doutes affreux et la boue des charniers.

Il faut des années pour comprendre que l’on ne sait rien tu seras pardonné.

Cependant lorsque tu vois un peintre exposer ses toiles colorées dans un recoin du monde, souris lui au moins, même les plus rudes guerriers ont besoin parfois d’un peu de chaleur humaine.

Appuyé contre la vitre

Crédit Photo Dominique Kret

Petit train, voyageur bien confortablement installé regarde par la vitre la projection d’un paysage crée de toutes pièces par tous les paysages déjà vus, résidus de projections eux-mêmes-déjà vus-prémâchés-régurgités. Fermer les paupières aiguise l’ouïe. Joue chaude contre la vitre glacée. Un parfum de chien mouillé dans les narines. Petit voyageur dans le grand train de l’instant. Plongée dans le moire. Caresse des joncs pendant l’apnée visuelle. Ondes et vibrations agitent et bercent. le vent des profondeurs exhale son haleine bise qui se brise sur le front têtu, se brise, le brise l’embrasse, le brasse l’érode, le poli, bonjour le bel œuf de dindon farci. Doliprane ta gueule paracétamol merde ! Attendre que les pensées se fanent comme de vieilles biques télévisées d’idiotie. Attendre que les poumons se vident et se remplissent à nouveau Attendre que le serpent s’éveille et bouge dans le slip Attendre au creux des reins la marée montante Attendre et puis se lever soudain danser Attendre à se faire mal d’attendre Alors trembler de rage de trouille d’envie de chier de pisser,d’un café d’une clope d’une fille d’une cote d’une entrecote d’un bain de boue de rien De rien enfin bouger sauter Soudain non quand même pas aimer comme d’autres n’ont pas aimer ne pas prendre la file, se défiler héritage de naufrages Tout ce bordel de nichons et de culs jamais vraiment touchés, Toujours tripotés, tripatouillés, agrippés comme des bouées , poupées gonflantes de l’idée fixe. tout ce qu’il faut dégonfler encore après s’être dégonflé Alors non quand même pas aimer Sauter par dessus l’amour à la con Baiser la vitre la lécher laper son froid dur La faire fondre à coup de buées, la rendre molle, continuer elle va s’ouvrir et happer Enfin passer, traverser, aller encore plus loin au fond tout au fond de la gorge du non dit, du nom de Dieu ! Un vide sans fond long et long et encore plus une chute ou un envol à l’envers du décor un salto à l’endroit où l’envers se redresse fier comme un pieu en creux tout le désir qui luit dans la terre meuble labourée sans haie, démembrement oblige alors seulement madame la contrôleuse arrive Monsieur, votre titre de transport s’il vous plait ?

La dombe

La Dombe Patrick Blanchon 2005
Encre de chine sur papier

Quand je traverse la Dombe, je guette l’envol des grues, la pâleur des marais, le bruissement des herbes et tout m’appelle vers toi.

Garce magnifique, amère comme une pinte  dont le souvenir reste

après qu’on t’ait baisée , si peu qu’on t’ait aimée…

« Être vivant, c’est être prêt. Prêt à ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journée. D’une prévoyance incessamment et subsconciemment ajustée. L’état normal, bien loin d’être un repos, est une mise sous tension en vue d’efforts à fournir… Mise sous tension si habituelle et inaperçue qu’on ne sait comment la faire baisser. L’état normal est un état de préparation, de disposition vers les gouffres »

« connaissance par les gouffres » Henri Michaux.