Satiété

Combas

Aller au bout d’un désir, d’une envie, d’une lubie est sans doute la meilleure façon de s’en débarrasser. Si l’on considère que le désir encombre. Si l’on découvre cette vulnérabilité en soi de ne pas posséder la patience nécessaire à entretenir celui-ci. Si on éprouve de façon insupportable son appel permanent, l’obsession, la hantise d’un tel désir. Si on détecte, imagine ou éprouve l’effroi du vide qu’est en train d’occuper ce désir. Même si on sait que le désir, celui-là précisément n’est rien d’autre qu’une des nombreuses têtes de l’hydre, et qu’il ne sert à rien de la couper, puisqu’aussitôt deux nouvelles têtes du monstre repousseront. A moins de cautériser la plaie béante à l’aide du feu. On ne peut y parvenir seul, même les héros se trouvent parfois démunis, et il faudra un geste de la Providence pour trouver l’allié pyromane, et tant qu’à faire, en adéquation avec le moment présent. Même sachant, aller jusqu’au bout, et à l’aide de la répétition, résumer la traque en un seul mot: la curiosité. Mot qui presque aussitôt rappelle en nous la faute, le péché, la culpabilité. Jusqu’à parvenir à la forme la plus authentique du dégoût, nommée paradoxalement la satiété. Un désolé je ne peux plus poli et distancié.

C’est durant l’écoute d’une émission de France Culture, un entretien avec le peintre Claude Viallat, et concomitamment l’achèvement d’un marathon de 40 jours d’écriture quotidienne que le dégoût s’est transformé en satiété. Trop plein et trop vide se confondant l’un et l’autre. En résulte une incompréhension totale de la volonté d’éparpillement. Volonté si farouche si récurrente, si répétitive qu’on finit par la considérer comme un outil. Une chose nous appartenant, une identité. Le désir de s’éparpiller, présence de l’hydre et confusion totale avec celle-ci et soi sans même en prendre conscience.

Pour bien enfoncer le clou le hasard des propositions de Youtube fait suivre une visite de l’atelier de Combas qui monologue complètement speed durant 30 minutes insupportables. Mais supportées par curiosité.

Deux peintres, le même désir de peindre, mais deux approches fondamentalement différentes dont la mesure est leur approche du désir et du hasard. Peut-être une relation de pouvoir encore une fois. L’un s’en remet au hasard et l’étudie avec circonspection, l’autre semble possédé par celui-ci alors qu’il imagine le posséder. Deux egos qui abordent la peinture l’un par une intention la plus minimaliste qu’il peut, cette forme d’éponge ou de haricot chez Viallat et l’accumulation des formes, l’exagération formes et couleurs chez Combas. Deux façons apparemment différentes d’aborder le problème de l’espace. Les deux le remplissent cependant. Leur unique point commun s’il faut en trouver un.

Leur travail et le mien, imbriqués. Facile de passer de l’un à l’autre techniquement en utilisant tout autant le hasard. Plus attiré en ce moment par celui de Viallat car plus aride. Moins séduisant. Le dégoût de la séduction, une satiété aussi finalement.

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Illustration image mise en avant Claude Viallat

20.Régénération du vide

Mermaid Réalisé dans le cadre de la Triennale d’Aichi de 2010. 300 x 1 600 cm. Poudre à canon sur papier japonais (washi). © Cai Guo-Qiang (Photo : Izumiya Gensaku)

Quand l’empathie tourne à vide il convient de s’intéresser à la fois à ce que signifie l’empathie comme à ce que signifie le vide. C’est à dire à la façon dont chacun de nous se hâte plus ou moins de combler l’espace offert par ces concepts .

Lorsque nous éprouvons une sensation de malaise celle-ci provient la plupart du temps d’un trop plein. Nous avons la certitude d’avoir comblé quelque chose et pourtant tout concorde à nous signifier que nous sommes toujours aussi vide.

Ce paradoxe entre perception et impression nous propulse dans des fréquence basses de l’être, là où des milliers d’entités ne se gênent pas pour fondre sur nous comme la misère sur le pauvre peuple.

A de telles occasions une possibilité de régénération existe où nous pouvons recréer de l’espace.

Je me réveillais soudain en ayant la sensation d’avoir beaucoup œuvré durant mon sommeil. Comme si j’avais manipulé à vitesse supraluminique tous les éléments constitutifs de milliers de rêves. Un gigantesque puzzle de milliards de pièces aurait tout à coup défilées devant la tribune de mon discernement, qui lassé, aurait abdiqué soudain pour laisser à un nouveau rêve la possibilité de naître.

