L’épaisseur en peinture, se confond pour moi avec la générosité, le don et suite à une suite analogique d’images qui s’entrechoquent soudain je me rends compte que cette notion d’épaisseur, d’onctuosité de la pâte, de la peinture provoque une sorte de suspicion vis à vis de la peinture lisse, habilement étalée, sans trace presque de l’outil, du pinceau ou de la main qui a servi à élaborer l’oeuvre.
C’est que tout se joue avec l’absence et la présence encore une fois de celle ou celui qui peint. Je me souviens avoir été frappé déjà par un malaise lors d’une exposition au musée du Luxembourg lorsque je rencontrai pour la première fois de visu la peinture de Botticelli. Je ne pouvais pas m’extirper de l’impression de virtuosité du maître encore très jeune, qui à 17 ans à peine frôlait la perfection à tous niveaux. Mais cet aspect lisse, propre, net, lumineux ne me disait rien du peintre en lui-même comme s’il s’était dissimulé derrière ce masque de perfection et de froideur.
C’est tout un enjeu que je n’ai cessé d’entrevoir au cours des années entre cette affaire de beauté, de perfection, telle que la Renaissance nous a imposé les critères que je retrouve dans ma peinture, mais aussi dans l’histoire de la peinture depuis ces 100 dernières années.
L’impact de cette « douceur » issue de la Renaissance se heurte par exemple aux surfaces peintes par Van Gogh qui sont striées de touches, labourées par le pinceaux dans la volonté de la main à laisser justement trace. Quand on regarde les dessins de Van Gogh notamment ceux de la période du Burinage, on est frappé immédiatement par cette utilisation de la hachure, la force de la hachure qui découpe et crée tout en même temps le motif.
En me rendant à cette exposition de Picasso sur ses œuvres réalisées durant la dernière guerre, sans doute ai je emmagasiné tout un tas d’informations qui me reviennent soudain pour revenir à mon propos sur l’épaisseur.
Les surfaces des tableaux que j’ai pu voir sont lisses, il n’y a pas exces de pate, pas exces de générosité, pas tant de trace que cela de l’homme Picasso qui se dissimule sous toute cette oeuvre. S’en est-t’il rendu compte à un moment, à plusieurs moment, lorsque dans sa jeunesse, il peignait à 15 ans comme un maître de la Renaissance ? Est ce pour cela qu’il tenta de s’évader dans le dessin, dans la liberté du dessin pour évoquer la fulgurance de l’homme, puis qu’ensuite il désira ardemment retrouver cette « spontanéité » de l’enfance ?
On trouve plus de traces vraiment de Picasso dans ses esquisses que dans les œuvres dites « achevées ».
Un peu plus loin dans le même musée je me retrouve devant la grande nature morte aux aubergines de Matisse et là je vois des choses fort différentes qui me touchent dans le traitement même de la surface de la toile, laissée brute sans enduit par endroit. Matisse est là en train de peindre son tableau devant moi, je peux voir ses réserves et ses élans sur la toile.
Encore un peu plus loin même constat avec une toile de Bonnard qui laisse vierge certaines bandes de toile, et qui utilise le blanc soit en pâte épaisse, et d’autre fois c’est juste un voile qui masque à peine la couleur du dessous, ou bien le support brut.
Encore un peu plus loin dans cette partie des collections permanente je tombe sur une grande toile de Séraphine de Senlis représentant des fruits et je vois cette épaisseur de pâte à nouveau, les craquelures qui sont l’ouvrage du temps et des matériaux de hasard utilisée par cette femme qu’on dit « simplette ».
Ce qui fait la différence soudain, se situe bien dans cette épaisseur, ce point de blanc de plomb déposé là pour évoquer un reflet dans une cruche de Bonnard , cette maladresse du dépôt des couleurs dans une autre de Matisse qui prend tout son sens à quelques mètres de distance mais qui ne vaut rien de près , et un peu plus loin ces grandes toiles striées de lumière d’un Soulages comme si ces peintres s’étaient rangés dans une sorte de famille, une famille rebelle à dissimuler l’être et ce par des moyens personnels à chacun.
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