Ligoté au mat de son navire Ulysse observe le rivage qui se rapproche en même temps que le chant des sirènes. De quoi est donc constitué ce chant si beau, et surtout que dissimule t’il. Ulysse le rusé ne peut s’empêcher de voir la ruse partout. Et c’est à cet instant que la situation bascule. Le chant s’arrête net. Là-bas sur les rochers des silhouettes s’agitent puis s’immobilisent. Enfin elles disparaissent. Un silence étrange recouvre alors le clapotis des vagues, l’étrave du navire qui fend les flots, les cris des oiseaux marins. Tout est devenu si lointain. A peine audible la voix des hommes d’équipage étourdis encore par l’aventure. Ils se réjouissent, s’embrassent alors qu’ Ulysse encore sonné ne les reconnait plus.
Ils viennent le détacher, le félicitent, l’acclament mais dans une langue qui lui est devenue étrangère. Ulysse ne dit rien, il reprend son périple vers Ithaque. Il est silencieux.
La première chose qu’il fera en arrivant enfin sur l’île sera de trouver une librairie, un carnet, un stylo, un feutre à pointe fine. Puis il écrira d’une façon serrée ces quelques lignes :
« L’écriture quotidienne pour s’attacher à un axe et explorer ainsi l’incohérence fondamentale de tout chant. Chaque jour s’attacher à entrer en relation avec cette incohérence pour tenter d’ en extraire quelque chose, une bribe, un fragment. Un acte qui permet d’en témoigner à soi-même surtout. Le but serait de s’y habituer en premier lieu. Et peut-être ensuite mieux appréhender ou accepter l’ incohérence générale insupportable lorsque on est habité par un fantasme tellement préoccupant de cohérence« .
Tout à coup, me revient à l’esprit cette vieille histoire d’Oedipe confronté à l’énigme du sphinx et un prénom surgit et l’accompagne, Pandore.
Que racontait t’elle déjà cette histoire de boite à ne pas ouvrir sous l’injonction rusée d’Hésiode dans son ouvrage « Des travaux et des jours » .
Evidemment l’écrivain confondit ses traits avec ceux de Zeus le tout puissant et en fit un portrait tout à fait honnête.
Zeus en colère et voulant se venger de Prométhée ayant refilé la recette du Feu aux hommes.
C’est dans l’argile et l’eau que le taciturne Héphaïstos se procure la matière dont il créera Pandore. Puis Athéna lui donna vie et lui procura l’habileté dans de nombreuses tâches manuelles, notamment l’art du tissage. Ne tisse t’on pas les mensonges également dans les vieux récits ?
Sa beauté était telle qu’on ne pouvait imaginer qu’elle le fut sans Aphrodite, quant à Apollon il intercéda dans cette oeuvre collective en lui procurant un talent de musicienne incomparable.
Enfin, il eut été étonnant qu’on l’oubliât, Hermès lui conféra le talent de mentir comme une arracheuse de dents et ajouta comme si cela paraissait insignifiant cette petite option de rien du tout en apparence, la curiosité.
Les dieux regardèrent leur oeuvre et allaient s’en gargariser quant Héra ne peut retenir son élan et lui injecta la jalousie.
Enfin ce fut Épiméthée le frère de Prométhée justement, qui la découvrit belle, qui la désira et bientôt l’épousa.
Dans les nombreux trésors que contenait la dot de la promise, se trouvait la fameuse boite, cette boite que Zeus lui avait offerte en l’accompagnant d’une injonction grosse comme une ficelle après tout ça … Surtout ne l’ouvre pas.
Evidemment, tu connais la suite et voilà où nous en sommes arrivés.
Cette curiosité amenée comme un défaut féminin dans cette histoire me tracassait car je cherchais sa contrepartie fidèle comme toujours en l’homme. Et soudain à l’aube j’entendis cogner contre le mat des galères le gréement de vieilles voiles déchirées et j’aperçus dans le soleil levant le beau visage hâlé de mon ami Ulysse d’Ithaque.