En me réveillant j’eus ce réflexe de faire un pas de côté, la lame d’un long sabre effleura ma joue et j’en profitais, toujours mué par l’intuition issue elle-même d’une longue habitude, pour porter l’estocade à l’adversaire inconnu.

— Excellent ! Maria bat des mains Tu es enfin revenu parmi nous. Café ou thé ?

Bizarrement j’eus envie d’un thé.

— Alors raconte dit Hildegarde tandis que je prends mon temps pour savourer le breuvage brûlant.

Mais j’ai décidé de ménager le suspens. Je les regarde toutes deux tranquillement et continue à me concentrer sur le gout du thé.

— Il le fait exprès lance une voix, et il me semble reconnaitre celle de Pablo.

— l’attente est comme un sexe fatigué des grottes qui tente d’espérer dans la moiteur des étoiles déclame de façon burlesque Salvador

Tous ces mots je les entends, je peux les comprendre, mais je les laisse passer en me concentrant uniquement sur la sensation de mes mains posées sur la tasse, sur la sensation du liquide qui glisse en moi et se mêle à mes humeurs. Rien ne me parait plus évident que cette attention à ce que je suis en train de faire plutôt que de penser, d’imaginer.

— Stop reculez tous dit alors Maria, je comprends ce qui se passe. Il a atteint un nouveau palier il est en pleine régénération du vide, il faut lui foutre la paix. Nous reviendrons vers lui un peu plus tard.

Peu à peu les voix s’éloignèrent et avec elles la sensation de familiarité étrange dont j’avais pris conscience. Puis je me rendis à l’évidence, j’avais la possibilité de déplacer cette sensation, de la faire reculer dans l’espace comme pour lui insuffler l’impulsion d’un mouvement. Enfin je la laissais vagabonder désormais emportée par l’unique conséquence cinétique de mon intention. Je la suivis ainsi durant un instant puis je la vis disparaitre aux confins d’un immense vortex, dont la forme était le zéro.

Je n’éprouvais pas d’émotion particulière. A peine fus-je étonné de ne pas éprouver le moindre étonnement. Puis je me concentrais à nouveau sur la place que j’étais sensé occuper moi-même dans cet espace que je n’eus aucune peine à réduire à l’infiniment petit d’un point.

Je me retrouvais alors dans un immense palais. Face à moi un chevalet et un magnifique paysage dont je compris immédiatement être l’auteur.

Une voix que je sus être celle d’un empereur chinois m’ordonnait quelque chose dont je ne saisissais pas le sens.

Alors je vis le petit tas de peinture noire sur le rebord de la palette. Je trempais mon pinceau dans celui-ci

Puis je peignis une porte dans le paysage, une porte qu’il me fut facile d’ouvrir, et qu’au travers de laquelle enfin je pénétrais.

Puis que je pris grand soin de refermer soigneusement derrière moi avant de me retourner pour faire face à l’immensité nouvelle du néant que j’allais de nouveau rencontrer devant moi.

Bien qu’il n’y eut ni pétard ni flonflon j’eus soudain la nette impression de me retrouver face à l’impromptu. En l’occurrence la trace au sol d’une sirène gigantesque laissée là comme un indice à suivre pour le pèlerin du cœur.

Le manque de réaction.

Étonné par l’anesthésie dans laquelle les fêtes de Noël me plongent depuis la fin novembre , j’ai voulu rechercher un nom plus court, peut-être même savant ou scientifique à ce que j’ai fini par appeler « mon manque de réaction ».

Car ce malaise général que me procurent systématiquement les fins d’année se rapprochent assez de ce que l’on pourrait appeler une « maladie chronique ».

En tapant l’expression « manque de réaction » sur un célèbre moteur de recherches j’ai trouvé tout un tas de synonymes

« insuffisance, privation, absence, carence, indigence, dénuement, pauvreté, abstinence, disette  
[antonyme]   abondance  
2    défaillance, déficience, défaut, pénurie, carence, insuffisance  
[antonyme]   excédent, excès  
3    vide, lacune, abandon  
4    lacune, omission, déficience, insuffisance  
5      (familier)   défectuosité, raté, déficience, pénurie, carence, insuffisance  
[antonyme]   excès, abondance  « 

Ce qui me frappe immédiatement et ne concoure pas à me rassurer c’est que cette liste ne contient que du négatif . Pas un seul de ces mots ne peut apporter le moindre espoir de salut. Mon manque de réaction est donc comme je le soupçonnais bel et bien une tare.

