Hier je t’ai parlé de l’importance du choix des valeurs sur lesquelles on s’appuie en dessin, en peinture et dans notre vie en général. Voici le lien de l’article si tu ne l’as pas encore lu : https://peinturechamanique.blog/2020/10/23/valeurs/
Aujourd’hui j’aimerais te parler de l’importance du précis et du flou dans la peinture. Dans ce que j’ai appris il est d’usage d’utiliser la précision pour attirer l’œil du spectateur sur le sujet principal d’un tableau alors que peu à peu les contours des formes installées sur les plans moyens et lointains s’atténuent de plus en plus pour parvenir à un flou. D’ailleurs tu as peut-être déjà entendu parler de ce fameux « flou artistique » qui est considéré souvent comme une blague, et sous cette blague un critique à peine voilée du manque de sens d’une œuvre.
Si rien n’est précisé, si tout est flou, cela ne capte pas l’attention vraiment et même rebute l’esprit généralement.
Il n’y a pas que dans la peinture figurative que cette loi du précis et du flou est observable. Dans la peinture abstraite il y a bien sur aussi une nécessité d’attirer le regard sur certaines parties d’un tableau en premier lieu puis à l’appui de cette sensation de précision emmener peu à peu le spectateur vers des zones plus floues plus confuses pour conférer à l’ensemble une « profondeur ».
L’utilisation du précis et du flou est donc un moyen d’installer de la perspective dans un tableau.
Dans notre vie de tous les jours il en va également de même concernant les objectifs que nous plaçons comme jalons pour atteindre à un but. Le premier étant plus ou moins précis puisque c’est celui dont nous nous occupons en premier.
En ce qui me concerne pendant longtemps je n’ai pas su regarder plus loin que le bout de mon nez. Seuls les objectifs immédiats pouvaient à la rigueur être dotés de précision.
Comme manger, trouver un toit et dormir et occuper mes journées à ne pas trop me taper la tête contre les murs.
Durant des années cela m’a convenu et je n’avais pas besoin de me projeter plus loin. Je confondais tout un tas de choses parce que je m’étais donné l’objectif de créer soi des textes soi des peintures. tout le reste je n’avais pas vraiment envie de m’y intéresser.
En tâche de fond de ces objectifs il y avait une quête, confuse aussi. Quête de bonheur, quête d’amour, quête de reconnaissance. Mais à l’époque, toutes ces choses que j’appelle désormais ainsi je refusais de m’y intéresser autrement que par hygiène si je peux dire.
Je ne voulais pas être comme tout le monde, c’est à dire à l’époque mes parents, mes grand parents, mes oncles, bref le petit cercle familial et des proches que je confondais avec le monde.
Ce monde dont je te parle n’avait guère que deux mots clefs en bouche : le possible et l’impossible et toute leur vie était basée je crois sur ces deux mots.
Evidemment ils ne s’attachaient qu’au possible et réfutaient systématiquement l’impossible.
Naturellement écrire et peindre était pour eux une chose impossible à considérer avec sérieux. Comment allais je gagner ma vie, rien n’était sérieux de ce que j’émettais à voix haute comme projet et buts de ma vie à leurs yeux.
La seule chose vraiment précise était cette déclaration mondiale si je puis dire d’une impossibilité dans laquelle j’avais choisi de m’engouffrer à tort. Et je crois que par pure obstination, pour tenir tête à tout ce petit monde, pour avoir raison aussi, je me suis beaucoup acharné à poursuivre mon chemin dans le sens inverse de ce qui m’était proposé
Avoir un boulot, une carrière, , un crédit sur 30 ans pour acheter une maison, une bagnole, de l’épargne, une famille, des enfants , tout cela me passait au dessus le tête. Je pensais pouvoir faire bien mieux de ma vie.
Cela aurait pu fonctionner merveilleusement bien si j’avais été plus vigilant vis à vis de la notion de perspective, vis à vis de la précision et du flou qui constitue la perspective d’une existence.
Mais qui donc nous enseigne tout cela ? Surement pas l’école qui ne produit que des gens obéissants et qui deviendront des ouvriers, des employés obéissants qu’on rétribueras aves des bons points et des images d’une façon tellement méprisante lorsqu’on y pense vraiment.
L’école ne pouvait donc pas enseigner la perspective, la précision et le flou à l’indocile chronique que j’étais. Il me fallait trouver mes propres maitres, mon propre enseignement et pour cela il ne suffit que de le demander.
Lorsqu’on formule un souhait, même seul en plein désert, même au plus profond des forets, là où on croit être si seul qu’on se pense fou, ce souhait recevra tôt ou tard sa réponse.
Le vrai problème d’ailleurs n’est pas d’obtenir une réponse que de bien formuler le souhait.
Car on peut souhaiter plein de choses et obtenir pour chacun d’eux tout un tas de réponses. Encore faut il savoir les reconnaitre ces réponses et comprendre qu’elles ne sont que le reflet d’une absence de précision de départ.
Etre précis dans un souhait, être précis dans un sujet de tableau c’est un peu la même chose si tu veux.
Il y a tellement eut de souhaits, tellement eut de tableaux déjà … qu’ils sont devenus des clichés finalement c’est à dire des souhaits et des tableaux qui ne t’appartiennent pas, qui sont plutôt issus du préjugé collectif. d’une sorte de « il faut » commun.
Parvenir déjà à saisir cela représente pour beaucoup déjà un pas important, énorme.
Quel est le vrai souhait alors ? Celui qui t’appartient à toi en propre ? C’est comme le vrai tableau celui que tu n’as jamais encore réalisé qui se dissimule sous tous les autres que tu ne peux plus voir « en peinture » tellement tu les as déjà vus.
Plus tu es intelligent, plus c’est compliqué et flou car tu vas te perdre, t’égarer bien des fois pour trouver le chemin qui te convient.
Les gens simples ne se posent pas autant de question, ils suivent des modèles, des stratégies utilisés par d’autres et qui ont fait leurs preuves.
Cela fonctionne toujours bien mieux lorsque on décide d’être simple. C’est une claque pour l’esprit qui aime se compliquer la vie comme s’il s’agissait d’un jeu. Une claque qui peut remettre les idées en place ça s’appelle une leçon.
Pourtant la simplicité une fois qu’on a compris la puissance de ce mot pour certains têtus et obstinés, ne peut être acceptée qu’au bout d’une boucle d’expériences parfois difficiles douloureuses . On se dit mais non c’est trop facile, c’est ce que tout le monde fait ou souhaite, je ne veux pas de ça et on invente un autre chemin pour arriver finalement à strictement la même chose : la simplicité.
Et qu’est ce que c’est que cette simplicité si on y pense vraiment ? Ce n’est rien d’autre que de la précision. Tout le flou a disparu d’un seul coup.
Comme sur un dessin d’enfant.
C’est à dire qu’il n’y a plus besoin d’artifice pour exprimer la profondeur, plus de martingale à inventer pour attirer la chance, plus de perspective et de ligne de fuite fumeuses, plus d’illusion stérile.
Tout est alors limpide et clair sur un même plan, sans ruse ni tricherie, sans se leurrer soi-même non plus et en premier.
Quand je revisite les photographies des tableaux de mon ami Thierry Lambert, quand j’observe la précision de ses dessins sur l’espace tout entier de la feuille je sais que j’ai encore beaucoup beaucoup à apprendre, à creuser sur la notion de précision et de flou et tout ce qu’elles engagent dans une vie et dans une œuvre qu’elle qu’elle soit.