Les récits d’Homère nous disent que c’est aussi la colère des dieux qui firent errer Ulysse de longues années suite à des propos calamiteux qu’il tenu durant la guerre de Troie. Ulysse aurait dit que les dieux le gonflaient en gros et que la fatalité n’existait pas, du moins qu’il ne la voulait pas.
Rebelote, autour de cette nouvelle histoire toute la clique Olympienne se retrouve à nouveau pour conspirer, s’allier et s’opposer.
Mais dans le fond je me demande si mon pote Ulysse après la boucherie de Troie, son taux d’adrénaline au plus haut, n’avait pas eu tout simplement envie d’exercer sa curiosité, mâle celle-ci.
Ainsi donc lecteur, nous voici confrontés tous les deux à la même chose vue de deux manières différentes. La curiosité féminine qui apporte son lot de tourments, et celle masculine qui rapporte son lot d’actes héroïques.
Si on joignait ces deux curiosités en une , on s’apercevrait finalement que c’est bel et bien la seule raison vraiment valable des complots divins.
A croire que le divin s’emmerde et qu’il s’invente des jeux par l’entremise des mortels , il n’y a qu’un pas.
Depuis deux ans j’entends que je m’éparpille. Je ne suis pas sourd, non. Cependant comme un marin curieux à un mat de galère je m’attache.
Approcher le fameux rocher , tant de gens parlent de lui à tort ou à raison, Maurice Blanchot en tête de gondole dans mon esprit.
Elles sont là indolentes toutes ces femmes-poisson la nageoire caudale baignant dans l’eau d’Égée. Diable qu’elles m’attirent et qu’elles m’envoûtent par l’incohérence que je décèle tout au fond du chant.
C’est vrai, je plongerais bien , les sirènes je m’en fous, elles ne sont qu’un prétexte.
C’est cette incohérence que leur chant ne masque plus qu’à peine et qui souffle à la façon de Moby dick que je veux éprouver, celle qui depuis toujours fait partie de moi et qui me guide et que je ne veux cependant pas écouter. J’ai les mains nues , pas de harpon.
l’énorme cachalot de l’éparpillement je voudrais plutôt m’en faire un pote aujourd’hui, je n’en ai pas tant que ça de potes, on a aussi les potes qu’on mérite.
Il y a les sirènes et un peu plus loin aussi quelques moulins à vent, à l’arrêt cependant.
Ce n’est pas bien alors de s’éparpiller ?
Pourquoi donc ?
Pour constituer une unité face à l’entropie magistrale ?
encore une lutte ? un combat ?
Mais ne voit on pas que le monde entier est bouffé par l’éparpillement ?
toujours on zappe
comme l’ennui on cherche sans relache à l’esquiver
comme la maladie
comme la mort
l’inéluctable et l’éparpillement.
J’ai renoncé à beaucoup mais pas à ne plus m’éparpiller envie de caresser Moby dick rien que ça et alors ?
J’ai renoncé à beaucoup parce que je voulais justement m’éparpiller
Le geste auguste du semeur m’est resté imprimé dans l’oreille interne
un souvenir de classe ce tableau de Millet qui resurgit tout à coup et puis tout de suite après celui de Vincent.
Pas d’enfant comme moi Vincent je crois me souvenir, on n’a rien semé d’autre que nos tentatives dont celle à la queue leu leu comme au confessionnal de peindre, lui plus avancé que moi et même mort déjà, feu Vincent comme ça te va bien. Me voici brûlant de fièvre moi aussi.
Jusqu’au bout alors pénétrer dans le maelstrom de l’éparpillement afin de laver l’affront fait au monde d’une inutilité magistrale ? d’un refus de procréer clair et net ? de jouer les petits bras en me disant peintre , créer faute de pro créer une manière de célébrer l’onanisme au même titre que l’éparpillement. Ainsi soit il ..