Assez proche se trouve une autre caractéristique de ma personnalité, c’est l’inertie.

Il se pourrait bien qu’un lien unisse l’inertie et le manque de réaction et même finisse par les confondre.

En fouillant un peu plus loin je me suis demandé si j’étais devenu insensible à tout ce que le monde propose habituellement pour s’émouvoir ou s’agacer et, le fait est que désormais à chaque fin d’année de façon plus intense je décèle un reflux cardiaque ou cordial qui ne me dit rien de bon sur l’avenir.

Ainsi je n’ai pas envoyé cette année de « bonnes fêtes », pas de cartes de vœux non plus, et j’ai subi les fêtes dans un retrait monacal face à tous les événements qui se proposaient de me réjouir comme de m’attrister.

En ouvrant Facebook ce matin j’ai noté deux choses et j’ai traqué mes réactions face à cela.

Un ami se plaint de n’avoir pas eu de Joyeux Noel et sur un autre post la nouvelle de la mort d’une personne avec qui j’ai sympathisé il y a peu et que j’aurais pu considérer comme ami si je me sentais vraiment digne ou courageux pour en avoir comme les gens ont l’usage d’entendre ce mot.

Car je ne sais pas conserver ni nourrir, ni même entretenir les liens d’amitié. C’est qu’il m’est toujours insupportable d’avoir à prouver les choses dans le domaine du cœur.

Et pourtant, ce sont les règles de ce monde, sans preuve pas de meurtre mais pas non plus de salut.

Je pourrais répondre à ces deux publications Facebook, pour tenter d’exprimer ma tristesse, ou d’offrir au moins d’être présent pour traverser ces moments difficiles.

Mais non, terrassé par le manque de réaction véritable, par l’inertie, qui se confondent avec ce que la plupart des gens nomment de la lâcheté, j’ai préféré pointer le vide en moi par ce texte sans doute pour essayer de m’en dédouaner.

Il y a un moment je crois où l’on est allé si profondément dans la solitude que cela coûterait bien trop d’imaginer seulement en sortir.

C’est un peu comme lorsqu’on est dans la merde depuis longtemps, on finit par s’habituer à la température de celle-ci, on y prend ses aises, on en décolle plus.

En même temps je me demande si les gens qui ne cessent d’exprimer tout haut et avec force signaux ne sont pas aussi solitaires que moi dans leur for intérieur. Alors peut-être ont il appris à réagir, à s’exprimer pour ne pas rester sur le bas coté de la route.

Pour survivre tout simplement, et puis par un glissement sémantique bizarre il auront fini par confondre survivre et vivre en exprimant des sensations, des sentiments que tout le monde attend en général pour intégrer ses membres mais qui ne garantissent en rien leur véracité leur authenticité véritable.

Car dans le fond mon manque de réaction ne provient sans doute désormais que de cela, à chaque fois je m’interroge sur la véracité de mes émotions quant à un événement donné de peur tout simplement de me mentir à moi-même et avec la volonté farouche de conserver le cap par rapport à cette justesse quoiqu’il doive m’en coûter.

Dans le fond alors ce manque de réaction proviendrait d’un refus de me mentir à moi-même dans un monde où le mensonge perpétuel et ce de façon invisible aux menteurs eux mêmes, un monde inconscient si l’on veut, ne cesse de forger la réalité des liens amicaux ou inamicaux d’ailleurs.

Karma

Aré Krishna !

Il revit tout à coup le groupe de types et de nanas vêtus avec des rideaux le crane presque totalement rasé et qui marmonnaient des trucs exotiques en secouant des clochettes.

Il n’étaient pas dans le quartier la semaine passée, c’était un genre de nouveauté, une attraction si l’on veut. La boulangère avait hoché la tête prenant un air désespéré puis s’était exclamée avec une somptueuse mine de contrition :

« Non mais vous vous rendez compte Monsieur Pierre,

si jeunes et tellement paumés déjà … »

Monsieur Pierre avait lorgné les seins de la boulangère et puis il avait dit sur un mode automatique

-ça leur passera avant que ça ne me reprenne.

