Qui peint ?

Hier après-midi je reçois un groupe d’élèves pour un stage sur la peinture abstraite. C’est le deuxième stage de l’année depuis la rentrée de septembre et je propose deux pistes de travail pour la séance.

« Au travers d’une vitre embuée » et « Comme une sensation d’espace ».

En fait je n’avais comme toujours rien préparé, me fiant au hasard. La fenêtre de la cuisine était recouverte de buée et je me suis souvenu que l’année passée j’avais pris une photographie de celle-ci

Fenêtre embuée

C’est cette image que je réactualise tout à coup qui m’apporte l’idée d’une proposition intéressante à réaliser tout d’abord en noir et blanc puis en couleur à la peinture acrylique.

Je n’ai pas montré cette photographie aux élèves. tout le monde a déjà vu une vitre embuée, ce n’est pas la peine de figer cette image sur une seule qui serait unique et en l’occurrence celle que j’aurais prise.

La seconde proposition découle étrangement de la première en même temps que de la situation générale que nous sommes en train de vivre.

« Comme une sensation d’espace » c’est un vœu pieu en ce moment où les portes de nombres d’entreprises, de cafés, de théâtre, d’expos se referment dans l’espoir de faire face au virus. J’avais d’abord pensé à l’idée de l’enfermement justement, de l’aveuglement mais cela ne me paraissait pas bien porteur dans la situation. Au contraire malgré tout cela chercher cette fameuse sensation d’espace me plait bien.

Pour mener à bien le « démarrage » je fournis toujours un processus de travail. Même si la proposition parait à certain fumeuse, sibylline, étrange, « intello » tout le monde peut arriver à « quelque chose » en suivant cette petite marche à suivre.

Il faut pour commencer choisir une intention quant aux deux propositions.

Une intention ce n’est pas une idée, ce n’est pas une image déjà réalisée dans la tête des élèves. C’est une impulsion.

Avoir une intention aide tout simplement à démarrer le travail et ensuite il s’agit de la conserver en tâche de fond sans y penser. C’est à cela en fait que sert le processus que je fournis, pour « occuper » l’esprit pendant que le programme de l’intention fait gentiment son ouvrage dans l’inconscient.

Nous sommes passé encore une fois par l’idée du « n’importe quoi », évidemment, comment y échapper… Mais là j’étais fin prêt j’avais muri cette idée de « n’importe quoi » grâce aux textes que j’ai écrits sur ce blog les derniers jours. Cependant je n’ai pas trop voulu développer. Une autre piste m’est arrivée et je m’en suis emparée, trop content de ne pas sombrer dans ce qui déjà pourrait avoir l’air d’une sorte de routine.

En fait c’est venu en regardant les travaux d’élèves de « loin ». Je leur propose à la fin de chaque exercice de montrer leurs travaux au groupe. L’un après l’autre vont placer les peintures sur des chevalets, et nous les regardons avec un recul de quelques mètres.

En général la réflexion qui revient c’est qu’à bonne distance, les peintures n’ont plus rien à voir avec ce que le peintre avait vu de près.

Le recul les transforme non seulement dans l’œil du peintre mais au travers du regard du groupe tout entier.

Et en plus je demande à ce qu’on les montre sous tous leurs cotés, verticalement et horizontalement. C’est toujours étonnant de constater que certaines peintures sont inversées c’est à dire qu’elles fonctionnent mieux dans le sens contraire qu’à désirer le peintre.

C’est une chose dont j’ai l’habitude depuis que je donne des cours de constater que ce n’est pas le sens du travail qui rapporte le plus, mais un sens inverse. Comme si l’attention du peintre focalisée dans un sens permettait une forme d’aveuglement bénéfice au sens inverse. Comme si au delà du regard de l’élève qui chemine parfois péniblement dans les méandres de la peinture une œuvre se créait à l’insu même de cette attention, de cette conscience.

Alors je me suis demandé à voix haute qui peint vraiment lorsque nous peignons ? On pense que c’est notre conscient le maitre du jeu et aussi notre bourreau, celui qui exige un sens à chaque étape de la peinture même abstraite, même quand la liberté du « n’importe quoi » est proposée, presque exigée…

Peut-être que nous ne sommes pas du tout ce que nous croyons être. Pas aussi étriqués, pas aussi peureux, pas aussi timides, pas aussi forts non plus que nous l’éprouvons. Lorsque grâce à l’apparence du n’importe quoi traversé grâce au guide plus ou moins factice d’un processus c’est l’inconscient qui s’exprime au travers de nos peintures c’est aussi dans ce lieu, qu’il nous rassemble plus où moins consciemment pour chacun.

De là naissent de belles émotions et c’est sans doute pour cela que j’adore mon travail de prof, pour ce partage souvent non dit.

Pour cette totale inconscience qui entraine à un moment donné que l’ on ne sait plus qui peint et qui enseigne.