Il parait que ce que nous avalons teinte nos pensées suivant les carences en oméga 3 et en vitamines b et je ne sais quoi encore
Saucisson cuit de lyon et purée ont du me rester sur les neurones.
Pas dormi de la nuit à me traquer en action dans l’éparpillement.
Je ne sais pas ce que je fous.
Mais je tiens bon à l’écrire comme si je voulais léguer quelque chose, pas avoir vécu « pour rien » la belle affaire. Je me sens en colère de faire de moi ma victime préférée.
Alors une raison s’il en faut de s’éparpiller c’est la détestation du point fixe, névralgique de la douleur d’être moi, encore moi, toujours moi.
insupportable
tout autour sans moi il me semble que la vie est plus belle plus profonde, moins complexe, plus féconde aussi.
je m’éparpille parce que je suis un handicapé de la confiance. trop battu, trop rusé d’être parvenu à contrecarrer Zeus le père de son envie de tuer sa progéniture. Cet excès de ruse cet excès de survie me fait encore errer d’il en ils ou d’elles en elle, sans jamais retrouver Ithaque.
A se demander vraiment si elle me manque tant que ça.
Pas de Pénélope, pas de Télémaque qui se tiendraient sur le quai à m’attendre.
« Personne » voilà la réponse donnée à la légère à Polypheme le cyclope et dont l’étymologie signifie, « qui parle beaucoup bavard. » un comble.
s’éparpiller se répandre, est obscène au regard du monde. C’est manquer de respect , qu’alliez vous faire dans la 13eme avenue Mossieur Willams… Tant pis, tant pis pour le manque de respect, ce respect que je n’ai pas eu à la source que je n’ai donc jamais eu pour moi même. Tant pis il est tôt dans quelques heures je dois affronter une nouvelle journée encore, recoller tous les morceaux sans Isis, et me relever dans l’aube et de bonne humeur pour enseigner, pour en saigner aussi.
A force de ne m’intéresser à rien il arriva que mon attention se porte sur la voix des femmes qui provoqua en moi des sensations mitigées s’étalonnant entre le plaisir et la douleur.
Celle ci par exemple possède une voix de petite fille notamment dans les aiguës alors que son corps massif, sa large cage thoracique et son bassin plus important que la moyenne contredisent étrangement ce flux sonore émanant d’elle . Au dedans un oiseau prisonnier lance sa plainte affaiblie par l’épaisseur de l’épaisse écorce.
Inversement celle là sèche comme une trique possède une voix onctueuse , chaleureuse et vibrante qui donnait l’impression de cajoler l’espace tout autour d’elle.
Des voix ajustées à des corps féminins en fait je n’en ai que très peu écoutées. C’est que pour le peu que j’en connu, l’ensorcellement qui en découlait de façon notoire me les fit fuir intuitivement.
Dans le fond qui maîtrise les notes comprends les variations autour de celles ci, la distance qui s’écarte de la justesse. Et le danger hypnotique de la trop grande justesse.
et si j’étais indien je bénéficierais de tous les huitièmes ou quarts de ton que j’ignore complètement.
Sans doute la crainte des sorcières, des magiciennes, et autres devineresses ,pythoniciennes sans oublier les ventriloques rencontrées au hasard de mes lectures de jeunesse aura t’elle influencé ma manière de considérer les voix des femmes.
C’est que certaines dans leur colère plus ou moins bien adressées avaient ce pouvoir d’aller puiser la férocité de l’animal au plus profond des entrailles terrestres , pour passer soudainement au murmure incohérent proche des sirènes.
Et si par fronde tout comme Ulysse il m’arriva parfois de me laisser attacher au mat de la curiosité afin de subir ou de jouir de l’incohérence magistrale de leurs chants , mon rapport au langage, et au son des voix en général s’en est trouvé à jamais modifié.