Enfin il avait avisé l’étalage de bonbons et pendant qu’elle retournait au labo pour aller rechercher de nouvelles baguettes, il avait pris une grosse poignée de « pie qui chante » que l’établissement vendait au détail.

Et en ressortant il décida d’aller faire un tour au jardin public, le temps splendide déposait sur la ville une patine d’éternité et l’urgence absolue, pensa t’il, était de s’engouffrer immédiatement dans la douceur du farniente.

Il arriva au parc et il y avait peu de monde. Il tira une chaise en fer près du bassin ou deux gamins se chamaillaient à propos de petits riens. Alors il tira la chaise un peu plus loin. Puis, au bout de quelques instants, il avisa une jolie femme au regard triste qui semblait hypnotisée par le jet d’eau.

Il avait toujours rêvé pouvoir aborder une femme ainsi en venant s’installer paresseusement au Luxembourg. Le mot « Luxembourg » devait sans doute proposer ça, cette sonorité quand il le prononçait était comme une promesse confuse de luxe de calme et bien sur de volupté.

Mais il se contentait d’imaginer, de fantasmer à la rigueur, il n’allait jamais au delà cela lui paraissait tellement ridicule. Enfin il se trouvait ridicule dans ce genre de situation lorsqu’il désirait se projeter dans celle ci.

Le ridicule était le verrou qu’il posait sur son désir comme sur ce sentiment de solitude qui ne le quittait pas.

Elle ne devait pas avoir dépassé encore la cinquantaine et il y avait dans son regard quelque chose de lourd et d’émouvant qui la rendait terriblement attirante.

Au bout d’un moment elle dut s’apercevoir qu’il la dévisageait, les femmes ont un sixième sens pour ça , elle le toisa et il se sentit confus et gêné comme si elle l’avait pris en faute.

Il se demanda s’il devait lui sourire ou faire semblant de l’ignorer mais il se trouva tellement nul dans ses tergiversations qu’il se leva énervé et qu’il décida de sortir du parc, d’aller s’asseoir à la terrasse d’un café peut-être.

Il s’imagina un instant en train de siroter un petit blanc, le soleil sur le formica de la table, la luminosité du verre, le brouhaha rassurant de la rue mêlé à ceux de l’arrière salle. C’est ainsi qu’il se convainquit et sans un regard vers elle il détala.

En entendant le grincement du portillon qu’il poussait il éprouva d’un coup un grand vide, alors il se réfugiât en toute hâte dans la tristesse. C’est à ce moment exactement que le petit groupe repassa devant lui avec son tintamarre de chansons et de clochettes.

Ils avaient de la cendre sur le front et leurs regards étaient joyeux. Il les envia soudain sans bien savoir pourquoi.

Puis il repensa à un article qu’il avait lu des années auparavant quand il s’intéressait encore un peu à la spiritualité, quand il était jeune. Et le mot karma sembla sortir du lot confus de tout ce qu’il avait parcouru.

The void / Le vide.

Errance 1 Peinture Patrick Blanchon

Several years ago my paintings did not suit me. The shimmering colors that I deposited there formed only an accumulation of false notes.

The feeling that came to me then was close to the one that usually insults me in contact with any cacophony.

However, I have struggled many times trying to fight against this systematic aversion without knowing why.

My wife at the time could tell me that it was « too busy » for her taste, I still persisted to make large multicolored crusts while being certain to be deeply disappointed with the result to come.

At the time I did not realize it as I’m talking about it today obviously.

Plunged into a sort of stupor, fascination, blinded by this one there was nothing to do, I kept stubborn.

It lasted for months, almost a year I think. And then one day something suddenly broke and I had the very clear, obvious perception of this overflow, the same that I put on my canvas and mine.

So I felt the opposite. A complete turn like a lightning and I seized all of a sudden the tube of white and began to erase large sections of the paintings that I had made during this strange period.

I did not preserve the first colored layers that very little. White, its light, gradually invaded all surfaces, and the more I installed vacuum so I liked it more. And extra luck, my wife thought that was cool too.

I realized about thirty paintings in two stages.

First I filled them to the brim and then I emptied them of much of their substance

The exhibition that followed and to which I gave the name « Wanderings » met with great success. There were already travelers with their suitcases, lost in a kind of white fog, sometimes a mist, sometimes a fog, a few points of solidity just within a repeated evanescence.

In the end I could not find a better word to describe this movement that had occurred in me as on the canvases.

