Rituel

Tapisserie millefleurs « La dame à la licorne »

La première image qui surgit en reprenant peu à peu conscience de son corps et de qui il croyait être, fut celle d’un éléphant attaché à un tout petit épieu.

Puis l’image se transforma pour devenir une licorne entourée d’une fragile clôture sans doute empruntée à une célèbre tapisserie qu’il retrouvait chaque semaine en face de lui, au mur du cabinet de son thérapeute.

Il avait imaginé que l’hypnose pourrait l’aider à sortir de son marasme perpétuel, du sentiment d’insignifiance chronique qui l’habitait aussitôt qu’une rupture sentimentale s’annonçait où qu’elle fut consommée.

En explorant l’île il vit la dame vêtue de blanc qui s’était débarrassée de son collier cette fois. Il plissa un peu les yeux pour tenter de faire apparaître de façon plus précise sa poitrine mais l’image se brouilla exactement comme dans ses rêves érotiques et il s’éveilla complètement.

En buvant son café il repensa à l’éléphant, à la licorne, et au collier disparu et il imagina un dessin humoristique sur lequel des milliers de personnes apparaîtraient ainsi: chacune sur une île personnelle, attachée à un axe dérisoire dont elles auraient pu se libérer d’un simple geste.

Un billet ou un chèque eut été rigolo à dessiner au bout du lien, pensa t’il.

Mais il laissa s’enfuir cette idée comme tant d’autres.

Les idées le traversaient perpétuellement, il avait l’habitude.

Cependant quelque chose le soulageait désormais de constater qu’il ne tentait plus de les enfermer, en les dessinant en les capturant sur des feuilles de papier.

Il se demanda si sa nouvelle thérapie lui était si bénéfique qu’il l’avait espéré et en récapitulant rapidement il tenta d »être le plus objectif possible.

Dans le fond cette thérapie cautionnait en quelque sorte un malaise qui , certes existait réellement, dont il pouvait se souvenir des ravages. Seulement sa maladie se trouvait soudain renforcée lui semblait-t’il par le seul fait qu’il en eut prit conscience et qu’il eut décidé de s’en débarrasser.

Se débarrasse t’on ainsi d’une partie de soi ? Et il songea à un manchot ou à un cul de jatte, amputé mais « heureux » et cela le fit sourire.

Il repensa à l’homme. Quand il l’avait rencontré la première fois , il avait bien songé à la possibilité que celui ci ne fut qu’un charlatan. Mais curieusement cela ne l’avait pas tant dérangé.

Il avait été curieux de voir la suite, et s’il ne bénéficiait pas de soin particulier, il aurait au moins la satisfaction d’entériner une fois pour toutes cette illusion d’avoir recours à un tiers pour se sortir de la merde.

Comme il avait lu pas mal de bouquins sur l’hypnose, il s’attendait à ce que son interlocuteur, un homme d’une cinquantaine d’années utilise à minima quelques combines verbales du même acabit que Milton Erikson. Ainsi cela eut t’il permis à sa foi fragile envers le thérapeute de consolider ses assises. Mais il ne s’y retrouvait pas vraiment. Il s’endormait à chaque fois d’une certaine manière en perdant le fil.

Cela avait au moins cela de bénéfique qu’il se trouvait en état d’apesanteur pour le reste de la journée entouré d’une sorte de brouillard, une sorte d’ouate entre le monde et lui.

C’est la ouate il fredonna le refrain célèbre en constatant qu’il était arrivé devant la porte du thérapeute.

Il repensa à l’éléphant, à la licorne et il continua son chemin descendant les pentes de la ville pour rejoindre son cœur.