Tout comme Ulysse dans l’errance, après une guerre de Troie toute personnelle j’aurais suivi la voie des femmes pour apprendre la vie. A chaque étape j’ai retrouvé le même mat et la même curiosité mêlée de prudence afin de comprendre la nature d’un langage qui ne peut se circonscrire à la forme seule, celui du féminin tout entier dans ce qu’il a pour l’homme d’attirant, de séduisant et d’effroyable de repoussant tout en même temps.
Qu’une voix sorte d’un corps, jamais je n’ai pu m’empêcher de songer à cette phrase ancienne qui racontait : « au début était le verbe. »
Quand une parole s’élève, qu’importe son sens sa cohérence c’est à cette origine actualisée dans l’immensité de l’instant qu’elle me fait songer plus ou moins consciemment.
huile sur papier journal collection privée Patrick Blanchon
Il y a une différence majeure entre croire que nous sommes à un certain niveau et y être véritablement. La peinture n’échappe pas à cette règle.
Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas dans un niveau d’évolution ,il faut passer aux niveaux supérieurs sans quoi impossible d’avoir le recul nécessaire.
Puis à l’occasion d’un regard jeté sur le chemin parcouru, s’arrêter pour apprécier honnêtement mais aussi à l’appui des nouvelles connaissances que nous avons acquises, le fil imperceptible qui relie l’ensemble afin de suivre la trace, le fil conducteur.
Sans cela nous pataugeons et tournons en rond comme un hamster dans une cage.
Ces derniers jours, j’ai envie de ranger, de classer, de jeter, d’alléger. Faire le tri entre l’important, le nécessaire qui peut faire levier et l’inutile qui m’entrave, me scotche, me lie, m’ennuie.
Dans des cartons je retrouve une kyrielle de travaux de jeunesse et je les regarde d’un nouvel œil en tentant de lutter contre l’attendrissement de la nostalgie et la pulsion d’ouvrir un grand sac poubelle.
En retrouvant cette feuille de papier journal tâchée de couleur j’ai un doute avant de la froisser, la déchirer, l’évacuer. J e vais juste prendre le temps d’en reparler un peu, comme on parle à un ami sans fausse pudeur, sans artifice.
Voilà :
Je peignais dans des chambres de hasard, sans confort, et seule la flamme de mes désirs et de mes ambitions , autant dire la flamme des illusions, me réchauffait et me nourrissait tout en même temps. J’étais dans le niveau le plus bas de l’échelle dont je parle plus haut. Le niveau où l’on se préoccupe encore beaucoup trop de l’environnement, de ce qu’on va manger, du comment on va payer la chambre et acheter ses titres de transport.
Pour pallier les exigences requises par ce premier niveau, je travaillais comme archiviste dans une boite d’architecture. Un sous-sol poussiéreux où, s’entassaient tous les dossiers des projets réalisés ou pas, les études de plan, les calques de tout acabit, et les litiges réglés ou pas.
Je ne rechignais pas à la tâche, mais celle-ci était si facile, je disposais de longues périodes durant lesquelles je lisais tout ce que je pouvais trouver chez les bouquinistes, et à la bibliothèque de quartier. Je me souviens encore avoir lu « les vies » de Plutarque dans une vieille édition, mais comme ma spécialité est de digresser, je ne vais pas étaler ici la liste tout aussi hétéroclite que gargantuesque des nourritures livresques que je dévorais d’une façon que je considère aujourd’hui .. aussi désordonnée que désespérée.
Cependant voyez, je considérais que ma tache était facile, je m’étais installé dans une jolie routine qui me procurait de quoi assouvir ma soif d’apprendre, ma passion de la lecture.
Je ne gagnais pas grand chose évidemment et les fins de mois étaient toujours tendues à partir du 15. Ce n’est plus trop original de nos jours, c’est même devenu banal. En fait ce qui ne serait pas banal c’est qu’il en fusse autrement.
Pour lutter contre la routine et l’ennui j’avais élevé la rêverie à la hauteur d’un sacerdoce et il m’était assez facile de supporter cette existence en me projetant dans un avenir dans lequel,inéluctablement je serai peintre, écrivain, photographe, chanteur, érudit, philosophe, et bien sur « riche ».