The void, the boredom, the absence were often confused and reached a zone of pain at the limits of the intolerable. So I hurried to fill as much as I could and often clumsily what I imagined in the eyes of others to be an absolute deficiency.

In my naivety I made myself another image of « full » that was not me, that could not be me who was only empty.

I often reported on the other the rage to discover this personal emptiness and my anger like my despair was often terrible to realize that the other could not fill anything, being only an imaginary projection of a full idealized.

Yet modern science is discovering more and more qualities to this emptiness which seems to occupy a disproportionate place in the universe.

This gap between each molecule, each atom, it could well be that it is the essential link that keeps between them the pigments that constitute our lives like everything else.

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Il y a de cela plusieurs années mes tableaux ne me convenaient pas. Les couleurs chatoyantes que j’y déposais ne formaient qu’une accumulation de fausses notes .

Le sentiment qui me venait alors se rapprochait de celui qui m’insupporte généralement au contact de toute cacophonie.

Cependant je me suis acharné de nombreuses fois en voulant lutter contre cette aversion systématique sans savoir bien pourquoi.

Mon épouse à l’époque avait beau me dire que c’était  » trop chargé » à son goût, je persistais néanmoins à réaliser de grandes croûtes multicolores tout en étant certain d’être profondément déçu du résultat à venir.

A l’époque j e n’en ai pas pris conscience comme je t’en parle aujourd’hui évidemment.

Plongé dans une sorte de stupeur, de fascination, aveuglé par celle ci il n’y avait rien à faire, je ne cessais de m’obstiner.

Cela dura pendant des mois, presque une année je crois. Et puis un jour quelque chose se brisa soudain et j’eus la perception très nette, évidente de ce trop plein , le même que je posais sur ma toile et le mien.

Alors j’éprouvais tout le contraire. Un virage complet comme une fulgurance et je m’emparai tout à coup du tube de blanc et me mis à effacer ainsi de larges pans des tableaux que j’avais réalisés durant cette étrange période.

Je ne conservais des premières couches colorées que très peu. Le blanc, sa lumière, envahissait peu à peu toutes les surfaces, et plus j’installais du vide ainsi plus cela me plaisait. Et chance supplémentaire, mon épouse trouvait cela chouette aussi.

J’ai ainsi réalisé une trentaine de tableaux en deux temps.

D’abord je les ai rempli à ras bord et ensuite je les ai vidé d’une grande partie de leur substance.

L’exposition qui s’en suivit et à laquelle j’ai donné le nom « Errances » rencontra un franc succès. On y voyait déjà des voyageurs avec leurs valises, perdus dans une sorte de brouillard blanc, tantôt une brume, tantôt un brouillard, quelques points de solidité à peine au sein d’une évanescence répétée.

Dans le fond je ne pouvais pas trouver meilleur mot pour qualifier ce mouvement qui s’était opéré en moi comme sur les toiles.

Même si le prétexte était ces silhouettes sombres rehaussées de fusain et de bribes colorées évoquant l’exil, je m’empêchais à l’époque d’aller plus profondément encore vers la véritable raison d’être de ces tableaux.

Car il s’agissait vraiment d’une errance personnelle que je parvenais ainsi à ressentir à la fois dans la peinture, et dans ma propre vie.

Cette accumulation de couleurs était comme cette accumulation de savoir constituée de bric et de broc, d’opinions tranchées sur ceci ou cela, ces milliers de références, parfois contradictoires sur lesquelles je m’appuyais pour « paraître » en public lors des vernissages , des dîners mondains ou pas.

Dans le fond je m’étais servi du savoir, pour me constituer un personnage proche d’Arlequin, bigarré et cacophonique surtout, et en l’apercevant sur la toile, comme en miroir, je n’ai pas eu d’autre choix que de remettre du calme, du vide, une forme d’ordre et d’harmonie sur celle ci.

C’est à partir de cette réflexion que je me suis de plus en plus rapproché de l’idée de vide qui me hantait tellement. Je me suis aperçu peu à peu combien j’avais dépensé d’énergie durant toute mon existence pour tenter de combler ce vide.

Le vide, l’ennui, l’absence se sont confondus souvent et atteignait une zone de douleur aux limites de l’intolérable. Alors je me dépêchais de remplir comme je le pouvais et souvent maladroitement ce que j’imaginais aux yeux des autres être une carence absolue.

