« Ce que je fais m’apprend ce que je cherche »

C’est en visionnant une vidéo Youtube dans laquelle le poète lyonnais Charles Juliet relate ses rencontres avec Bram Van Velde, Samuel Beckett et Pierre Soulages que j’ai noté cette phrase.

C’est Pierre Soulages qui la dit et Charles Juliet qui la restitue en regrettant la réserve du peintre à aborder la peinture sous l’angle de son intériorité. « Soulages ne voulait pas parler d’intériorité, il ne voulait parler que du faire « 

Je ne sais pas si on peut parler de synchronicité dans le cas présent, car c’est un peu ce autour de quoi ma pensée tourne, à vide, concernant la peinture ces derniers temps.

Je ne suis pas dans le faire puisque je ne peins pas depuis des jours. Je lutte beaucoup pour ne pas me sentir coupable de ne pas peindre. Pour contrer ce sentiment j’écris comme si j’avais besoin d’une temporalité différente depuis laquelle examiner justement ce fameux « faire » .

Je n’ai jamais cesser d’être aimanté et repoussé en même temps par ce mot. Il y a cette tension insupportable produite par l’obligation, le devoir, et la volonté de ne pas vouloir faire n’importe quoi et qui justement me faisait généralement céder à ce n’importe quoi.

Et cela s’est accéléré ces derniers mois.

Sans doute parce que j’ai besoin de me convaincre encore de placer tout un échafaudage de raisons, de pensées, nécessaires pour moi avant de me lancer « à corps perdu dans ce faire »

Aussi à cet instant où Charles Juliet prononce cette phrase m’atteint t’elle immédiatement.

Ce que je fais m’apprend ce que je cherche sonne vraiment juste et au bon moment. Et je sais aussi à ce même instant que j’en ai pourtant eu de nombreuses fois l’intuition.

Mais la peur, la culpabilité, l’angoisse me faisait placer en amont un savoir sur la peinture qui serait susceptible de déclencher ce fameux « faire ».

L’écriture me sert à épuiser cette pensée, cette angoisse manifestée par l’écriture est semblable à un aiguillage. Je détourne des wagons d’angoisse par tous ces textes où je remonte à l’origine des mots, des pensées comme pour me persuader de leur futilité.

Cependant que cette futilité de la pensée ne la fait pas pour autant disparaitre pour laisser la place libre au « faire ».

Elle se disperse en constellations cette pensée qui tournent autour de ce faire comme une sorte de trou noir susceptible de les engloutir. Je ne sais pas si c’est vraiment là que se porte l’espoir de l’écriture.

Cependant j’ai effectué des actes dernièrement sans y penser. Des actes qui sont l’aboutissement d’un long cheminement entre hésitation, doutes, et intuition.

Par exemple j’ai supprimé pour l’instant temporairement mes deux comptes sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram.

Je ne me reconnais pas du tout dans ce profil que j’ai affiché sur chacun. Ce sont des avatars qui ne servent qu’à me disperser par rapport à ce « faire » encore une fois.

Réduire de plus en plus la possibilité de la fuite. Etre face à ce faire aussi nu qu’un ver est ce que je n’ose pas m’avouer chercher.

Et du coup est ce que c’est vraiment « le faire » que je cherche ou cette nudité ? toute la question pourrait s’orienter soudain dans un nouvel entre deux, séduisant évidemment.

Une autre observation de Charles Juliet, c’est la difficulté à bavarder dont il se plaint chez Bram Van Velde, Beckett et Pierre Soulages d’une certaine façon quand il dit qu’il ne veut pas parler d’intériorité concernant la peinture.

Cela aussi m’attire toujours et m’écartèle de la même façon entre ces deux pôles que représentent Parler et se taire. Parler et ne rien faire pour exprimer cette indigence profonde, cette nudité par rapport à l’art finalement. Ou bien la boucler et faire.

Pour pénétrer dans l’acte de peindre, là où il n’est même plus question de nudité, mais d’absorption totale.

Pourtant lorsque j’écris je « fais » bien quelque chose … Reste à savoir que ce que je cherche dans ce cas.

Quand est ce qu’on va naître?

https://www.festival-automne.com/edition-1981/roger-blin-oh-beaux-jours-cycle-samuel-beckett

C’est une réplique récurrente qu’éructent régulièrement au fil du texte, les personnages de Samuel Beckett. Et c’est aussi une question qui nous est posée aussi absurde qu’elle puisse paraître, à priori, à nous tous qui pensions en avoir terminé depuis belle lurette avec ces vieilles hantises d’utérus.

Oui il ne suffit pas d’être expulsé du placenta, de gueuler un bon coup en arrivant et d’être dans le meilleur des cas, dorloté par des bras maternels pour se sentir véritablement au monde. Il y a pour certains un bout de chemin supplémentaire, une option écrite en tout petit petit comme sur les contrats d’assurance. C’est sans doute ce que je n’avais jamais voulu remarquer, et pourtant c’est bien dans les détails que le diable se cache comme toujours.

Je me demande assez souvent désormais si la vie n’est pas une nouvelle extension de l’utérus. Un utérus magistral dans lequel nous nous débattons en jouant des coudes pour parvenir à trouver enfin notre second souffle, le vrai, celui qui nous appartient vraiment et non ce bouche à bouche perpétuel que la vie en commun nous oblige constamment à pratiquer

Si nous vivons dés la naissance biologique dans cette mythologie d’être des héros plus forts que de nombreux camarades spermato tombés au champ de l’absurde, tout commence ou recommence à nouveau une fois que nos petits poumons se remplissent d’air.

Il va falloir rejouer des coudes à l’école, au travail, en famille, dans les matchs de foot pour obtenir les meilleurs places, la meilleure vue, si possible au soleil.

Et alors tout recommence oui , sans relâche et en même temps le temps passe et nous érode. Nous voici devenus de vieux bébés à la peau flétrie, aux paupières tombantes, nous retrouvons presque parvenus au moment de sortir de cette vie l’aspect que nous avions en y arrivant. Des petites choses émouvantes mais à l’aspect un peu ingrat et voilà tout.

Quand est ce qu’on va naître n’est pas une question idiote tout bien considéré. On peut le prendre de manière égoïste en ne pensant qu’à soi, c’est d’ailleurs ce que font la plupart d’entre nous, ou alors le prendre au sens large , celui de notre humanité dans son ensemble.