La rêverie et l’espoir ne sont pas des phénomènes palpables. Ce ne sont que des rustines virtuelles que l’on tente de coller sur l’effroyable.
Sans organisation, sans plan d’action, sans accepter de se fixer des objectifs autres qu’hypothétiques, non seulement je n’étais pas libre mais en plus je faisais fausse route et j’allais me retrouver enchaîné plus encore par la suite.
Cette suite je ne vous la raconterai pas encore. Pas aujourd’hui, peut-être même jamais, ce n’est pas bien important. La seule chose qui me paraît importante ici c’est que pour voir il faut fermer les yeux. Revenir à la racine de soi et considérer le mental comme un périphérique.
Une souris, un clavier, un écran mais pas l’ordinateur.
Ce n’est pas le mental qui peut faire changer de niveau.
Changer c’est lâcher prise et ce terme est tellement galvaudé désormais, récupéré par des charlatans de tout acabit que je ne vais pas ajouter encore à la misère du monde.
Hier encore j’évoquais Ulysse attaché à son mat, dans « le chant des Sirènes »
J’adorais ce héros depuis l’enfance dans ce qu’il avait d’ingénieux et d’arrogant vis à vis des Dieux et des démons cependant qu’il n’est plus aujourd’hui qu’un homme comme tant d’hommes prisonnier d’une fausse idée de la liberté.
Alors finalement cette feuille de papier froissée et tachée de couleurs que personne n’a jamais vue, cachée au fond d’un carton, devrais je la jeter ou bien la garder ?
On peut s’étonner d’une confusion dans la représentation de ces créatures. Chez les grecs anciens les sirènes sont représentées avec une tête , parfois aussi un buste de femme et des ailes d’oiseaux. Représentation fort éloignée de l’image populaire distillée de nos jours par les studio Disney d’une créature mi femme mi poisson et plutôt » cool ».
On peut aussi penser à la Sirène de Heinrich Heine, Lorelei, ou à la petite sirène de Copenhague.
Possible que les sirènes soient une version négative des Néréides, filles du dieu Nérée Dieu des mers antérieur à Poséidon et de sa sœur Doris. Est-ce la notion d’inceste qui les transforme selon des époques plus moralistes en créatures suspectes et hostiles ?
En Anglais on peut noter qu’il existe deux mots distincts ( siren pour la sirène antique et mermaid pour une version plus moderne remontant au moyen-age).
Hier encore à la cour du très ancien dieu de la mer ,elles chantent et dansent et en cela revêtent le rôle des Muses fort éloigné de celui des créatures hostiles dont nous parle Homère.
Les sirènes possèdent des instruments de musique, elles sont parfois 2, 3 ou 4 selon les versions des textes dans lesquels on retrouve leurs traces.
Nul n’est vraiment sur non plus de l’emplacement de ce fameux rivage sur lequel elles résident. Leur chant étant censé outre capter et ravir l’attention et la vigilance des marins, calmer les vents.Il se pourrait en examinant des traces anciennes de cultes qui leur avait été dédiés qu’on les retrouve entre Sorrente et Capri, ou bien encore quelque part du coté du détroit de Messine.
On notera aussi qu’il existe aussi d’autres créatures dans la mythologie grecque ayant un lien de parenté avec les sirènes: Les Harpies. En grec ce terme évoque l’idée de capter et de ravir, non dans une idée de séduction mais pour attirer vers une fin inéluctable. Les harpies, au nombre de 3 se nomment Obscure, Vole-vite, et Bourrasque. Elles vivent sur la côte du Péloponèse dans les iles Strophade, en Grèce. Ce sont de vieilles femmes à l’allure peu sympathique et leur présence se manifeste par une puanteur insoutenable.