Dans ma naïveté je m’étais fabriqué de l’autre une image de « plein » qui n’était pas moi, qui ne pouvait être moi qui n’était que vide.

J’ai reporté souvent sur l’autre la rage de découvrir ce vide personnel et ma colère comme mon désespoir furent souvent terrible de constater que l’autre ne pouvait combler quoi que ce soit, n’étant qu’une projection imaginaire d’un plein idéalisé.

Pourtant la science moderne découvre de plus en plus de qualités à ce vide qui semble occuper une place démesurée dans l’univers.

Ce vide entre chaque molécule, chaque atome, il se pourrait bien que ce soit lui le liant incontournable qui maintient entre eux les pigments qui constitue nos vies comme tout le reste.

La préférence

Le canal était noir, la surface de l’eau était noire, ce matin là je n’apercevais pas les beaux éclats argentés des perches arc en ciel qui troublaient en profondeur mon âme de gamin pêcheur.

Le temps était maussade, sans aucun vent et l’écho des trains arrivant en gare au dessus me revenaient en grinçant méchamment murmurant des mots métalliques et froids.

Pourtant je m’installais, j’avais décidé que la matinée serait toute entière consacrée à mon envie.

Au lieu d’étudier sagement j’avais saisi les cannes, les lignes et l épuisette puis j’étais parti sans bruit, sans prévenir, pour rejoindre les talus du canal du Berry.

Une sensation de vide affreux m’envahissait depuis tôt le matin et j’avais effectué mon choix comme un soldat charge son fusil en vue de tuer, j’avais préféré.

Et, sans le savoir, cette préférence était déjà l’augure d’une pêche médiocre.

Une facilité de fatigue, surgit du vide que je cherchais désespérément à tuer.

Cependant je décidai par bravade que c’était bon de s’asseoir là et de tendre la ligne , regarder flotter le bouchon,

en espérant tout en sachant profondément que rien n’y changerait rien

Dans le fond.

Déjà à l’époque j’avais installé des rochers, des remparts, des occupations pour lutter contre la présence insistante de l’absence.

Même si je savais qu’il fallait attendre un peu avant que le poisson ne soit ferré adroitement, irrémédiablement, ce matin là j’avais tout oublié peut-être parce que justement j’avais choisi de perdre mon temps, j’avais établi une idée de moi, une préférence.

« Tu n’es rien »

Cette petite phrase qui tourne depuis toujours dans ma tête depuis l’enfance je crois qu’elle a finit par prendre un place centrale. En fait je cherche un axe en peinture et je me disperse sans arrêt pour lui échapper. A chaque fois c’est un château de sable plus ou moins adroitement crée avec courage et cœur- -c’est ce que je me dis- mais je pourrais tout autant parler d’une obligation de survie, et qui s’effondre avalé par la mer et le temps.

« Tu n’es rien » et puis associé « tu ne vaux rien », « tu ne devrais pas exister » « à quelques centimètres près tu n’étais qu’une crotte. »,  » tu n’y arriveras jamais »

A quoi ? sinon à leur ressembler à être comme eux, aussi bon, aussi monstrueux ? mystère béant d’où sourd la violence, la haine, le désespoir, toute une vie de désordre.

Bien sur mon orgueil en a pris un bon coup. J’en fus conscient plus tard. pas tout de suite cependant. Alors j’ai déployé des stratégies, des stratagèmes pour compenser le vide inouï.

Mais rien n’y faisait jamais. Que ce soit n’importe qui face à moi qui me rappelle ma note fondamentale, mon vide ontologique tout s’écroulait en silence irrémédiablement, sans mot dire, et je retournais in peto dans un terrier quelconque pour me désagréger lentement, m’éroder encore un peu plus, devenir arbre sec dans l’ignorance du fruit, dans le refus du fruit.

L’amour fut longtemps un fanal, un drapeau à ne pas perdre du regard durant la boucherie et cela hier encore me donnait de l’espoir.

Parvenir à sauver l’amour coûte que coûte, n’était ce pas faire la nique au destin ? pardonner pour rebondir vers les étoiles la métaphysique, l’art ?

Je n’ai jamais effectué que de pales soubresauts de puce. Plus assez de foi, plus assez de vigueur, une fatigue de tout pour me réfugier à nouveau bien au chaud dans le rien.

Tous ces personnages inventés de toutes pièces, du prince charmant à l’amant, du bon père de famille au traître sans vergogne, du voyou de l’escroc , du bon employé servile, du mauvais payeur, du bon professeur et de l’artiste raté tout cela ne fut que passe temps, diversion pour échapper au maelstrom du rien.

En explorant tous ces costumes j’ai appris que le rien m’était aussi une force, j’ai été surpris par le crédulité, la naïveté, la confiance qui m’étaient accordés comme des crédits bancaires pratiquement toujours . Et bien sur pendant longtemps j’ai oublié de payer les échéances, les intérêts, combien de fois ai je déménagé à la cloche de bois de mes amours de mes amitiés ?

Je me suis dit, récité, j’ai inventé des mantras pour ne pas oublier que le rien m’appartenait. Avec rien j’ai fait bien plus que certains avec tout sans oublier de m’en enorgueillir copieusement pas manque ou excès affreux de confiance en moi ce qui est du pareil au même.

« Tu n’es rien » on ne réfléchit pas à la langue enfant, peu importe la négation et l’affirmation, cela pénètre directement le subconscient.

Si je me penchais un peu plus aujourd’hui sur cette phrase si je la décortiquais patiemment sans peur je me demande si soudain elle ne signifierait pas bien autre chose. Un maladresse cachant une adresse logée dans un futur radieux de chaleur et d’amour vrai enfin car dans le fond celui et celle qui autrefois me le rappelait sans cesse , n’étaient pas des linguistes chevronnés, ils n’étaient que mes parents et il devaient inconsciemment tenter de formuler une affirmation malgré tout.

Car tu n’es rien ce n’est pas tu es rien. Tu n’es rien laisse percevoir un tout que je n’ai jamais voulu voir aveuglé par le vide dans lequel j’ai sauté la tête la première.

D’un autre coté on m’aurait dit  » tu es tout  » je ne suis pas sur du tout que je m’en serai sorti mieux.

lutter contre l’insignifiance

« éparpillements » Pastel à l’huile sur papier Patrick Blanchon

Quand le fils alla trouver le père pour lui apprendre qu’il désirait être écrivain ce dernier haussa les épaules et dit  » ce n’est pas un métier » sur quoi il appuya sur le bouton du poste de télévision et ils allèrent s’installer à la grande table de la salle à manger.

Ni la mère ni le frère ne s’aperçurent de rien. Il y avait eut une déflagration silencieuse et nul ne se rendit compte qu’à l’intérieur de la cervelle du fils, une plaie béante venait tout juste d’apparaître.

Tout le monde mangea la soupe sans mot dire puis une fois la table débarrassée, comme chaque soir tout le monde alla s’échouer sur les fauteuils, les canapés pour s’endormir doucement devant un programme soporifique à souhait.

Le fils ce soir là s’endormit le premier.

Dans son rêve il imagina qu’il courrait mais ne pouvait avancer d’un seul centimètre, en fait il s’éveilla au bout d’un moment et constata qu’il était le seul à être resté au salon, tout le monde était parti se coucher.

Il se leva et aussitôt un sentiment d’insignifiance formidable s’empara de lui. C’était comme un nouveau costume qu’il venait d’enfiler. En l’espace de quelques minutes, tout au plus une heure, tout ce qui avait eu jusque là la moindre importance à l’extérieur comme à l’intérieur de lui s’était engouffré dans cette étrange sensation qu’il éprouvait désormais.

Pour pallier l’angoisse qu’il éprouva il se rendit dans la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Il avala quelques tranches de jambon, puis piocha dans un paquet de pain de mie dont il déchira la tranche à pleines dents. Il termina sa collation intempestive par deux yaourts qu’il engloutit rapidement en employant une cuillère à soupe.

Une fois qu’il trouva la satiété il s’étira sans toutefois éprouver de contentement véritable. La sensation d’insignifiance était toujours là malgré la nourriture qu’il avait avalée, malgré le poids de celle-ci qu’il sentait peser sur son estomac.

Alors il monta l’escalier doucement pour ne réveiller personne, s’allongea sur son lit et fit le tour de toutes les images des femmes qui provoquaient en lui du désir.

Il s’arrêta sur celle de la voisine, une hôtesse de l’air hystérique à la poitrine généreuse et au langage vulgaire et se masturba.

Il espérait que le sommeil reviendrait une fois qu’il aurait jouit mais au contraire la sensation d’insignifiance qu’il éprouvait désormais avait encore augmenté.