Leur commanditaire est Héra la jalouse, épouse de Zeus, ce qui vaudra aux Harpies d’être aussi nommées les « chiennes de Zeus » ce qui est étonnant car Zeus n’avait pas grand chose à voir avec elles … Elles dépendaient d’Héra qui les envoyait régler ses comptes lorsqu’elle était victime d’injures.
En harcelant les âmes de façon incessante par leurs méchancetés le mot harpie fut utilisé pour désigner les femmes acariâtres
Elles symbolisent aussi une obsession de la méchanceté, du vice qui harcèlent les êtres qui ne savent contrôler leurs passions.
On se souviendra d’Ulysse qui, suite à l’avertissement de la magicienne Circé, demande à son équipage de l’attacher au mat de son navire lorsqu’il croise à quelques encablures des rivages blanchis de nombreux ossements où vivent les fameuses sirènes.
Le bon sens populaire qui aime utiliser des raccourcis percutants en a tiré l’idée d’une offre alléchante mais qui peut se retourner contre celui qui l’accepte.
Cette idée de dangerosité de la femme rappelle une image en creux , celle de la femme généreuse, la muse.
Les sirènes seraient-elles le double inquiétant des muses et quel lien de parentalité pourrait on deviner entre ces deux extrêmes?
Si l’on s’appuie sur la langue des oiseaux le mot sirène compte 6 reines et révèle la présence d’une absence pour citer l’écrivain Maurice Blanchot dans son texte « le regard d’Orphée », cette absence qui serait à l’origine du langage et qu’on ne verrait jamais comme désormais on détecte les trous noirs par les phénomènes périphériques qu’ils déclenchent. C’est lorsque l’écrivain, le peintre se dirige vers le chant imparfait des sirènes qu’Eurydice apparaît et disparaît à jamais. En Art, un texte, une peinture, une sculpture n’est pas la relation de l’événement de cette rencontre, c’est l’événement lui-même.
Dans le Médée de Sénèque on peut aussi lire :
Et quand les terribles créatures charmèrent de leur voix harmonieuse la mer d’Ausonie, le Thrace Orphée chanta sur la lyre de Piérie et peu s’en fallut qu’il ne força la Sirène qui retient d’ordinaire les vaisseaux par son chant à suivre celui-là. »
Sénèque, Médée, 335-360.
Ulysse n’était pas un artiste mais un guerrier. Par la ruse et la volonté il désirait percer le secret des sirènes mais ce fut en vain car elles se jetèrent du haut des falaises pour sombrer à jamais dans la mer. Il ne nous reste que le texte homérique comme vestige de l’aventure de l’homme qui exacerbant sa raison à l’ultime participe à la naissance d’un monde dans lequel Eurydice et les sirènes ne chantent plus.
La psychanalyse voudrait réduire ce passage d’Homère à la naissance de l’identité de la personnalité d’Ulysse, on se souviendra qu’il se nomme « Personne » dans un récit précédent lorsqu’il se présente à Polyphème le Cyclope… Pourquoi pas ? mais est-ce suffisant ? n’est-ce pas un peu trop raisonnable encore ? voir malin voir rusé voir masculin et indicateur d’une perversion ( la version du père en l’occurrence Freud).
Ce n’est pas parce que personne ne les écoute qu’elles ne chantent plus, c’est seulement parce justement l’incohérence qui constitue leur sève manque de silence pour que nous puissions distinguer les notes de leurs mélopées. Les sirènes sont toujours là inaudibles à nos oreilles de consommateurs dans notre hâte d’assouvir nos pulsions et désirs le plus rapidement possible sans beaucoup de préliminaires.
Il manque toute une approche sensuelle autant que spirituelle proche du tantrisme pour renouer avec ce féminin qu’elles représentent dans ce qu’il peut révéler d’obscur et de lumineux tant chez la femme que chez l’homme.
Il faudrait un nouvel écrivain, un artiste qui montrerait le chemin sans mat ni lien, sans raison ni ruse pour nous extirper du rêve de la consommation vers la certitude d’être et ce faisant proposer à l’humanité une nouvelle Odyssée.
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