Ce fut à cet instant probablement qu’il s’empara du petit carnet qu’il venait d’acheter quelques jours auparavant en se promettant de tenir son « journal de bord ».

Il inscrivit la date du jour et l’heure, il était désormais 2h52 du matin et puis sa main resta en suspend dans l’attente de l’inspiration qui ne vint pas cette nuit là.

Des systèmes, du hasard et des voitures rouges.

Admettons que vous ayez crée un système avec un certain nombre de règles que ceux qui participent à ce système doivent accepter et ne pas (trop) remettre en question. Vous aurez tôt ou tard une lassitude à affronter. Celle notamment des participants à ce système et la votre bien sur. Car la vie ne supporte pas la monotonie et le vide. Ce qui pourrait paraitre pour un pléonasme si l’on y réfléchit bien. Pour appuyer cette observation  il suffit de vivre à Paris, et d’avoir au dessus de la tête, dans une des nombreuses chambres de bonnes mal isolées, un apprenti musicien qui appuie toute la journée sur la même série de notes de son piano. Cela vous agacerait bien sur et vous tempêteriez ou bien vous iriez à la pharmacie la plus proche pour acheter des boules Quiess. Voici donc la réaction classique face à l’ennui : l’agacement et la surdité.

Ainsi pour faire face à cette production de tout système qui est le fruit de sa régularité mécanique, les créateurs s’intéressent-ils désormais au hasard, et tentent d’en établir des lois afin de créer parfois dans la régularité une anomalie, une insécurité, un danger dont ils se serviront pas la suite pour renforcer les principes premiers de leur construction.

« Vous avez vu pourquoi il faut des fenêtres ? Pour éviter les courants d’air et les fermer en cas de coup de vent. »

On évitera soigneusement de vous rappeler que la fenêtre permet d’aérer, ou bien d’éclairer la pièce. Votre attention sera alors dirigée comme votre raisonnement à venir sur des principes tarés qu’à force de répétition vous finirez par accepter comme authentiques et à ne pas remettre en question le bien fondé de ceux-ci.

Ainsi le système, aidé par la science  plus ou moins bien maîtrisée des hasards, finit il par  créer tout seul ses propres contrepoids pour se maintenir.

Détourner l’attention serait il désormais  un art consommé de la systémique. J’ai plusieurs fois vécu dans ma vie cette expérience amusante de vouloir acheter quelque chose mué par un désir fortuit en apparence. Je prends l’exemple de cette voiture rouge d’une certaine marque dont le besoin aussi soudain que loufoque m’est devenu soudain comme une nécessité incontournable. Jamais auparavant je n’en voyais. Avant ce désir intempestif je ne voyais qu’un flux ininterrompu de véhicules de tout acabit et mon regard ne discernait rien de particulier qui me fasse saliver.

Et soudain je ne vis plus que cette voiture rouge partout. J’en fus très étonné car cela chamboula quelque peu ma vision habituelle  du choix.  Pourquoi d’un seul coup me concentrais je plus sur cette marque, ce modèle, cette couleur ? Il fallu bien accepter l’inacceptable, je n’étais pas maître de mes choix comme je l’avais cru. Quelqu’un ou un concours de circonstances, que l’on nomme généralement le hasard, avait insufflé en moi le désir de possession de ce véhicule et j’allais ne pas m’en rendre compte et passer à l’acte quand soudain l’impression d’étrangeté m’arrêta tout nette.

Cette impression d’étrangeté désormais ne me quitte plus. Elle ressemble un peu à celle qu’on éprouve durant les rêves et qu’on aperçoit soudain un illogisme dans un univers bien huilé. En général c’est cette impression qui me conduit à l’éveil et à cette sensation bizarre qui rend floue tous les contours de tout système comme de toute réalité. C’est ainsi que j’ai découvert la notion de contrepoids savantissime, pour lutter contre les contrepoids prévus et ciblés.

Pour m’extraire alors de cette impression de malaise j’ai trouvé une parade : je fais n’importe quoi selon ce que mon intuition me dicte. Cela peut être de me rendre à la boulangerie pour acheter 4 pains au chocolat que je vais dévorer dans la foulée, ou bien prendre ma voiture pour me rendre dans coin inconnu de campagne et marcher une heure ou deux, ou bien encore écrire un texte comme celui-ci qui exorcisera peut-être cette sale impression d’être un cobaye, un pauvre rat de laboratoire.